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Petit guide de survie en cas d'invasion russe : les pays baltes face à la menace de Moscou
©REUTERS/Baz Ratner

Alerte rouge

Face aux provocations à répétitions des forces militaires russes dans leur espace aérien, les pays baltes sont inquiets. A tel point que la Lituanie, par exemple, a publié un manuel de survie en cas d'invasion sur son territoire.

Matthieu Chillaud

Matthieu Chillaud

Matthieu Chillaud est un universitaire français installé en Estonie. Il est l'auteur avec avec Céline Bayou de Les Etats baltes en transitions. Le retour en Europe, (2012) chez Peter Lang.

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Atlantico : Le ministère de la Défense lituanien a publié un manuel de survie en cas d'invasion russe sur son territoire. Pour justification, il dit s’inspirer des événements en Géorgie et en Ukraine.  Les craintes de la Lituanie à cet égard sont-elles justifiées ?

Matthieu Chillaud : Les pays baltes, plus de vingt ans après avoir retrouvé leur indépendance, souffrent encore du syndrome de "l’enfant battu" vis-à-vis de la Russie : certains voient ce qui s’est passé en Ukraine comme une illustration de l’impérialisme russe à l’œuvre contre une volonté d’émancipation nationale, dont celle-ci est alors la victime comme leur pays de 1940 le fut de leur variante soviétique. Néanmoins, ils sont désormais membres de l’Otan et de l’UE. C’est d’ailleurs une différence de taille avec l’Ukraine. Et les trois pays baltes et la Russie en sont conscients mais cela n’empêche ni les uns ni les autres de bomber le torse en musclant leurs discours. J’ai encore en mémoire les propos récents du président estonien qui demandait de façon quasi tonitruante une présence armée permanente de l’Otan sur le territoire de l’Estonie, ce que refuse de façon tout aussi virulente les Russes. Je reste sceptique sur les risques réels d’une attaque armée "classique" contre les trois pays baltes. Par contre, nous restons dans une logique d’opposition lancinante : la Russie veut faire comprendre qu’elle est encore une puissance dans la région. C’est comme cela, à mon avis, qu’il faut analyser les nombreuses violations de l’espace aérien par les avions de l’armée russe, des pays baltes mais aussi en Finlande. Les moyens armés sont utilisés pour des objectifs de démonstration de puissance. A mon avis, la Russie a d’autres chats à fouetter qu’envahir les pays baltes.

Hormis un "manuel de survie" quelles sont les autres solutions mises en place par les pays baltes pour préparer leurs citoyens contre une hypothétique invasion ?

Ma réponse sera aussi simple que concise : aucune, du moins à ma connaissance.

En mai 2014, l’Estonie avait prévu d’assurer la continuité de l’Etat même en cas d’invasion russe, en réfugiant ses données clefs dans un cloud système, dont les serveurs seraient installés dans des ambassades. Quels pourraient être les autres moyens techniques mis en œuvre par les pays baltes pour protéger leur souveraineté ?

La souveraineté est un concept juridique. L’Estonie est certes un pays notoirement connu pour ses avancées technologiques mais je ne vois pas en quoi cela pourrait contribuer à la permanence de sa souveraineté. Il faut avoir à l’esprit que les trois pays baltes sont membres de l’OTAN et de l’UE. La configuration politico-stratégique n’est plus la même que celle qu’il y avait au lendemain du rétablissement de leur indépendance. Les trois pays baltes n’appartiennent plus seulement de facto à la communauté euro-atlantique mais désormais de jure.

Les anciennes républiques soviétiques (Lituanie, Estonie, Lettonie) doivent-elles réellement craindre le retour d’un impérialisme russe ?

Un impérialisme russe peut-être, mais sous quelle forme ? Encore une fois si vous faites allusion à une attaque armée je pense que c’est peu probable. Par contre, on peut craindre des formes "d’agressions" menées de façons beaucoup subreptices. Les intérêts russes sont nombreux et j’ajouterais même variés. L’économie, par exemple. Il y a aussi, de façon connexe, la problématique énergétique.

Les pays baltes sont membres de l’Otan et de l’Union européenne. En janvier 2015, la Lituanie est devenue le 19ème membre de la zone euro.  L’arsenal juridique et militaire qui en découle suffisent-ils à dissuader la Russie d’envahir ces pays ? Dans le cas contraire, cela ne reviendrait-il pas à déclarer la guerre à l’ensemble de l’Union européenne ?

L’article 5 de l’OTAN a un aspect autant préventif que réactif. En principe, quiconque entendrait attaquer un pays membre de l’Alliance atlantique devra faire face à l’ensemble des pays qui la composent. L’UE n’est pas une alliance militaire et, à ce titre, d’un point de vue juridique, je ne vois aucune raison en vertu de laquelle si on déclarait la guerre aux pays baltes, cela deviendrait une guerre contre l’UE. Le fait d’appartenir à la zone euro ne change a priori rien. Par contre, d’un point de vue politique, je me permets d’utiliser une litote que vous interpréterez comme vous voudrez : je vois mal l’UE ne pas réagir. Par contre, les moyens militaires seront totalement exclus. Si l’UE n’est pas une alliance militaire, l’Otan l’est, et si elle ne vient pas à l’aide de l’un quelconque de ses membres, a fortiori les pays baltes, elle n’aura plus aucune légitimité. La question la plus sensible actuellement est celle liée à la présence, ad hoc ou permanente, de forces de l'Otan sur le territoire des trois pays baltes. On prétend que cela aura un effet dissuasif sur la Russie. C'est possible. Mais mon sentiment, encore une fois, est que les trois pays baltes ne sont pas, ou plus, dans la "top liste" des priorités stratégiques de la Russie.

La présence d’une communauté russophone dans les pays baltes apporte-t-elle un risque supplémentaire d’annexion ? Doit-on alors craindre une montée de la russophobie ?

Certains parlaient il y a une vingtaine d’années d’un risque que la Russie utilisât les allogènes russophones comme une "cinquième colonne" pour reconquérir les trois pays, cela ne s’est pas réalisé. Si la majorité d’entre eux continuent à cultiver leur identité russe, cela ne signifie pas, pour autant, qu’ils soutiennent la Russie. Certes, il existe encore des "nostalgiques" mais on assiste, tout de même, à un changement de générations. Beaucoup de jeunes russophones, non seulement, s’estiment profondément estoniens, lettons ou lituaniens mais, en plus, se sentent étrangers à la Russie. Cette génération qui tend à parler la langue estonienne, lettone et lituanienne est de moins en moins ostracisée. J’attire aussi votre attention sur le fait que dans les catégories russophones on y met pêle-mêle tous ceux originaires de l’ancienne-URSS, les Ukrainiens inclus. Je vois mal Moscou pouvoir s’appuyer sur une catégorie aussi hétérogène pour pouvoir reconquérir ses anciennes provinces baltiques.

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