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Peut-on se fier à des banques qui ne se font même plus confiance entre elles ?
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Cercle vicieux

Alors que les Etats souhaitent que les établissements financiers se sèvrent de leur dépendance vis-à-vis de la BCE, le manque de confiance entre banques est encore et toujours d'actualité.

Alain Fabre et Eric Lamarque

Alain Fabre et Eric Lamarque

Alain Fabre est à la tête d’une société indépendante de conseil financier aux entreprises. Il a commencé sa carrière comme économiste à la Banque de France avant de rejoindre la Caisse des Dépôts et Consignations, puis la Cie Financière Edmond de Rothschild. Il a publié pour l'Institut de l'Entreprise L'Italie de Monti, la réforme au nom de l'Europe.


Eric Lamarque est professeur à l'université Montesquieu Bordeaux 4, et directeur de la chaire "Management des entreprises financières".

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Atlantico : D'après un article du journal britannique Financial Times, l'activité du marché des prêts à court-terme des banques européennes s'est réduite l'année dernière d'après un rapport, ce qui suggère que les institutions financières sont peu enclines à prendre des risques et comptent sur les prêts proposés par les banques centrales plutôt que de se prêter entre elles. Comment expliquer le fait que les banques peinent tant à se refaire confiance ?

Eric Lamarque : Depuis la crise Lehman Brother la confiance n’est pas totalement revenue. Les inquiétudes successives dues à la crise grecques, puis à la recapitalisation des banques espagnoles et la persistance des inquiétudes sur les pays du sud de Europe entretiennent une certaine méfiance. De plus, elles s’efforcent depuis plusieurs mois de renforcer leurs dépôts par une politique de rémunération attractive pour éviter d’avoir recours aux marchés.

Alain Fabre : La réduction de l'activité de prêts des banques est due à plusieurs facteurs qui se cumulent : tout d'abord, des fortes perturbations en zone euro qui n'ont vraiment disparu qu'avec la décision de la BCE en septembre dernier d'accepter la dette des Etats de manière illimitée.

Dans un contexte de défiance latente à l'égard de la zone euro, la dette des Etats refluait, notamment celle des Etats du sud, dans le bilan des banques nationales, et in fine dans celui de la BCE, ce qui accentuait les doutes sur la pérennité d'un tel système. Avec des taux qui demeurent élevés, en Espagne ou en Italie, les crédits à l'économie étaient sujets à des phénomènes de rationnement.

Mais cette situation est à présent clarifiée. Il faut souligner le rôle de déverrouillage du marché que constitue la mise en route du Mécanisme européen de stabilité (MES) qui a fourni 40 Milliards d'euros au système bancaire espagnol pour purger sa situation du fait des conséquences de l'implosion de la bulle immobilière et du reflux dans les bilans bancaires de la dette publique. Par ailleurs, les politiques économiques qui visent la compression de la demande intérieure ont pour effet mécanique de réduire les besoins de crédit à l'économie.

Il est clair que le système bancaire européen se trouve dans une phase de transition qui perturbe le sens des évolutions. Au-delà d'une période de transition, il est important de sortir de cette situation. C'est pourquoi le rétablissement de la solidité "perçue" des bilans bancaires est primordiale. Notamment si l'on veut que la transmission de la politique monétaire soit efficace. 

Les effets d'assainissement opérées par les politiques économiques seront d'autant plus efficaces que les banques continueront à alimenter les entreprises en concours, faute de quoi la spirale récessive pourrait alors s'accentuer et déployer des effets défavorables. Il serait dangereux de cumuler des politiques récessives avec des banques incapables de financer l'économie.

Selon l'auteur du rapport Richard Comotto, les opérations de refinancement à long terme (LTRO) opérées par la BCE pour fournir des liquidités aux banques incitent ces dernières à ne pas chercher d'autres sources de financement alors que les gouvernements souhaitent que les banques aient moins recours à l'aide de l'institution financière européenne. Les banques sont-elles vraiment dépendantes de la BCE? Quel danger représente cette dépendance ?

Eric Lamarque : L’observation des bilans bancaires montre que celles-ci déposent massivement à la BCE. La méfiance à l’égard des autres banques de la zone euro étant persistante, les banques préfèrent laisser le soin à la BCE de prendre des risques vis-à-vis d’elles, notamment via le programme LTRO  de fin 2011 début 2012.

Leur dépendance à la BCE est donc réelle et certaines essaient de se désengager en remboursant les sommes empruntées. Mais les plus fragiles ne le pourront pas et il faudra alors espérer que la BCE maintienne ce type de dispositif.

Alain Fabre : Il est exact que la BCE, par l'importance de ses interventions non conventionnelles, a permis aux banques de passer dans le calme la période de tension de la zone euro. Mais tout le monde sait que ce sont des mécanismes transitoires par définition. La démonstration a été faite que les politiques mises en place par les gouvernements de la zone euro et la BCE sont efficaces.

L'Irlande peut être citée en exemple. Dans le cas du Portugal qui a bénéficié de près de 80 Md€ d'aide, les signes qui vont dans le bon sens se multiplient. L'Espagne qui constituait le sujet le plus délicat en raison de son poids économique et bancaire a été résolu d'une manière adéquate. Les exportations espagnoles qui augmentent à un rythme plus rapide que celles de l'Allemagne montrent que le chemin de sortie de crise se fait par les échanges extérieurs. La solidarité européenne s'est avérée à la fois irremplaçable et efficace. On notera aussi que sous l'effet de la politique de Mario Monti qui a favorisé la  détente des taux italiens, l'Italie a évité à l'ensemble de la zone euro la mise en place d'une aide qui l'aurait fragilisée. On peut s'attendre notamment à partir du milieu de l'année 2013 à une perception plus nette  des tendances à l'assainissement à l'œuvre, à partir des indicateurs qui seront publiés dans les prochains mois.

Ces évolutions vont faciliter le retour à la normale et amplifier la réduction de la dépendance des banques à l'égard de la BCE. Cette dernière utilisera éventuellement une baisse de ses taux pour faciliter le retour à une plus grande autonomie des marchés.

D'après le classement du magazine américain Global Finance, seules 3 banque françaises, le Crédit Mutuel, la Banque Postale et la Caisse des dépôts sont dignes de faire partie des 50 les banques les plus sûres. Les établissements qui arrivent en tête sont la banque allemande KfW, suivie de la Bank Nederlandse Gemeenten et de la suisse Zürcher Kantonalbank. Qu'est-ce qu'une banque sûre aujourd'hui?

Eric Lamarque : Aujourd’hui une banque sûre est une banque qui doit répondre à deux séries de critères  financiers et stratégiques.

Au plan financier c’est une banque qui va au-delà des exigences réglementaires de fonds propres (normes dites de Bâle 3), qui est déjà en conformité avec les nouveaux ratios de liquidité et qui réduit sa dépendance au marché interbancaire et plus généralement au marché de la dette.

En d’autres termes une banque qui possède un ratio Crédit/dépôt proche de 100 %. Pendant des années les banques françaises ont développé l’offre de crédit à un rythme soutenu alors que l’épargne a été largement orientée vers l’assurance vie qui n’apparaît pas dans le bilan de la banque (on l’appelle de l’épargne hors bilan). Aujourd’hui le rapport crédits/dépôts est souvent plus proche de 125 – 130 % ce qui place les banques française sous une plus forte dépendance à l’égard du refinancement de marché. Les aspects de rentabilité opérationnelle sont également regardés mais surtout dans l’optique de consolidation des fonds propres grâce aux bénéfices.

Au plan stratégique une banque sûre est une banque suffisamment diversifiée en termes de clientèle (particuliers, entreprises, professionnels et professions libérales) et en termes de produits et marchés (banque, assurance, produits non bancaires). La présence de la banque postale n’est pas surprenante elle possède par exemple un rapport crédits/dépôts extrêmement favorable et elle bénéficie de la garantie de l’état en tant que banque publique. La caisse des dépôts reste un cas particulier, mais globalement les raisons sont identiques. Le crédit mutuel reste la seule vraie banque de détail française dans ce classement mais avec une clientèle principalement constituée de particuliers et de professionnels, cette banque possède assez naturellement une structure financière qui apparaît moins risquée. Il faut également prendre des précautions avec ces classements. On remarque une forte présence de banques régionales, de détail et beaucoup de banques coopératives : des établissement qui sont majoritairement orientés vers les particuliers, comme le crédit mutuel, une clientèle qui reste malgré tout moins risquée que les entreprises.

Alain Fabre :Depuis la faillite de Lehman Brothers, nous avons appris à faire preuve de prudence à l'égard des jugements des agences de notations ou des gourous internationaux auto-proclamés. Les classements fonctionnent sur une bonne part de critères auto-réalisateurs. À partir du moment où la plupart des Etats de la zone euro ont subi des abaissements de note, les classements les subissent. Le vrai jugement des marchés, ce sont les taux d'intérêt sur la dette des Etats, en raison en particulier de leur incidence sur les conditions des crédits à l'économie.

Or même sur les économies du Sud, les taux demeurent à des niveaux compatibles avec une alimentation normale des agents économiques en concours. Non seulement, la zone euro a fait son travail sur le plan de son organisation allant dans un sens fédéral marqué en 2012, ce qui réduit les craintes ciblées des marchés, avec désormais le lancement d'une Union bancaire, mais en outre les Etats et notamment les plus importants comme la France et l'Allemagne, se sont engagés dans une adaptation de leurs système bancaires dans le sens d'une plus grande séparation des activités de financement de l'économie et des activités de marché.

Au total, on peut observer que les gouvernements de la zone euro et la BCE ont su trouver les réponses à la crise financière et bancaire née aux Etats-Unis. Mais il y a une condition fondamentale à ce scénario vertueux : si l'on veut que la demande intérieure en Europe se reconstruise sur des bases saines par la réactivation de l'investissement productif rendu possible par la baisse des taux, il importe que les gouvernements poursuivent résolument leurs programmes d'assainissement financier. Car in fine la crise survenue est bien celle d'un excès d'endettement. Le changement historique que nous vivons depuis 2009-2010, c'est bien celui d'un désendettement généralisé. Une bonne part de la solution à la crise de fond que nous connaissons, se trouve dans l'aptitude du système productif à investir, ce qui créera la ressource permettant le désendettement. Or pour cela, les banques sont en première ligne, d'où l'importance de leur solidité. Laquelle en Europe est indiscutable.

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois

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