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Petit bilan de la jurisprudence Balladur : condamnations, non-lieux ou relaxes, que sont devenus les mises en examen d’hommes politiques depuis 25 ans
©Reuters

Case prison, ou pas.

François Fillon mis en examen pour détournement de fonds publics, le candidats des républicains a été convoqué devant les juges d'instructions. Petit bilan des différentes condamnations depuis les années 90 et des décisions judiciaires.

Francis  Szpiner

Francis Szpiner

Francis Szpiner est un avocat français. Il a défendu plusieurs personnalités impliquées dans des affaires politico-financières dans les années  1990.

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Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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Atlantico : Quand on regarde les mises en examen impliquant les hommes politiques depuis les années 90, que peut-on observer ? A quelles décisions judiciaires ont-elles aboutis ?

Francis Szpiner : Je pense que personne n'a effectué de statistiques sur ce sujet, et que l'on peut trouver aussi bien des condamnations que des non-lieux. Si l'on regarde pour ce qui concerne les ministres, Alain Carignon (RPR) a été condamné, Jérôme Cahuzac (PS), qui ne conteste plus les faits reprochés, sera vraisemblablement condamné à l'issue de son appel. Christian Nucci (PS), dont j'étais l'avocat a lui bénéficié d'un non-lieu, et Gérard Longuet a été relaxé. Eric Woerth (UMP) a également bénéficié d'un non-lieu. 

Un nombre significatif de ministres et d'anciens ministres ont bénéficié d'un non-lieu. Cela pose la question de la trêve républicaine. Les contradicteurs de cette idée avancent le fait que nous serions toujours en période d'élection... Mais les élections municipales ne sont tout de même pas de la même nature qu'une élection présidentielle ! L'élection reine, celle qui rythme le cœur de la France est l'élection présidentielle. Et la mise en examen en période électorale comme aujourd'hui est de fait un choix dangereux. Car si le juge s'est trompé, c'est de nature à fausser la démocratie, et cela pose un véritable problème dans la mesure où nous nous retrouvons à un jour de la clôture des candidatures avec des juges qui mettent en cause la régularité de certains aspects de la vie publique d'un important candidat. Cela aurait du être fait la main tremblante, avec beaucoup de précautions, surtout sur un sujet où un débat juridique existe sur la nature des fonds, la qualité des dépositaires de l'autorité publique, la personne à même de contrôler le travail des parlementaires et le principe de séparation des pouvoirs.

Je ne suis pas l'avocat de M Fillon, mais quand je l'écoute, il est vrai que certains points m'interpellent : si des documents ont été remis par la défense de M Fillon, je trouve curieux qu'on le convoque à des fins de mise en examen avant même que des investigations soient faites pour vérifier ces éléments fournis par la défense, ce qui est finalement le témoignage d'une instruction à charge et à décharge. 

Deuxièmement, j'observe qu'on a envoyé cette convocation avant même les perquisitions... Le juge pourra toujours répondre qu'entre le moment où il envoie la convocation et le moment où il se présente, il peut changer d'avis, le faire devenir témoin assisté... D'ailleurs sur une partie des accusations à l'encontre de François Fillon, il faut noter que certaines, comme le trafic d'influence, n'a pas été retenu.

Gilles Gaetner : Ce que l'on peut remarquer c'est que vous avez des hommes politiques de gauche qui ont été relaxés ou qui ont bénéficié d'un non-lieu, et pourtant on n'en a plus du tout entendu parler. 

Par exemple Dominique Strauss Khan, avec l'affaire du Sofitel, a complètement arrêté la vie politique. Ou encore Roland Dumas qui a été relaxé lors d'un second procès dans l'affaire Elf Aquitaine et qui a également arrêté.

En revanche, certains des élus qui ont été condamnés n'ont pas eu trop de problèmes pour se maintenir dans la vie politique. Le cas type c'est Patrick Balkany qui a été condamné mais qui a réussi à se faire réélire. Ce qui fait que la casserole a été plutôt bénéficiaire pour lui.

A l'inverse, Alain Carignon ancien maire RPR de Grenoble, qui a été condamné pour une histoire de détournement et d'abus de bien sociaux et a fait de la préventive et de la prison ferme, a été dans l'incapacité de revenir aux affaires.

Vous avez aussi le cas de Robert Navarro ancien premier secrétaire de la fédération de l'Hérault du Parti Socialiste qui lui a été condamné et a, semble-t-il, disparu de la circulation.

On peut aussi citer le cas d'Éric Woerth qui a été complètement assommé par les affaires. Il était totalement soutenu par Nicolas Sarkozy et l'UMP. Il a eu sa relaxe et son non-lieu trois ans après les faits. Si François Fillon est élu, il redeviendra très certainement ministre.

Il faut aussi se dire que la plupart des hommes politiques qui ont été condamnés, ou qui ont bénéficié d'un non-lieu ou d'une relaxe, c'était quand même des faits assez importants qui leur ont étaient reprochés. C'est la grande différence avec la démocratie scandinave, notamment en Suède où la ministre des Affaires étrangères avait été obligée de démissionner parce qu'elle avait acheté une barre chocolatée sur les fonds publics ! On est quand même plus cool en France. Il faut se rappeler qu'avant 1981, très peu d'hommes politiques étaient alpagués pour des affaires financières.

Quelle est la proportion de condamnations entre les personnalités de gauche et de droite ?

Francis Szpiner : Si certaines personnalités de droite ont été condamnées, beaucoup de celles qui sont de gauche l'ont été aussi ! Soyons clair : la notoriété de l'excellent juge Renaud Van Ruymbeke s'est faite sur l'affaire Urba, qui concernait le financement occulte du Parti socialiste français...

Gilles Gaetner : Pour moi c'est 50 50. Il faudrait regarder les statistiques. On peut noter que quand il y avait eu l'affaire Urba, beaucoup d'hommes de gauche avaient été mis en examen mais avec l'amnistie ils ont échappé à tout.

Dans quelle mesure ces affaires, même si elles ont pu donner suite à un non-lieu, ont-elles pu être préjudiciables aux hommes politiques concernés ?

Francis Szpiner : La vraie question est celle de savoir si la jurisprudence "Balladur", qui exige la démission des ministres mis en examen est une bonne ou une mauvaise jurisprudence. Pour ma part, je pense qu'elle est mauvaise. D'abord, aucune affaire ne ressemble à aucune autre. Il y a des accusations qui peuvent être assumées, et d'autres difficilement : vous ne pouvez pas être ministre du Budget et accusé de fraude fiscale par exemple. En revanche, faire une règle qui ne tient pas compte de la qualité des incriminations est dangereuse : si demain je dépose une plainte pour diffamation contre une personnalité qui pourrait être ministre, cas dans lequel la mise en examen est automatique, cela n'a pas la même teneur. Cette mise en examen n'aura donc pas été faite dans le cadre d'une enquête de droit commun. Cette jurisprudence Balladur est donc pour moi le contraire de l'esprit de justice.

Deuxièmement, cette règle bafoue la présomption d'innocence. Par son côté absolu, cette jurisprudence était une erreur. 

Bien évidemment, il faut bien prendre en compte les circonstances, et si l'on prend la vie politique aujourd'hui, à part des périodes brèves, les carrières politiques dans la durée au niveau ministériel se sont considérablement raccourcies du fait des alternances notamment. Aujourd'hui, lorsqu'on est écarté d'un gouvernement pour une mise en examen, le temps que la justice statue, il peut se passer quatre ou cinq ans, c'est-à-dire autant de vie publique perdue. Entre le non-respect de la présomption d'innocence et de la disproportion du résultat de la conséquence d'une mise en examen, cette jurisprudence est biaisée.

Gilles Gaetner : Ce qui est intéressent c'est ceux qui ont été condamnés et qui réussissent à sortir la tête de l'eau.

Henri Emmanuelli, ancien trésorier du PS et ancien président de l'Assemblée nationale a été condamné pour trafic d'influence pour l'affaire Urba et il est revenu ! Il a été réélu.

Un des seuls qui a eu un non-lieu qui a continué la vie politique et qui n'a pas trop souffert, c'est Gérard Languet. Il avait été mis en examen et avait démissionné mais est finalement revenu.

Il y a une école qui dit que le peuple est souverain, que c'est lui qui décide de l'éligibilité (par exemple pour Patrick Balkany ou Henri Emmanuelli) que la décision judiciaire est inférieure à la décision du peuple. Et il y en a d'autres qui ne tiennent pas compte de la condamnation et qui vont quand même à l'élection. C'est un peu la méthode François Fillon et c'est le cas d'Alain Carignon.

A l'inverse beaucoup de gens considèrent que dès l'instant qu'un homme politique a été condamné, il ne doit plus revenir. C'est le cas de Jérôme Cahuzac qui ne reviendra plus. Il y a même des juristes qui considèrent que tout homme politique condamné à une peine de prison ou une sanction devrait être inéligible à vie. Mais ce n'est pas possible sur le plan constitutionnel.

Est-ce que ces procédures ont vraiment du sens quand on voit les moyens déployés par la justice ? Ces affaires sont très complexes et prennent beaucoup de temps ? Est-ce que le jeu en vaut vraiment la chandelle ?

Gilles Gaetner : Dans tout Etat de droit, tout délinquant doit répondre de ces actes lorsqu’ils sont susceptibles d’être répréhensibles. Depuis une vingtaine d’années, grâce aux nouvelles technologies et grâce à des montages sophistiqués, des élus réussissent à mettre de l’argent à l’abri des regards indiscrets. Aussi, rien de surprenant que la justice consacre du temps – donc de l’argent- pour tenter de les alpaguer. Parfois, les choses sont rapides, comme dans l’affaire Cahuzac, parfois lentes comme dans les divers dossiers dans lesquels le député- maire de Levallois, Patrick Balkany se voit poursuivi actuellement. IL est vrai, que le dossier de l’ancien ministre du Budget était relativement simple : il concernait un seul compte bancaire -600 000 euros détenus à l’ UBS-, alors que celui de Balkany se noie dans un dédale de montages relativement sophistiqués. C’est vrai que les dossiers complexes nécessitent beaucoup de moyens, notamment en hommes –police financière- et que les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances de la justice. La relaxe du marchand d’art Wildenstein en première en instance en témoigne. Il est arrivé aussi que la justice enquête pendant des années pour arriver à un résultat plus que décevant : ainsi, dans l’affaire Elf, à la fin des années 90, les juges d’instruction n’ont pas ménagé leurs efforts pour mettre au jour une financement politique d’Helmut Kohl par le groupe pétrolier, via la construction de la raffinerie de Leuna dans l’ex-Allemagne de l’ Est. Maurice Thorez disait en 1936 : « Il faut savoir terminer une grève » Il en est de même pour une instruction. Quand elle ne débouche pas, il faut savoir y mettre fin.

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