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Peut-on produire des voitures 
haut-de-gamme en France ?
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Passons la seconde

Comment expliquer l'incapacité des constructeurs automobiles français à égaler leurs concurrents allemands ou japonais ? Sont-ils condamnés à errer dans le production d'une "moyenne gamme", tandis que leurs concurrents couvrent une production allant du "bas au haut de gamme" ? La faute à une méthode encore perfectible...

Hubert Bonin

Hubert Bonin

Professeur d'histoire économique à Sciences Po Bordeaux.

Chercheur au Groupe de recherche en économie théorique et appliquée du CNRS de Bordeaux.

 

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Comment le fabricant de la voiture du peuple, Volkswagen, et celui d’une « caisse » de base, Audi, ont-ils réussi en un quart de siècle à « monter en gamme » et à mêler moyen-haut de gamme, d’une part, et haut/très haut de gamme d’autre part ?

Le syndrome Audi et BMW semble dès lors frapper les constructeurs automobiles français, incapables de suivre la même voie – et, au contraire, orientés vers du bas/moyen de gamme avec Dacia et la nouvelle 301. Les spécialistes et experts ont tous bien expliqué ce phénomène. Il est même aberrant puisque la France a su fabriquer du luxe dans l’entre-deux-guerres et dans les années 1950, Peugeot disposait de modèles moyen/haut de gamme historiques – comme l’a montré l’historien Jean-Louis Loubet – et que Renault avait semblé enclencher le processus de montée en gamme avec la R16 puis surtout l’Espace.

Produire pour le peuple

Nous donnerons ici quelques explications simples, sinon contestables, mais que nous croyons opératoires.

La première touche, croyons-nous, à un corpus de valeurs collectives socio-mentales : les idéologies, les valeurs, ont poussé à accroire que les firmes devaient « produire pour le peuple », « descendre en gamme », à partir de leurs modèles « moyens » (Frégate ; 203 et 403 ; DS) ; il fallait nourrir une démocratie de la voiture comme on devait populariser les objets de la grande consommation.

La philosophie dominante des années 1940-1970 au sein de Renault poussait à répondre aux idéaux de la nationalisation et d’une gestion publique par des progressistes plutôt de gauche ou « éclairés » – tels que ceux analysés par les historiens Patrick Fridenson et Cyrille Sardais.

Cela explique la continuité philosophique autant que technique entre la 4cv, la R4 et la Clio, entre la Dauphine (moyen/bas de gamme), la R8, la R9 ou la Mégane, voitures devant permettre aux conducteurs venus du peuple de se doter d’un véhicule adapté à leur nouveau statut de « petit bourgeois » – et Peugeot-Citroën a suivi la même voie avec ses 104, Ami 6 ou C2/C3,  vers le bas, et ses 204, 304/305 et autres C4, vers le milieu de gamme.

Bouleverser les modes opératoires

Pourtant, chaque constructeur a tenté la percée vers le haut de gamme, avec une belle réussite, l’Espace, et un lot de véhicules sachant rouler mais ne disposant d’aucune force d’attraction – au-delà des commandes pour les « flottes » des administrations et des entreprises (R20/30Safrane ; la gamme des 400, en particulier) .

Sans même parler du design, concepteur de « chars d’assaut » sans style séduisant, ce sont les déficiences de qualité et de confort qui ont été soulignées par nombre d’acquéreurs et de journalistes spécialisés.

Une explication nous paraît évidente : on a voulu fabriquer et vendre ce type de modèles en suivant les mêmes critères que le bas/moyen de gamme. Alors que le fameux « toyotisme » venait suggérer le respect d’exigences de qualité, il nous semble que les usines livrant ces modèles n’ont pas changé de « culture d’entreprise » ni de « culture technique » : on a fabriqué des voitures coûteuses, point barre, et on les a « distribuées » dans les réseaux banalisés.

Or, il eût fallu bouleverser le corpus de valeurs et de modes opératoires au sein des usines, des équipes : en sus des innovations techniques et du design, les révolutions BMW, Audi et Mercedes ont consisté à imposer des exigences drastiques de qualité, de « perfectionnisme », de méticulosité, le souci du moindre détail ; on y a brisé la « chaîne » productive, alors que, chez Renault ou Psa, la chaîne recomposée (avec la robotisation et autres progrès techniques, comme ailleurs) n’a pas vécu une recomposition des us et coutumes, une remise en cause du mode de fonctionnement « verticaliste », avec ses « grands chefs » et ses « petits chefs » ; on n’a pas assez responsabilisé TOUT le personnel quant à l’enjeu de dépasser le quantitatif au profit de l’hyper-qualitatif, de la « zéro panne » et du célèbre « zéro défaut ».

Il est vrai aussi qu’on y a maintenu les « rapports sociaux de production » classiques, forgés pendant les Trente Glorieuses, reposant chez Renault sur l’alliance entre syndicalistes et techniciens pour faire tourner la maison sur le terrain (avec des doses répétées de nouveaux avantages sociaux), et chez Peugeot sur un esprit disciplinaire strict (mâtiné de paternalisme social par ailleurs).

Or il fallait « briser » ces codes de valeurs partagées ou subies, changer l’état d’esprit, introduire un esprit d’entreprise socio-économico-technique rompant avec les passés ancien et récent. On n’a donc pas pu raviver l’esprit de la DS, de la 403 même, ni des « belles Renault » d’avant-guerre !

Attention, rien n'est joué...

Le processus de différenciation dans le design, le confort (les prix), la qualité, de la gamme DS ou de la nouvelle Peugeot haut de gamme marque un esprit de « rupture » à la fois matérielle et immatérielle. Mais, entre-temps, les concurrents (allemands, voire japonais aux États-Unis) ont occupé le terrain, enraciné une image de marque dans les valeurs des bonnes et grandes bourgeoisies, accumulé une capacité d’autofinancement énorme, qui leur permet de relancer la machine sans cesse et même de « descendre en gamme », vers des petites voitures « bonbonnières » (Mini, A, etc.). Un Asiatique parvenu achète ces marques comme il acquiert du luxe français pour ses alcools !

En fait, pour que ces gammes DS, Peugeot ou Alpine (en maturation) conquièrent des parts de marché et une force d’attraction psycho-sociale, cognitive, il faut appliquer la méthode et « l’esprit Hermès » à de nouveaux concepts de production, ceux de « l’atelier » : fabriquer en série du luxe/haut de gamme, avec des équipes dédiées, spécialisées, un constant effort de design, de conception en amont de la qualité (et non par de simples contrôles ex post).

On sent que, depuis une décennie, Psa s’est convaincue de la pertinence d’une telle stratégie et que Renault la découvre ; mais on est conscient des énormes besoins en temps et en argent pour effectuer et réussir de telles percées conceptuelles, techniques et commerciales ! Faire rouler des Citroën en rallyes (avec Loeb) ou des Peugeot aux 24 heures du Mans ne suffit pas à modifier sensiblement la perception durable des « riches » et « parvenus » au sein d’une économie des croyances où les facteurs de différenciation sont essentiels.

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