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La pire crise depuis 1945 ? 
Economiquement non, politiquement oui !
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Europe politique : année 0

L'Europe traverse-t-elle actuellement "sa période la plus difficile de l'après-guerre", comme l'a indiqué Angela Merkel ?

Marc Ferro

Marc Ferro

Marc Ferro est un historien français, spécialiste de la Russie et l'URSS. Il est co-directeur des Annales et directeur d'Études à l'EHESS.

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Atlantico : Angela Merkel a indiqué récemment que "l'Europe connaît peut-être sa période la plus difficile de l'après-guerre". Partagez-vous cette opinion ?

Marc Ferro : Il n'y a pas de doute que la crise économique qui existe depuis trois ou quatre années ainsi que le déclin de l'Europe comme puissance mondiale sont deux changements dramatiques. Techniquement, on peut s'inquiéter sur l'avenir de nos sociétés européennes. Mais prétendre que la situation est semblable à celle de 1945, c'est allé peut-être trop loin. L'Allemagne était en ruine, totalement détruite par la guerre. C'était le moment zéro de l'histoire de ce pays. La date n'est par conséquent pas tout à fait opportune. Par contre, l’essor de l'Europe initié au début des années 1950 semble effectivement brisé.


Quels sont les fondements propres à la crise actuelle ?

Nous avons créé l'Union européenne sur des bases rigoureusement économistes, sans y faire participer la population européenne. L'idée était riche en 1950 car elle a permis à la France et à l'Allemagne d'enterrer la hache de guerre. L'Allemagne a pu intégrer l'Europe même si elle était vaincue et déshonorée. La France a pu jouer un rôle moteur en Europe et retrouver une grandeur, une dignité. Tout ça ne portait cependant que sur des produits industriels : le charbon et l'acier. Adenauer y voyait d'ailleurs un vrai miracle. Tout s'est fait sous la table.

Quand on a signé le traité sur l'Europe agricole en 1957, Maurice Faure  témoigne dans ses mémoires qu'on est venu à Paris pour profiter de la crise algérienne et passer en force. L'Europe est une construction utile qui a été faite sans les populations et qui a abouti une vingtaine d'années après au rejet que l'on constate aujourd'hui.

L'émergence de puissances comme le Brésil, la Chine ou le renouveau industriel russe ont relayé l'Europe et les Etats-Unis dans un rôle qu'ils n'avaient pas imaginé. Subitement, avec les trois crises économiques et financières survenues depuis 2008, un ralentissement tragique fait apparaître un gouffre très inquiétant pour l'avenir. Depuis deux ou trois ans, ce sont les réunions des 7 ou des 20 qui imposent l'agenda, ce ne sont ni les Nations unies ni l'Union européenne. L'Europe, dont on dit qu'elle est une puissance économique, est surtout animée par les sursauts souverainistes de ses différents pays membres.



La crise actuelle est-elle vraiment différente des crises précédentes ?

En 1973, on avait vu dans le choc pétrolier le contre effet du conflit israélo-arabe. Une simple passe malheureuse. En fait, c'était la première agression d'une économie non européenne et non américaine sur l'Europe-Amérique. On n'a pas su interpréter alors l'offensive de l'OPEP. C'était pourtant l'amorce de forces internationales qui ont aujourd'hui une autre figure. Ce sont devenus des rivaux pour les anciennes puissances.

Ce qui se passe aujourd'hui est beaucoup plus grave. C'est l'annonce d'un avenir beaucoup plus sombre. Demain, les Chinois construiront des Airbus et des TGV. Peugeot, encore cette semaine, va délocaliser une partie de sa production. Il y a une cascade de désindustrialisation en France qui pourrait être une tactique opportune pour ne pas hausser les salaires.


Y a-t-il malgré tout des solutions pour s'en sortir ?

Il y a des vœux pieux. Il y a une gouvernance partiellement efficace entre les pays européens en matière bancaire et financière. Mais pas en ce qui concerne le secteur industriel. Un vrai gouvernement économique apparaît comme une utopie. Mais le jour où la Chine et l'Inde seront des concurrents encore plus dangereux qu'aujourd'hui, si on ne développe pas notre propre recherche, on fera face à un vrai problème. L'avenir est à la matière grise. Ni la France ni l'Allemagne ne semblent en prendre conscience.

La richesse virtuelle de la France, c'est qu'elle reste l'un des pays où il fait bon vivre. Il y a partout des écoles, des chemins de fer, des pharmacies, des commerces de proximité. On détruit actuellement ce réseau, ce tissu, qui faisait d'ailleurs que des industries asiatiques venaient s'installer en France. C'était un pays où l'on trouvait tranquillité et sécurité.

Aujourd'hui, les régions en essor industriel sont le Centre-ouest et le Midi. Il n'y a pourtant ni charbon, ni pétrole, ni gaz dans ces régions là. C'est bien la preuve que l'intelligence humaine peut permettre à des régions dépourvues de richesses souterraines de prospérer. En ignorant ce tissu et en négligeant la recherche, les gouvernements laissent péricliter les richesses de la France.

Actuellement, les gens ne sont pas secoués par l'émergence de nouvelles puissances mais par le chômage. Or pour l'instant, ce ne sont pas les pays émergents qui sont responsables du chômage mais la décentralisation. Au contraire, ces pays pourraient acheter nos produits, ce n'est donc pas le moment d'arrêter nos industries.

Propos recueillis par Antoine de Tournemire.

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