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Plus besoin d’Etat ni de vaste territoire pour dominer le monde : comment les méga-multinationales à la Google, Facebook, Apple ou Amazon sont en train de devenir les véritables superpuissances du 21e siècle
©Reuters

World Company

Ces vingts dernières années, les marchés mondiaux des capitaux, la connectivité technologique et la croissance des nouveaux marchés de consommation dans le monde ont donné lieu à des plates-formes d'entreprise massives dans divers secteurs (matières premières, finances, informatique etc). Si bien que des entités comme Google ou Facebook apparaissent comme de véritables superpuissances.

Laurent Alexandre

Laurent Alexandre

Chirurgien de formation, également diplômé de Science Po, d'Hec et de l'Ena, Laurent Alexandre a fondé dans les années 1990 le site d’information Doctissimo. Il le revend en 2008 et développe DNA Vision, entreprise spécialisée dans le séquençage ADN. Auteur de La mort de la mort paru en 2011, Laurent Alexandre est un expert des bouleversements que va connaître l'humanité grâce aux progrès de la biotechnologie. 

Vous pouvez suivre Laurent Alexandre sur son compe Twitter : @dr_l_alexandre

 
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Atlantico : Au cours des deux dernières décennies, les marchés mondiaux des capitaux, la connectivité technologique et la croissance des nouveaux marchés de consommation dans le monde ont donné lieu à des plates-formes d'entreprise massives dans les secteurs des matières premières, des finances, de l'informatique, du commerce de détail et d'autres secteurs. En quoi peut-on affirmer que des entités telles que Google, Facebook etc apparaissent comme de véritables superpuissances apatrides ?

Laurent Alexandre : Leur super pouvoir vient de leur maitrise de l’IA qui est bête mais est plus efficace que nous. Il y a de cela quelques années, on pensait, à tort, qu’il faudrait une IA « forte », dotée de conscience, pour pourvoir conduire une voiture ou analyser des données médicales. Les géants du numérique ont un quasi-monopole sur cette IA faible immensément efficace et deviennent donc les nouveaux maitres du monde.

Les Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon) forment le Vatican du XXIe siècle : ils n’ont pas de territoire mais ce sont eux qui détiennent le pouvoir. En réalité, ce sont nos vrais chefs. Et il ne faut pas oublier leurs homologues chinois qui ont comme avantage d’avoir des relations étroites avec leur gouvernement. Nous sommes complétement dépendants de leurs technologies. Cela touche aussi à notre pouvoir de décision. Les soupçons de manipulation sur les réseaux sociaux lors des élections américaines en sont le parfait exemple. Et si les implants prônés par Musk voient le jour, qui sait vraiment ce qu’ils pourront faire avec nos cerveaux. 

Les Etats ne seront pas écoutés et sont dépassés sous leur forme actuelle. Le système politique actuel a un rythme de décision trop long. Le temps qu’une loi soit votée, les technologies se sont déjà imposées. De plus, il est clair que les grands groupes de la Silicon Valley ont pour volonté de s’affranchir de tout contrôle étatique comme le montre les projets de création d’île-État indépendant de Peter Thiel, de colonisation de Mars par Elon Musk ou de la Lune par Jeff Bezos.

Pourtant, ces "superpuissances  apatrides" sont aussi principalement des entreprises américaines… Comment expliquer ce paradoxe entre "apatrides mais américaines", avec quelles conséquences ?

Nous raisonnons à 15 jours, la Chine raisonne à 50 ans, et la Silicon Valley à 1000 ans : elle a le temps de conquérir un vrai territoire, notamment sur les autres planètes. A court terme, elles restent dépendantes des états. En réalité, ces groupes ont gardé des attaches territoriales et entretiennent des liens étroits avec leur défense nationale : on sait que les GAFA parlent beaucoup à la NSA. 

Peut-on imaginer qu'a termes, ces superpuissances finissent par s'autogérer, s'émancipant complètement des pays auxquels ils sont rattachés, quelle serait la finalité et quels risques sont à prévoir pour les Etats ? N'est-il pas temps que l'Europe se saisisse de ces questions ?

Nos responsables politiques raisonnent comme dans les années 1980, et pensent que l’IA est un programme informatique traditionnel. Le rapport France Intelligence Artificielle est à côté de la plaque, il cerne mal les problématiques actuelles. 

L’IA s’éduque mais ne se programme pas comme un logiciel classique. Le facteur clef du succès de l’IA, c’est l’importance des bases de données qu’elle peut exploiter et non pas les programmes qui eux sont en open source (accès libre). Aujourd’hui, qui possède autant de données ? Les grandes plateformes comme Baidu, Facebook, Google, etc. Certainement pas nos chercheurs du CNRS. 

En matière numérique, des clusters d’innovation existent dans le monde, ce sont eux qui attirent les talents. Le principal se trouve en Californie, où le prix des ingénieurs est extrêmement élevé, mais où ils y prospèrent pourtant. Cet effet de concentration de l’intelligence est très difficile à combattre. A l’époque du rayonnement de Versailles, tous les nobles voulaient s’y rendre. Aujourd’hui, la Californie, c’est le Versailles du 21è siècle. Cette concentration d’intelligence et de jeunes milliardaires provoque un effet boule de neige. 

L’Europe ne bougera pas et va rester impuissante : nous sommes un continent de vieux avec des vieilles élites respectables mais dépassées et la crise populiste va accentuer notre retard. De plus, les entreprises qui investissent massivement dans le transhumanisme n’auront pas peur de faire du chantage économique et technologique vis-à-vis des États. Le sort de l’humanité est en train d’être déterminé par une dizaine de personnes basées dans la Silicon Valley ou en Chine. 

Jusqu'où peut aller leur ascension ? Google par exemple investit massivement dans le domaine de la santé, et certaines entreprises ont déjà  de forts intérêts politiques. Doit-on voir dans ces entreprises les dirigeants de demain ? Quelles sont les obstacles à un tel processus  et que penser de démarches comme la création d'un poste d'ambassadeur auprès de ces entreprises de la tech comme l'a fait le Danemark ?

Hélas, le vrai pouvoir est dans les plateformes numériques maitrisant l’IA. « Code is law » expliquait dès l’année 2000 Lawrence Lessig, professeur à Harvard. « Le logiciel dévore le monde » ajoutait en 2011 Marc Andressen, le créateur de Mosaic et de Netscape, les deux premiers navigateurs Internet. Ces deux penseurs de la société digitale ont vite compris que les systèmes experts allaient contrôler tous les aspects de la vie des citoyens, y compris leur rapport à la loi et à la politique. L’essentiel des règles n’émane plus du Parlement mais des plateformes numériques. Que pèsent nos lois sur les médias par rapport aux règles de filtrage de l’Intelligence Artificielle (IA) de Google et Facebook : rien ! Que pèse le droit de la concurrence face à l’IA d’Amazon : rien ! La loi va devoir se réinventer pour encadrer l’IA et donc notre vie. La gouvernance, la régulation et la police des plateformes d’IA va devenir l’essentiel du travail parlementaire. Le Parlement doit se moderniser : les parlementaires doivent comprendre que la vraie loi est produite par l’IA des géants du numériques, que leur rôle est d’encadrer ces derniers et qu’un bon parlementaire est nécessairement un bon connaisseur de l’IA. Oui si nous ne faisons rien, le pouvoir politique appartiendra aux géants du numérique. L’IA donne un avantage tellement fort à ceux qui la possèdent..., d’ailleurs, ne parle-t-on pas d’une candidature de Mark Zuckerberg aux prochaines élections aux Etats-Unis ? 

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