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Peut-on vraiment défendre la liberté de la presse en la mettant sous surveillance ?
©Pixabay

Liberté chérie

Emmanuel Macron compte faire reculer un peu plus la liberté de la presse en France. L’Etat contrôlait déjà l’histoire grâce aux lois mémorielle. Il encadrera bientôt l’information avec la loi contre les « fake news », en particulier au moment des campagnes électorales

Aurélien Véron

Aurélien Véron

Aurélien Véron est président du Parti Libéral Démocrate et auteur du livre Le grand contournement. Il plaide pour passer de l'Etat providence, qu'il juge ruineux et infantilisant, à une société de confiance bâtie sur l'autonomie des citoyens et la liberté. Un projet qui pourrait se concrétiser par un Etat moins dispendieux et recentré sur ses missions régaliennes ; une "flat tax", et l'ouverture des assurances sociales à la concurrence ; le recours systématique aux référendums ; une autonomie totale des écoles ; l'instauration d'un marché encadré du cannabis.

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Dans le viseur apparait clairement RT, le média implicitement soutenu par le pouvoir russe et hostile à Macron. Le texte à venir est non seulement inutile comme nous allons le voir, il est aussi porteur de dangers.

La liberté de la presse est déjà encadrée par une loi vieille de 137 ans. A côté de l’’injure et de la diffamation durement sanctionnées, l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit des amendes de 45.000 euros pour « la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler. » L’application de ce texte permet déjà de sanctionner la diffusion de fausses informations.

Pourquoi aller plus loin ? L’argument simpliste qui justifie pareille mesure, c’est la victoire de Donald Trump qui ne serait due qu’aux informations fallacieuses diffusées par la propagande russe. C’est gommer d’un trait les pratiques hautement contestables d’Hillary Clinton qui a mutilé elle-même sa campagne. Notons à ce titre que cet argument vient légitimer l’encadrement musclé de la presse par Poutine qui craint - à juste titre – l’utilisation de médias destinés à la propagande par les Américains depuis la guerre froide. Une fois de plus, la liberté de la presse va reculer en France au nom d’un intérêt général bien flou… dont la limite fluctue au gré des humeurs et des majorités.

Nos dirigeants politiques n’en sont pas à leur coup d’essai. La loi Dati du 4 janvier 2010 avait déjà contraint les journalistes à révéler leurs sources à la demande des juges au nom d'un « impératif prépondérant d'intérêt public ». Le parlement était un peu revenu en arrière avec l’amendement du 18 juillet 2016 à la loi visant à « renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias » (toujours se méfier de ce type de titre aussi ronflant que trompeur). Malgré son mépris pour la liberté de la presse, le parlement  avait restreint ce viol explicite du secret des sources des journalistes aux « atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation » et au terrorisme.

Le nouveau texte promet d’ébranler un peu plus l’indépendance de la presse. Tant que la Justice n’aura pas tranché une affaire, comment le gouvernement appréhendera-t-il la diffusion d’une information en pleine campagne électorale ? Pire : une fois interdites dans leur média d’origine, les informations jugées trompeuses seront évidemment reprises sur les réseaux sociaux et alimenteront le scepticisme et le cynisme d’électeurs de plus en plus défiants vis-à-vis de notre démocratie. Sommes-nous prêts à souffler sur les braises de ce populisme rampant ? L’affaire Cahuzac aurait-elle résisté à l’exigence de « vérité officielle » avant l’ouverture du procès, elle-même un peu accélérée par la pression médiatique ? L'Etat aurait-il fait interdire comme "fake news" les articles contestant son affirmation péremptoire sur le nuage de Tchernobyl s’arrêtant à la frontière française. 

Qui devra prouver la véracité d’une information, le diffuseur ou l’Etat ? Selon quelle procédure, judiciaire ou administrative ? Avec appel suspensif ou non ? Qui pourra déterminer la bonne foi ou la mauvaise foi du journaliste diffuseur ? Quelle procédure sera suffisamment robuste et rapide pour éviter le risque d’une décision arbitraire favorable aux intérêts électoraux du pouvoir ?  Cette nouvelle couche promet de transformer un peu plus chaque maillon de diffusion – sites, blogs, réseaux sociaux - en juges, tout au moins en délateurs de contenus. En ont-ils les moyens ? En ont-ils la compétence ? En ont-ils la légitimité ? D’autant que le simple fait de demander le retrait d’une information hostile constituera dorénavant un argument de campagne en soi. Cette guerre de communication menace de noyer définitivement les tribunaux déjà surchargés d’affaires plus importantes.

Nos quotidiens nationaux, qui mordent rarement la main de l’Etat qui les nourrit de subventions, ont déjà une bien faible image dans l’opinion des Français : 44% de crédibilité selon un sondage La Croix publié en février 2017 – en pleine campagne électorale -, ce qui reste supérieur aux 26% d’Internet. Ce même baromètre indique que 83% des Français ne sont pas dupes et s’estiment déjà exposés aux « fake news ». Le média RT, auteur ou non de fausses informations, n’a pas pesé bien lourd dans la balance électorale au vu du succès d’Emmanuel Macron. Qu’aurait changé la censure le cas échéant ? Rien. Ne perdons pas inutilement notre âme à la poursuite de dangers hypothétiques.

La censure de la presse et l’interdiction de parole ne se sont jamais révélées efficaces dans les dictatures qui sont les principaux régimes à y recourir. La vérité ne ressort jamais aussi bien qu’au terme de débats contradictoires, de la recherche de faits et de témoignages rigoureux. La principale sanction d’un média diffusant des informations malhonnêtes, c’est la perte de crédibilité. Au contraire, la censure peut renforcer la légitimité – à défaut de la crédibilité - d’un média dont la condamnation devient un fait d’arme contre « le système ». En fait, le ressentiment populiste ne se nourrit pas tant des fausses informations elles-mêmes que des restrictions croissantes à nos libertés essentielles.

Une dernière menace nous guette. Elle exigera de soigneusement décortiquer le texte proposé en nous projetant dans la configuration d’un gouvernement issu d’une majorité plus autoritaire et populiste. Emmanuel Macron suscite plutôt la confiance, peu de Français l’imaginent abuser d’un tel texte. Mais imaginez qu’en 2022 Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen accède au pouvoir. Cet outil, comme tant d’autres soigneusement mis en place par les pouvoirs successifs, livrerait en pâture nombre de libertés fondamentales. Voulons-nous jouer une fois de plus les apprentis sorciers avec des Droits fondamentaux ?

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