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Un graffiti sur un mur du campus de l'Université polytechnique de Hong Kong où des dizaines de manifestants pro-démocratie étaient regroupés, le 23 novembre 2019.
Un graffiti sur un mur du campus de l'Université polytechnique de Hong Kong où des dizaines de manifestants pro-démocratie étaient regroupés, le 23 novembre 2019.
©NICOLAS ASFOURI / AFP

Bonnes feuilles

Christophe Deloire publie « La Matrice » aux éditions Calmann-Lévy. Dans la Bay Area en Californie, dans les laboratoires du Parti communiste à Pékin, on développe des technologies qui changent nos vies et font peser une menace sur la démocratie. L’infrastructure des plateformes numériques et des réseaux sociaux remplace les institutions politiques. C’est une matrice invisible. Extrait 2/2.

Christophe Deloire

Christophe Deloire

Christophe Deloire est journaliste, auteur et éditeur.

Diplomé de l’Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC) en 1994, il travaille comme journaliste pour l’hebdomadaire Le Point de 1998 à juin 2007, au service Société puis au service Politique. De 2006 à 2009, Christophe Deloire est directeur de collection au département littérature générale de Flammarion. Depuis 2008, il dirige le Centre de formation des journalistes (CFJ), l’école de journaliste de la rue du Louvre à Paris. Il est le directeur général de Reporters Sans Frontières depuis juillet 2012.

Auteur de plusieurs livres, Christophe Deloire est aussi co-auteur du documentaire Chirac intime , réalisé avec Laurent Delahousse et Erwan L'Eléouet, diffusé sur France 2.

Bibliographie

  • 1998 : Omar Raddad, Contre-enquête pour la révision d'un procès manipulé
  • 2001 : Histoires secrètes des détectives privés
  • 2003 : Cadavres sous influence
  • 2003 : L'Enquête sabotée
  • 2004 : Les islamistes sont déjà là
  • 2009 : Sexus politicus
  • 2009 : La Tragédie de la réussite
  • 2012 : Circus politicus (coécrit avec Christophe Dubois)
Voir la bio »

La « destruction des démocraties ».

Cessons de tourner autour du pot, de nous cacher derrière des euphémismes comme « fragilisation des valeurs démocratiques » ou « réduction de l’espace de la société civile »  : ce que nous risquons, c’est bien un démantèlement de la démocratie, voire une explosion.

Atomique, disait Maria.

Il y a seulement trente ans, nous avons cru que la démocratie libérale était en train de l’emporter à plate couture sur les dictatures.

Mais tout ne s’est pas passé comme prévu.

En 1992, trois ans après la chute du Mur de Berlin, l’économiste et politologue américain Francis Fukuyama publiait un ouvrage célèbre, La Fin de l’histoire et le dernier homme, dans lequel il envisageait la supériorité définitive de la démocratie libérale, en tout cas de « l’idée » du libéralisme. Loin des caricatures qui en ont été faites, le livre était une analyse brillante et profonde de l’évolution politique, fondée sur une relecture du philosophe allemand Hegel, celui qui avait développé le concept de « ruse de l’histoire » et de « dialectique du maître et de l’esclave ». Fukuyama racontait « l’histoire universelle de l’humanité » en considérant que le facteur principal était la « lutte pour la reconnaissance », le désir de chacun d’être reconnu au moins comme l’égal des autres.

Si, aux yeux de Fukuyama, la démocratie ne constitue pas le meilleur système pour la croissance économique, elle est en revanche le régime politique qui assure la meilleure répartition de la reconnaissance.

Ainsi, l’aspiration démocratique de l’humanité semblait assurée.

Le problème, c’est qu’Internet, et plus encore le Web, allaient se substituer à la démocratie comme élément central de cette « lutte pour la reconnaissance », et cela, Fukuyama ne pouvait pas l’imaginer.

Il ne pouvait pas deviner que les individus combleraient leurs besoins narcissiques en faisant connaître sur les réseaux sociaux leur vie intime, leur corps, leurs pensées immédiates.

Que le selfie allait remplacer le bulletin de vote ou l’engagement politique.

Que la quête du retweet allait remplacer l’effort méritocratique.

La courbe des démocraties allait se retourner.

À l’époque, la montée de la démocratie semblait inéluctable : de 3 pays à régime démocratique en 1790 (les États-Unis, la France et la Suisse), on était passé à 22 en 1919, à 35 en 1960 et 61 en 1990.

En deux siècles, le nombre de démocraties avait été multiplié par vingt, et avec le démantèlement de l’Union soviétique et de son empire, une accélération de la démocratisation se dessinait.

Inventé en 1990 par un ingénieur du CERN à Genève, Tim Berners-Lee, le projet hypertexte devenu le Web se démocratisa en 1992 avec l’invention du langage de balisage HTML.

C’est le moment où la courbe de la progression démocratique s’infléchit puis se retourna. En quelques années, une vingtaine de pays repartirent dans le sens inverse de ce que nous croyions être le « sens de l’histoire ».

À partir de l’an 2000, la Russie de Vladimir Poutine, la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan,  les Philippines  de Rodrigo Duterte, l’Équateur de Rafael Correa, et on en passe, basculent dans des régimes plus ou moins autoritaires.

Au cœur de l’Union européenne, Viktor Orban en Hongrie et les frères Kaczyński en Pologne parviennent à éliminer les contre-pouvoirs.

Aux États-Unis, la démocratie s’effrite tout au long de la présidence Trump et vacille le 6 janvier 2021, quand, après quatre ans de mensonges et de haine, des militants envahissent le Capitole comme une horde de Cosaques.

L’International Institute for Democracy and Electoral Assistance (IDEA) a montré que la pandémie de Covid-19 a exacerbé les menaces sur les démocraties du fait de l’imposition de lois d’urgence et d’exception, de la propagation de la désinformation, et la répression contre les médias indépendants. En 2021, plus de pays que jamais souffrent d’« érosion démocratique », entendue comme un déclin de la qualité de la démocratie. Y compris dans des démocraties établies.

Dans le même temps, le nombre de pays subissant un « recul démocratique », une forme sévère et délibérée d’érosion démocratique, n’a jamais été aussi élevé qu’au cours de la dernière décennie. L’atteste l’évolution inquiétante de puissances géopolitiques et économiques telles que les États-Unis, le Brésil et l’Inde.

Au cours des cinq dernières années, vingt démocraties sont devenues des régimes autoritaires, dont trois durant la seule année  2021 (l’Afghanistan, la Birmanie, le Mali). Seulement sept pays effectuaient le trajet inverse vers la démocratie. Le panorama ne porte pas à l’optimisme : plus d’un quart de la population mondiale vit désormais dans des pays en recul démocratique. Au total, si l’on ajoute les populations de régimes totalement non démocratiques, plus des deux tiers de la population mondiale ne jouissent pas pleinement de l’exercice démocratique.

Ce n’est pas seulement à une destruction des démocraties que nous assistons, c’est à une destruction de l’esprit démocratique.

Selon l’étude sur les valeurs dans le monde World Values Survey, aux États-Unis et en Europe, une personne sur six pense que nous irions mieux si l’armée était au pouvoir, alors que c’était une sur seize au milieu des années quatre-vingt-dix. Ce pourcentage augmente plus chez les riches que chez les personnes modestes.

Si l’imaginaire collectif associe jeunesse et soif démocratique, la recherche ne valide pas cette perception : 90 % des Américains de plus de soixante ans pensent qu’il est inadmissible d’accepter un pot-de-vin, mais seulement moins de 60 % des dix-huit à vingt-neuf ans sont de cet avis.

Les démocraties sont en danger, y compris celles que l’on croyait inébranlables.

A lire aussi : Bienvenue au cœur de la matrix politica : l’impitoyable règle au sein du village global de l’information et de l’espace de communication

Extrait du livre de Christophe Deloire, « La Matrice », publié aux éditions Calmann-Lévy

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