Petit éclairage venu de l’intérieur sur l’évolution des programmes du RN<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen et Jordan Bardella lors d'un rassemblement politique.
Marine Le Pen et Jordan Bardella lors d'un rassemblement politique.
©STÉPHANE DE SAKUTIN / AFP

Campagne des législatives

D'une campagne à une autre, Marine Le Pen et ses conseillers ont drastiquement fait évoluer le programme du Rassemblement National.

Leif Blanc

Leif Blanc

Leif Blanc est l'ancien conseiller ruralité du RN, et "coordinateur de terrain" pour Marine Le Pen lors du 2nd tour de l'élection présidentielle.

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Gaston Defferre avait baptisé ses voiliers du beau nom de "Palynodie". Une licence poétique qui honorait sa seconde épouse surnommée “Paly”, tout en narguant avec la même élégance contempteurs et courtisans.

La politique comme l'Histoire sont faîtes de revirements glorieux, désastreux, géniaux et le plus souvent minables. L’élégance y a rarement sa place. L'art de la fine manœuvre s'acquiert par la culture et l'expérience, viennent ensuite l'audace et la chance, car en politique comme en régate, seule la victoire est belle. Ceux qui prétendent le contraire sont soit des menteurs, soit des médiocres. 

En terme de manœuvre, tout a pour le moment été dit sur Emmanuel Macron et sa dissolution. Coup de génie ou désastre d'ampleur mondial au vu des tensions actuelles, l'avenir nous le dira.

Je laisse aux électeurs de gauche, dont je ne suis pas, le soin d'estimer la valeur de leurs jeunes apparatchiks à l'aune de Léon Blum, comme le suggèrent ces mêmes apparatchiks. Il peuvent aussi le faire avec Gaston Defferre, dont la légende est toute autre, mais le résultat risque bien d'être le même.

A l'inverse, je ne connais que trop bien le troisième sujet de préoccupation du moment : le programme du Rassemblement National. J'ai, une dizaine d'années durant, œuvré à ce vaste projet, plutôt dans l'ombre, et principalement autour des sujets touchant à la ruralité et à l'agriculture. Ce que je relate ici n'est donc pas une opinion, mais une suite d'expériences assez peu glorieuses.

Sur des sujets relativement médiatiques, comme la Politique Agricole Commune, l'abattage rituel ou la traçabilité des produits alimentaires, je n'arrive plus à compter le nombre de revirements de Marine Le Pen d'une campagne à une autre, et souvent même en pleine campagne. Avec, toujours, cette question angoissante : pourquoi changer et surtout pourquoi changer maintenant ? La brutalité et l'imprévisibilité des décisions de Marine Le Pen rendent les manœuvres d'autant plus dangereuses que la coordination de l'équipage est inexistante.

L'expérience venant, et pas mal de fatalisme avec, j'ai appris la prudence : rentrer la tête dans les épaules pour éviter les coups de bômes meurtriers, m'abstraire de toute idée de destination préalablement établie pour admettre qu’elles se valent toutes, et que rien n'empêche de vanter les charmes des échouages les plus incongrus, à condition de le faire avec autant de sérieux que d'imagination.

Je ne remercierai jamais assez les grands professionnels qui m'ont consacré des milliers d'heures de leur temps, se sont risqués à d'honnêtes accords et ne m'en ont pas trop tenu rigueur quand le consensus de la veille a fini en paillasson, sans que je sois moi-même capable d'en expliquer la raison. En dix ans, je n'ai jamais vu une opération destinée à nouer des liens solides avec la fameuse "société civile" aboutir à autre chose qu'au recasage électoral de profils astucieusement bricolés pour atteindre les meilleures sinécures.

J'ai déjà connu Marine Le Pen aux portes du pouvoir. Nous sommes en 2015 et elle est en position de battre Xavier Bertrand et le PS, d'autant que la proportionnelle est alors considérée comme le mode de scrutin le plus favorable à ce qui s'appelle encore le Front National. Je ne suis pas impliqué dans ces élections que je suis dans la presse et via le Parlement Européen. J'apprends ainsi que Marine repousse l'annonce de son programme, qu'elle juge mal calibré après de premières sorties médiatiques qui ont viré au désastre pour avoir appelé à “l'éradication de toute immigration bactérienne”. Dans la foulée, je suis contacté par l'équipe de campagne : je suis en week-end, j'ai du temps, on me demande de retravailler les volets agriculture et environnement du fameux programme qui m'est aussitôt envoyé. La mise en page est correcte, mais le contenu est d’autant plus incompréhensible qu’il comporte des affirmations qui ne collent en rien avec la ligne du FN de l'époque. Connaissant très mal la région pas encore Hauts-de-France issue de la fusion du Nord-Pas-de-Calais et de la Picardie, je me documente en utilisant un maximum de ressources numériques. Ce qui me permet de découvrir la source principale du mystérieux programme que l’on me demande de revoir : un copié collé des sites web des deux régions. Personne n'a relu puisque personne n'avait lu, et ce dans le coin de France comptant le plus d'élus marinistes.

On me répondra que l'équipe de l'époque était assez limitée, ce qui est la stricte vérité, et que les choses ont changé depuis, ce qui est également vrai : la majorité des protagonistes de cette campagne lamentablement menée ont désormais suffisamment de mandats pour ne plus être accusés d'incompétence.

Si l'avenir de mon pays et de mes enfants n'était pas en jeu, je pourrais remplir un ouvrage de ce genre d'anecdotes que l'on croirait satyriques, quand elles sont vertigineusement réalistes.

En trois campagnes présidentielles et pas mal d'autres aventures, je n'ai vu que des équipes pléthoriques, réorganisées en catastrophe, car inutilisables en l'état. Des programmes préparés avec tellement de soin et d'avance qu'ils nécessitent des replâtrages incessants, avant d'être abandonnés par pans entiers, au nom d'une conception du pragmatisme très éloignée du sens originel du terme. Il ne s'agit pas d'aboutir à un résultat concret, mais de fantasmer encore et toujours l'exercice d'une mission tellement supérieure qu'elle ne cesse de se dérober.

A ceux qui vantent les jeunes profils très diplômés qui entourent désormais Marine Le Pen, je rappelle que le cercle qui les a d’abord réuni comptait des gens aux cursus tout aussi impressionnants, qui ne les avaient pas attendu pour rouler très à droite et qui ont l'âge d'être leurs grands parents. Soit trois générations de brillants cerveaux occupés depuis leurs études à préparer la prise du pouvoir, mais toujours incapables de présenter un programme cohérent une semaine après une dissolution d’autant plus attendue que les stratèges du parti la réclamait avec un enthousiasme gourmand. Je leur suggère d’oublier l’Antiquité pour leur prochain cénacle et de se placer sous le patronage de Samuel Beckett, déjà propulsé par leurs soins auteur de science politique.

Sur les plateaux comme dans les journaux, certaines reliques du pré-chiraquien, ce temps que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître, se veulent rassurantes. L'administration assurera la continuité de l'Etat et fera rempart contre les éventuels écarts de politiciens inexpérimentés. Le sophisme est éculé. Il y a toujours des héros dans l'administration, mais il n'y a pas d’administration héroïque, ce qui est tout à fait normal, puisque l'héroïsme n'est pas sa vocation. J'ajouterai qu'en dix années de terrain et de dossiers, je n'ai jamais entendu une personne sensée demander un peu plus d'administration, ce qui se comprend assez facilement quand on a un peu vécu.

L’ultime parade aux positions dangereuses de Marine Le Pen serait, selon d’autres sommités, Jordan Bardella, le prodige dont la popularité explose. Jordan Bardella ? Ce jeune eurodéputé dont les adversaires ont souligné au fil des débats télé le manque de maîtrise des compétences et des tâches liées à un mandat qui vient pourtant de lui être renouvelé ? Jordan Bardella incarne incontestablement un nouveau RN débarrassé de nombre de ses vieilles lunes, mais cette nouveauté s’arrête souvent à la porte du siège du parti. Autonome dehors, sous tutelle des conseillers et collaborateurs de Marine Le Pen dedans. Ce sont ces derniers qui, à longueur d'articles de presse, expliquent comment ils vont réformer l'appareil d'Etat et remettre le pays en ordre sans maîtriser aucun des mécanismes institutionnels français et européens. Si Jordan Bardella devait retourner à Bruxelles, il se heurterait au même dispositif incapacitant, car le futur groupe (anciennement ID et pas encore reformé) est d'hors et déjà verrouillé par les proches de Marine Le Pen.

Derrière Jordan Bardella, Marine Le Pen est bien à la manœuvre, comme le montre la récente passe d’arme autour du rôle de chef des armées du Président de la République. Cette polémique est elle-même dans la pure veine de l’approche mariniste : une vision brutale et opportuniste d’une situation analysée par le petit bout de la lorgnette, et qui, dans le contexte actuelle, rappelle plus les embardées douteuses du PCF grande époque que le gaullisme dont elle se revendique. Au Figaro en 2022, Marine Le Pen disait ne pas vouloir “gouverner”, mais vouloir “présider”. Nous savons maintenant qu’elle n’attendra pas d’être à l’Elysée pour tenter de le faire.

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