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Virginie Martin estime qu'il faut prendre des distances avec l'idée de "République française une et indivisible".
Virginie Martin estime qu'il faut prendre des distances avec l'idée de "République française une et indivisible".
©Reuters

Vraiment ?

Défendant l'idée d'un nouvel universalisme fondé sur les différences, Virginie Martin publie ce mois-ci "Ce Monde qui nous échappe" aux éditions de l'Aube. Celle qui débat régulièrement avec Jean-Sébastien Ferjou sur iTélé propose un nouveau modèle de société ; la République française une et indivisible ne s'accorderait plus aux changements du monde.

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

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Atlantico : Dans le but de faire émerger le concept de l'universalisme, un objectif pour notre société aujourd'hui, vous expliquez qu'il faut prendre des distances avec l'idée de "République française une et indivisible". L'Etat français se fonde sur une adhésion à des valeurs communes, à une nation homogène pour reprendre la définition d'Ernest Renan. Dans quelle mesure l'universalisme que vous décrivez peut-il répondre au changement de notre société ?

Virginie Martin : Ce que je dis dans le livre, c'est que souvent notamment en France avec notre cadre Républicain et ce concept de "République une et indivisible", dans un pays en plus qui a été un grand pays colonisateur, un pays qui a tenu longtemps une posture surplombante. Cela était presque légitime, il en avait le pouvoir, la puissance économique, diplomatique, militaire… C'était la conquête du monde.

De manière exogène - avec les pays colonisés par exemple que l'on allait éduquer - et endogène au sein même de nos frontières, on disait : "tu seras une et indivisible", à savoir, "tu ne seras pas un homme ou une femme", "tu ne seras pas un catholique, un juif ou un athée", "tu ne seras pas un noir ou un blanc", "tu seras un citoyen républicain de cette République une et indivisible". Ce schéma prône une espèce d'universalisme. Quand c'est exogène, la France demande donc à l'autre de lui ressembler : "moi je sais, je vais t'éduquer, te laïciser etc." voire même "je mets une administration française dans tout le Maghreb".

Et aux citoyens en France, de manière endogène, la République étant une et indivisible, elle ne peut pas voir les différences. Que l'individu soit une femme, soit noir, soit homosexuel, la République s'en moque puisque l'individu est un citoyen français, c'est tout.

Une fois que le monde change, qu'il s'ouvre et que les "diverses diversités"commencent à s'exprimer, - les femmes, les homosexuels etc. - on peut se demander à qui parle cette République en fait.

Quand on lève le voile sur ce projet républicain qui fait commun de manière assez facile, on se rend compte que ce modèle lisse toutes les différences, il les lisse excessivement.

Mais ce projet républicain les lisse au nom d'un principe plus fort, celui de la nation française !

Prenons la République française dans les années 40-50. Ce projet qui affirme faire commun au nom de principes supérieurs, ne bénéficie pas aux femmes qui n'ont pas le droit de porter plainte pour viol entre époux, qui ont à peine le droit de voter, ni aux Algériens encore sous domination française, et pas non plus aux homosexuels avec la pénalisation de l'homosexualité maintenue jusque dans les années 80.

Finalement on se rend compte que ce ne sont pas les principes qui sont supérieurs, c'est une sorte de caste un peu endogamique ultra blanche, ultra masculine, plutôt aisée, et qui peut  dicter finalement sa loi au nom de principes absolument supérieurs mais ayant oublié tout le monde.

Cela s'améliore car les différences se manifestent mais encore aujourd'hui on est à 25% d'écart de salaire entre les hommes et les femmes. Ce livre raconte cette "story telling" de cette République une et indivisible, pavée de bonnes intentions j'insiste, mais qui ne bénéficie qu'à un grand nombre, encore de nos jours, qui est généralement masculin, d'origine très franco-française, et plutôt présent dans des réseaux de domination, d'influence tel que les Francs-maçons même si je n'ai rien contre eux ! Quand elle est affolée comme cela a été le cas après les attentats de janvier, elle s'accroche à cela.

Il est temps que cette République, en tant que République démocratique, le devienne davantage. Si elle s'améliore depuis 1940-1950, il me semble qu'elle s'accroche toujours à cela. Je me pose aussi la question de cette République une et indivisible tant vantée et de sa légitimité. Combien de suffrage exprimé ? Que représente son socle de légitimité ? Entre 2 et 3 personnes sur 10 vont voter. Que fait-on des 7 autres ?

Ce "lissage des différences" pour reprendre votre expression n'est-il pas la clé de l'intégration dans notre pays ?

Vous n'allez pas tenter de changer de sexe si vous êtes une femme afin d'obtenir un poste à responsabilité. Vous êtes homosexuel donc vous ne pouvez pas avoir d'enfant ou léguer vos biens à votre conjoint, vous êtes musulman et vous ne pouvez pas prier dans ce pays…  A un moment donné vous avez le sentiment de ne plus pouvoir vous intégrer, vous vous heurtez à un plafond de verre

Lissons, mais imaginez le nombre de frustration !

De nos jours, ces marges ne sont plus endormies et on le doit notamment à l'ouverture du monde, le monde 2.0 et l'amélioration de la qualité de vie.  Et là tout d'un coup, cette République s'acharne à répondre : "la République est une et indivisible et continuez à vous taire" quelque part. Je me demande aujourd'hui à travers mon ouvrage comment nous pouvons sortir de ces tensions dans la société française, du "Mariage pour tous" aux revendications religieuses, car se contenter d'affirmer haut et fort "République surplombante une et indivisible" ne fonctionne pas. Le commun étant très compliqué dans ce pays, il faudrait travailler sur cet universel de différences et être dans une reconnaissance réciproque.

Vouloir segmenter la nation, n'est-ce pas prendre le risque de détruire l'Etat dans sa conception française ? N'y a-t-il pas en France un socle commun de valeurs, un héritage à préserver ?

Cela n'empêche pas un socle humain ! Je m'inspire d'ailleurs beaucoup des travaux de Ruwen Ogien sur le sujet. Mon interrogation est la suivante : pourquoi n'irait-on pas vers une éthique minimale ? Au lieu de se reposer sur quelque chose de très surplombant, venant du haut, et qui nous demande de nous lisser jusqu'à nous courber pour accepter ce commun, ne peut-on pas rester droit. Cette éthique minimale passe donc par la reconnaissance mutuelle. Ainsi, dans le cas du "Mariage pour tous", les homosexuels en faveur du mariage tout comme les catholiques hostiles respecteraient le point de vue de l'autre. Les individus peuvent être athées, catholiques pratiquants ou musulmans pratiquants, ils se reconnaissent mutuellement avec une éthique minimale ; "je ne t'agresse pas, tu ne me nuis pas, tu n'essayes pas de me conquérir et moi non plus". Attention, ce n'est pas du relativisme.  L'éthique minimale est de ne pas imposer son modèle, il n'y a pas un modèle surplombant un autre. Voilà ce que je propose même si je reconnais que ce n'est pas la panacée.

Cela fait écho notamment au principe des accommodements raisonnables que les Québécois acceptent bien moins aujourd'hui. Jusqu'où accepte-on la différence ? Quid du voile à l'université ou de la burka dans l'espace public ?

C'est la grande question, c'est la question à laquelle je ne peux répondre aujourd'hui mais que je pose sur le papier. Dans les pays anglo-saxons, est-ce que le voile gêne quelqu'un ? Absolument personne. Cette femme qui porte le voile par conviction, tradition, volonté, par plus ou moins contrainte… A un moment donné on peut faire confiance à ces individus réveillés qui disent "Je porte le voile." Et est-ce que cette femme qui porte le voile empêche une autre femme de porter une mini-jupe et d'aller se faire siliconer les seins ? C'est la vraie question. C'est là la reconnaissance mutuelle, et non une cohabitation qui serait stupide. Le hashtag que j'aurais voulu voir après Charlie et après l'Hypercacher, c'est le hashtag "Je suis libre". Au cours des manifestations, on n'a quasiment pas entendu les "Je suis policier", "Je suis juif" etc. Il y avait une forme de hiérarchie, quelle violence ! En plus on peut penser que Charlie Hebdo n'aurait jamais dû publier ces caricatures, c'est du moins mon avis. D'ailleurs les Etats-Unis n'ont pas montré la une de Charlie. Ce principe de liberté d'expression, tout puissant, permet de tout dire mais lorsque Dieudonné s'exprime on le lui interdit, il y a deux poids deux mesures. Charlie Hebdo aurait-il le droit de parler car il est laïcard, un peu sexiste et gentiment islamophobe et un peu christianophobe, parce que c'est un peu la culture de gauche ? C'est cette complexité du monde qu'on ne veut pas voir aujourd'hui. Je n'estime pas avoir entièrement raison, mais d'après moi les autres pensent vraiment avoir raison. Il est épuisant d'entendre toujours le même logiciel. Je propose une autre histoire, qui parfois me semble partiellement être pertinente, mais qui a le mérite de considérer le monde tel qu'il est. On peut refuser aux homosexuels le droit à la GPA et à la PMA, ils s'en fichent, ils vont en Belgique ! Le monde est ouvert !

On cède donc car on estime que l'on n'a pas le choix de faire autrement ?

Non, ce n'est pas céder d'après moi. La question est intéressante. J'écris dans mon ouvrage : "Celui qui domine de nos jours n'est plus assuré de la stabilité et de la pérennité sa domination. C'est le prix à payer pour que chacun ait sa chance." Il ne s'agit pas de céder, je le répète. Pourquoi l'hétérosexuel aurait la chance de connaitre la paternité ou la maternité, pourrait léguer son bien immobilier à son conjoint et l'homosexuel ne pourrait pas ? Les cadres très contraignants nous enlèvent beaucoup de droits, de possibilités et ne donnent pas la chance au plus grand nombre dans la diversité des demandes

Propos recueillis par Rachel Binhas

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