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Petit précis de philosophie pour l’électeur Républicain qui se demanderait si on peut voter pour un candidat “failli"
©AFP

Boussole

L'affaire "Pénélope Fillon" relance chaque jour un peu plus le débat de la mortalité en politique. Un électeur peut-il accepter l’absence de vertu d’un candidat, s'il juge le programme de ce dernier vertueux ?

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Jusqu’à quel point un électeur peut-il accepter l’absence de vertu d’un candidat lors d’une élection si ce dernier possède un programme qu’il juge vertueux  alors que son adversaire, qui est vertueux, présente un programme qui ne l’est pas ?

Plutôt que de vertu parlons d’honnêteté et,  pour répondre à votre question, soulignons que, d’une façon générale, si l’honnêteté d’un homme politique ne suffit pas à faire une bonne politique, aucune politique ne peut se passer d’honnêteté. S’il y a bien quelque chose qui choque dans n’importe quel pays que ce soit, c’est la malhonnêteté. Rien ne scandalise plus ceux qui se serrent la ceinture que de voir des hommes politiques au pouvoir s’en mettre plein les poches en fraudant ou en volant l’argent public. Regardons ce qui s’est passé au Brésil avec l’ex-président Lula et ce qui vient de se passer avec la présidente actuelle. Même si l’on est une personnalité hors normes, la malhonnêteté ne passe jamais. Cela dit, si la malhonnêteté n’est pas acceptable en politique, le zèle moral n’est pas acceptable non plus. Ainsi, quand un programme politique est bon et qu’il gêne, il arrive que l’on se mette à mettre en doute la moralité de celui qui est à l’origine d’un tel programme. Ce procédé est également utilisé quand on veut avoir le dessus dans une discussion. Que fait-on ? On ne s’intéresse plus au contenu du discours, mais à celui qui tient des arguments qui gênent, à son histoire, au contexte de la discussion. On sort du contenu du discours afin de trouver une faille dans le discours adverse. Quand cette pratique ne suffit pas, on a recours à l’argument suprême à savoir l’argument affectif du style « Tu dis cela parce que tu ne m’aimes pas » ou bien « Tu es intolérant », « Tu n’aimes pas l’autre, » ou bien encore, ultime argument « Tu es raciste ». En ce sens, il n’est pas toujours honnête de placer la discussion sur le plan de l’honnêteté de celui qui tient un discours. C’est là un procédé un peu facile pour faire oublier la question du contenu. A cet égard, il n’est pas scandaleux de dire que certaines causes ne sont pas mauvaises parce que ceux qui les défendent ne sont pas irréprochables. Il y a eu dans la Résistance des résistants qui n’étaient pas irréprochables. Cela n’invalide pas la Résistance pour autant. Les nobles causes sont souvent défendues par des hommes faillibles qui se trompent, qui tombent, avant de se relever. Les sages qui défendent la sagesse mettent du temps à devenir sages. Et les saints ne sont pas saints au départ.

Hormis l’instinct, comment est-il possible de justifier philosophiquement un tel choix ?

La question de la vertu en politique a été posée par Saint Augustin et par Pascal. À son époque, Saint Augustin a été confronté à une hérésie : le Donatisme. Cette hérésie a été le fait d’un certain nombre de chrétiens refusant d’obéir à leur évêque en jugeant qu’il n’était pas assez honnête. Saint Augustin s’est élevé contre ce purisme moral en expliquant que, si l’on demande à un évêque d’être un saint pour être évêque, construire l’Église devient tout simplement impossible. Il faut donc faire attention. Il peut être nihiliste de vouloir absolument que les hommes politiques soient des sages et des saints pour être des hommes politiques. Un État comme une Église se bâtissent avec les hommes tels qu’ils sont et non tels qu’ils devraient être. À vouloir faire de la perfection humaine la condition de l’action humaine on rend l’action humaine impossible. Un autre penseur a pensé comme Saint Augustin : Pascal. Dans les Pensées comme dans son Discours sur la condition des grands, celui-ci s’insurge contre les dévots qui veulent absolument que les hommes politiques soient parfaits. Quand tel est le cas, on débouche sur la terreur morale et la guerre civile. Pour cela, il importe de distinguer l’homme de la fonction et de respecter la fonction  et non l’homme. C’est ainsi qu’un État, comme une Église, peuvent tourner. D’où la fameuse formule de Pascal : Qui fait l’ange fait la bête ! Il ne s’agit pas bien sûr d’autoriser la malhonnêteté pour autant. Mais attention au discours qui demande à tout homme politique ou religieux d’être un saint pour être religieux ou politique. Revenons à la religion et à la politique. De quoi sont-ils faits : d’hommes qui sont ce qu’ils sont et qui font ce qu’ils peuvent. Plutôt que de voir en eux des hommes qui devraient être parfaits et qui ne le sont pas, voyons en eux des hommes imparfaits à qui il arrive parfois de faire de bonnes choses. On fera moins de dégâts. On évitera d’être des donneurs de leçon qui jugent la moralité de tout le monde sans rien jamais faire eux-mêmes. Le Christ mangeait avec des publicains, ces hommes imparfaits à qui il arrivait de faire de bonnes choses et non avec les pharisiens, obsédés par la moralité des autres.

Historiquement parlant, quels grands personnages historiques se sont retrouvés dans une telle situation ?

Le personnage historique qui s’est retrouvé dans cette situation et qui s’y trouve encore n’est  autre que Dieu. Regardons-le : pour faire l’histoire et sauver le monde que fait-il ? Il fait avec ce qu’il a, ce qui est, ceux qui sont là. Parfois ce sont des prostituées comme Marie-Madeleine ou bien encore des larrons comme le bon larron.  Même chose, le Christ diffuse son enseignement en s’appuyant sur des pécheurs locaux. Et ceux qu’il aime ne sont pas ceux qui se croient parfaits mais ceux qui, étant tombés, se relèvent, demandent pardon et reconnaissent leurs torts. Tous les grands mouvements politiques et spirituels se sont fondés sur des hommes et des femmes qui n’étaient pas géniaux au départ mais qui le sont devenus peu à peu. Il faut avoir de la miséricorde, dit Montaigne. Être moral, assurément. Mais arrêter de tenir de grands discours moraux. Si François Fillon ainsi que son épouse ont commis des fautes, ils doivent être sanctionnés. Mais il faudra se poser cette question à laquelle on n’a pas encore répondu. Qui a livré François Fillon au Canard ? Est-ce par amour de la vertu et de l’honnêteté qu’il l’a fait ? N’est-ce pas parce que François Fillon gêne quand il dit que la France étant en faillite il va falloir être rigoureux ? Autrement dit, la dénonciation de François Fillon au nom de l’honnêteté est-elle honnête ? Ce coup bas qui lui a été administré ne donne-t-il pas raison à la à la chanson de Guy Béart où il est dit que le premier qui dit la vérité doit être exécuté ?

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