Petit, moyen ou grand remplacement ? Voilà ce révèle vraiment la dernière étude de l’INSEE sur la démographie française<!-- --> | Atlantico.fr
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Des demandeurs d'asile arrivant en France font la queue à l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle, en région parisienne, le 30 août 2018
Des demandeurs d'asile arrivant en France font la queue à l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle, en région parisienne, le 30 août 2018
©ALAIN JOCARD / AFP

Nouveau rapport

Selon l'Insee, entre 1998 et 2022, la proportion d’enfants nés de deux parents français a reculé de 85,4% à 74% alors que les naissances issues de deux parents étrangers progressaient de 6,6 % à 11,5% et celles provenant d’un couple mixte de 8% à 14,4%.

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch est écrivain, essayiste et universitaire français. Il a enseigné l'image politique à l'Université de Paris XII, a contribué à l'élaboration de l'histoire de la littérature de la jeunesse et de ses illustrateurs par ses ouvrages et ses expositions, et a publié plusieurs ouvrages consacrés à l'Afrique et aux aspects sociaux et économiques de l'immigration en France. Il a notamment publié La France en Afrique 1520-2020 (L'Harmattan), La tentation Zemmour et le Grand Remplacement (Ovadia 2021), Le coût annuel de l'immigration (Contribuables Associés 2022).

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La dernière étude de l’INSEE avalise-t-elle la théorie du Grand Remplacement ? 

Dans son étude de mars 2023 dans INSEE références, l’INSEE constatait déjà que « entre 2011 et 2021, le nombre total de descendants d’immigrés a augmenté d’environ 1 % chaque année. En revanche, le nombre de descendants d’immigrés nés en Europe a diminué d’environ 1 % chaque année sur cette même période ». Le nouveau rapport publié en automne 2023 semble plus alarmiste. Entre 1998 et 2022, la proportion d’enfants nés de deux parents français a reculé de 85,4% à 74% alors que les naissances issues de deux parents étrangers progressaient de 6,6 % à 11,5% et celles provenant d’un couple mixte de 8% à 14,4%. Au total plus d’un quart des enfants nés en France aujourd’hui ont une origine immigrée. Les partisans de la théorie du Grand Remplacement doivent-ils crier victoire ? 

Des statistiques sous-estimées

Ces statistiques sont à consommer avec modération. Comme l’indique l’INSEE, elles ne portent que sur « les personnes vivant en logement ordinaire en France hors Mayotte ». La situation de Mayotte interdit toute approche statistique. Mais, même dans la métropole, il est  impossible de recenser des personnes vivant en squat ou dans des cités où les agents du recensement ne peuvent pénétrer et sont obligés de laisser le remplissage des formulaires au bon vouloir des « responsables » d’îlots. L’INSEE admet lui-même une marge d’erreur de 1 à 3%.

Plus généralement les personnes en situation irrégulière échappent très largement au recensement. Elles seraient  600 000 en métropole et 200 000 dans les DROM-COM  selon l’estimation de notre étude de 2023 pour Contribuables Associés sur « le coût de l’immigration en France », 600 à 900 000 selon les récentes déclarations de Gérard Darmanin, 900 000 en métropole comme l’a affirmé Patrick Stefanini   (Immigration ces réalités qu’on nous cache Robert Laffont 2020) mais  entre 1,359 et 1,762 millions  selon André Posokhow qui utilise un coefficient multiplicateur à partir des chiffres de l’Aide Médicale d’Etat  (Riposte Laïque 3/12/2023). 

Bref, les estimations de l’INSEE sur la proportion des descendants d’immigrés sont minorées même si les migrants en situation irrégulière ont beaucoup moins d’enfants que ceux en situation légale. Dans quelle mesure? Aucune réponse scientifique n’existe sur ce point. 

Des extrapolations hasardeuses

La tentation des partisans du Grand Remplacement consiste évidemment à prolonger la courbe enregistrée par l’INSEE jusqu’au point où elle s’inverserait et leur donnerait raison. Marc Vanguard, qui diffuse sur son compte X des statistiques sur les liens entre criminalité et immigration, écrit par exemple : « Le % de naissances d'ascendance extra-européenne pourrait potentiellement doubler dans les vingt prochaines années et franchir ainsi la barre des 50 % avant 2050 ». Selon l’auteur, une accélération du mouvement situerait la bascule en 2037, un ralentissement la repousserait en 2062. Il reconnait toutefois que cette estimation relève « plus de l’algèbre que des sciences démographiques ».

Cette extrapolation repose toutefois sur deux présupposés discutables.

La théorie du Grand Remplacement postule, dans sa version schématique courante, que c’est une population immigrée d’origine extra-européenne et essentiellement de religion musulmane qui remplacera une population française autochtone et de tradition majoritairement chrétienne. Or l’analyse de l’INSEE s’applique à l’ensemble des descendants d’immigrés et pas seulement à ceux d’origine extra-européenne.

Le rapport INSEE de mars 2021, qui contourne l’interdiction des statistiques ethniques, décompte 45% de descendants d’immigrés provenant du continent africain (Maghreb et Afrique subsaharienne), 11% du continent asiatique (incluant la Turquie) , 5% d’Amérique et d’Océanie et de non-déclarants, mais aussi 39% d’ Europe. Certes les moins de 18 ans originaires du Maghreb (41%) et d’Afrique subsaharienne (20%) représentent une proportion plus importante laquelle ne pourra qu’augmenter avec le différentiel de fécondité. L’ICF (Indicateur conjoncturel de fécondité)  qui mesure le nombre d’enfants qu’aurait une femme au long de sa vie,  s’établit  à une moyenne de 2,3 pour les femmes nées à l’étranger, avec des pointes à 2,5 pour celles du Maghreb et de 3, 3 pour celles d’Afrique subsaharienne  contre 1,7 pour celles nées en France.  Il s’agit d’une tendance lourde persistante.  Néanmoins, sur ces bases, la recherche du point de bascule se situerait bien au-delà du milieu du XXIe siècle.

Mais surtout les courbes démographiques mondiales suivent de moins en moins une trajectoire linéaire. Les variations du solde migratoire dépendent très largement de la politique des Etats et celles du solde naturel sont également liées au ressenti des résidents du pays en matière de conditions de travail, de rémunération, d’aides sociales, de logement, de bien-être et de sécurité. Un doublement sur 25 ans ne génère pas automatiquement un quadruplement sur 50. 

Des variables aléatoires 

Allons plus loin. Dans un univers conflictuel où le risque sécuritaire est permanent et où les comportements s’hystérisent, sans aucune régulation internationale, ce sont les bouleversements sociétaux tout autant que les conflits politiques et religieux qui structurent les vagues migratoires. 

Qui peut aujourd’hui prévoir l’impact du réchauffement climatique sur l’évolution des migrations ?  Selon l’étude de l’Université de Columbia publiée fin 2017 par la revue Science, une augmentation des températures de 4 à 5 degrés générerait un accroissement des demandes d’asile de 188% alors qu’une progression de 2% ne les augmenterait que de 28%. Or cette hausse des températures n’est qu’un des facteurs déclencheurs de la migration. Il faut y ajouter la montée des eaux et le recul du littoral, la salinisation des sols, ou l’avancée des déserts qui aggrave les conflits traditionnels entre pasteurs et agriculteurs. 

Les éruptions volcaniques, les tsunamis, les cyclones et les pandémies avec leur déploiement anarchique et les violences  émotionnelles qu’ils génèrent sont également susceptibles d’engendrer des flux d’autant plus incontrôlables qu’ils peuvent difficilement être anticipés, ou quand ils le sont, comme les failles tectoniques, c’est sans pouvoir maîtriser le calendrier des catastrophes annoncées. 

Ajoutons un dernier élément sur lequel peu de spécialistes se sont penchés : le développement lent et progressif de l’immigration virtuelle.  C’est aujourd’hui une réalité pour des banques, des opérateurs de télémarketing ou de télétravail, des plates-formes d’appel, des services déconcentrés de secrétariat et de gestion, que le recours à l’intelligence artificielle ne peut que  vivifier. Faire travailler des gens du Sud dans le Sud pour des pays du Nord qui les rémunèrent, certes moins bien que leurs collaborateurs du siège central, mais mieux que la plupart de leurs compatriotes. Ceux qui bénéficient ainsi d’ un salaire décent et régulier, préféreront-ils rester avec leur famille dans leur pays d’origine ou chercher ailleurs l’Eldorado qu’affichent les belles images de la prospérité ?  Il n'est même pas exclu que les résidents du Sud deviennent à leur tour producteurs de savoir et pas seulement consommateurs des bibliothèques du Nord. Il suffirait d’investissements judicieux dans les technologies de pointe et surtout dans la modernisation des infrastructures indispensables comme les réseaux électriques. C’est déjà le cas pour les médecines douces, la parapharmacie, les métaux rares, la création musicale et vestimentaire, la transcription du patrimoine de la tradition orale…

Pour ne pas conclure

Ces facteurs non maîtrisables mais décisifs pour mesurer l’exode ou la croissance des populations invitent à remplacer l’anathème par l’argument et l’insulte par l’écoute. Ils devraient inciter à la prudence quant aux « preuves » fournies à l’appui d’une théorie. Au moins -  et c’est tout l’intérêt des rapports de l’INSEE malgré les biais qu’ils comportent-  en substituant les chiffres aux rumeurs, permettent-ils de prendre la mesure des transformations en cours et de l’imprudence, voire de l’impudence qu’il y a, à considérer qu’ils nous donneraient les clés des évolutions futures. Hier est un miroir, aujourd’hui un cadeau, demain reste un mystère, aurait dit Lao Tseu. 

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