Pétages de plomb en série : le scandale du renoncement français à une politique efficace de suivi psychiatrique<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Pétages de plomb en série : le scandale du renoncement français à une politique efficace de suivi psychiatrique
©Reuters

Parent pauvre

Dijon, Nantes, même scénario : un déséquilibré lance son véhicule sur une foule innocente. Deux actes isolés, mais d'une violence inouïe, qui posent la question du suivi médical des malades psychiatriques dangereux.

Alexandre Baratta

Alexandre Baratta

Psychiatre, praticien hospitalier, Alexandre Baratta est expert auprès de la Cour d'appel de Metz, et expert associé à l'Institut pour la Justice. Il est également correspondant national de la Société médico-psychologique

 

Voir la bio »

Atlantico : Les tragédies de Dijon et de Nantes, au cours desquelles des déséquilibrés ont foncé aveuglément dans la foule au volant de leur véhicule interrogent sur le suivi psychiatrique en France. Ces drames signifient-ils que des individus aux troubles psychiatriques potentiellement dangereux peuvent frapper des innocents n'importe où et n'importe quand ?

Alexandre Baratta : La question de la dangerosité des malades mentaux (les personnes souffrant de schizophrénie) a fait l’objet de recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) publiées en décembre 2011. Les études démontrent que les patients schizophrènes présentent un risque de commettre des actes violents 2 fois plus souvent que des sujets sains.Si une consommation de toxiques (cannabis, alcool, autres stupéfiants) se surajoute à la maladie mentale, ce risque est multiplié par 9. Si à cela vous rajoutez une personnalité anti sociale (structure psychopathique), ce risque est d’autant majoré.

Les passages à l’acte agressif de schizophrènes sont fréquents, et ne font que rarement l’objet d’une couverture médiatique. Rien que dans ma pratique d’expert judiciaire, j’ai été amené à évaluer 4 sujets souffrant de schizophrénie auteurs d’homicide en France courant 2014 et 12 autres auteurs de faits de violences graves (agressions à l’arme blanche, viols, actes incendiaires). Combien ont connu une couverture médiatique ? Seuls 2 sur les 16 ont suscités moins d’une dizaine de lignes dans la presse régionale.

Les 2 affaires que vous citez ont connu une large couverture médiatique non pas parce que l’œuvre de fous ou de déséquilibrés, mais du fait du mode opératoire et d’un éventuel lien avec les recommandations djihadistes préconisant entre autre les attaques à la voiture.

Nesser-Edin B, le chauffard de Dijon, diagnostiqué schizophrène avait déjà effectué 157 séjours en hôpital psychiatrique depuis 13 ans. Après une telle période de suivi médical, les médecins ne pouvaient-ils prédire, en aucun cas, un passage à l'acte ?

La question que vous posez est celle plus générale de l’évaluation du risque de violence chez les personnes aux antécédents d’actes de violence qu’elles souffrent de schizophrénie ou non. D’une façon générale, il s’agit d’un sujet tabou pour nombre de psychiatres en France. Il est remarquable de constater une corrélation directe entre l’âge des psychiatres et leur opposition idéologique à cette question.

Nous savons que l’évaluation psychiatrique telle qu’elle est pratiquée en France n’est pas fiable pour évaluer un tel risque. Souvenons-nous des experts qui  prétendaient que le tueur en série Emile Louis n’était pas dangereux ; ou encore l’affaire Agnés Marin lorsque l’expert concluait à l’absence de dangerosité chez l’adolescent qui était aussitôt placé en internat mixte ; ce dernier violait et tuait une jeune fille quelques mois plus tard.

Il en va globalement de même chez les personnes souffrant de maladie mentale, mais de façon moins caricaturale. En effet, les psychiatres savent reconnaître les signes inquiétants chez leurs patients souffrant de maladie mentale. Mais lorsque la maladie mentale est stabilisée, la question de la sortie d’hôpital se pose : rien ne garantit alors que le traitement sera pris correctement ; ni que le patient ne consommera pas à nouveau des toxiques (cannabis  alcool…).

Puisque les séjours courts en établissement psychiatrique ne permettent pas la guérison des patients de ce type, les hospitalisations longues sont-elles une solution ? Vous, en tant qu'expert, que préconiseriez-vous pour ce genre de cas ?

Vous mettez le doigt sur un sujet particulièrement sensible : les séjours en psychiatrie diminuent comme peau de chagrin depuis 20 ans. Pour une simple raison, extérieure aux psychiatres : le nombre de lits diminue ! Les gouvernements successifs voulant faire des économies, et le nombre de malades mentaux étant constant, une seule solution. Il faut mathématiquement raccourcir la durée des séjours et poursuivre les soins en ambulatoire, y compris chez les patients partiellement stabilisés (donc à risque aigu de rechute, donc encore potentiellement dangereux). Ceci afin de libérer la place au plus vite pour hospitaliser ceux qui sont dans un état encore plus préoccupant.

La schizophrénie est une maladie incurable : on ne peut la guérir, mais il est possible d’en soigner les symptômes (sous réserve d’un traitement pris à vie). Pour les patients les plus dangereux, des établissements spécialisés existent : les Unités pour Malades Difficiles (UMD).

Les Unités pour Malades Difficiles (UMD) sont des structures psychiatriques hautement spécialisées, destinées à soigner des malades mentaux dangereux. Historiquement, 4 UMD ont ouvert sur le terriroire dont celle de Sarreguemines, actuellement la plus importante. Tous les malades mentaux dangereux de France sont orientés vers ces 4 UMD. Le dénominateur commun de ces patients est la violence : tous sont pourvoyeurs de violences graves pouvant aller jusqu’à la mutilation, l’homicide et/ou le viol.

Hélas, le nombre de places disponibles en UMD était insuffisant pour absorber tous les malades dangereux, certains devant être soignés dans des hôpitaux classiques. Seule une succession de drames a permis l’ouverture de 6 nouvelles UMD entre 2008 et 2011. D’abord le drame de Pau en 2005 où 2 soignantes étaient tuées par un schizophrène. Ensuite celui de Grenoble en 2008 où un schizophrène tuait un étudiant dans la rue. Sous l’impulsion du précédent gouvernement, 6 nouvelles UMD avaient ouvert sur l’ensemble du territoire, et il s’agissait d’une grande évolution positive.

Pour une raison incompréhensible, l’existence même des UMD est remise en question. Notre actuelle ministre de la Santé estime problématique l’identification de la notion de dangerosité, à l’origine de l’admission des patient en UMD. L’existence même du principe de dangerosité est remise en question.

Nous retrouvons là le principe du déni de réalité, avec le même aveuglement idéologique frappant certains psychiatres passéistes : la dangerosité n’est qu’un concept flou n’ayant aucune existence propre. 

C’est ainsi que la Loi du 27 septembre 2013 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins sans consentement a abrogé l’existence légale des UMD purement et simplement. Les UMD ont cessé légalement d’exister depuis plus d’une année, et ceci sans aucun relais médiatique, et dans l’indifférence totale des psychiatres de France.

Ce type de tragédie révèle-t-il un dysfonctionnement profond de notre système de santé psychiatrique ? 

Non, nous ne pouvons parler de dysfonctionnement du système de santé psychiatrique : c’est révélateur du fonctionnement "normal" de la psychiatrie. Les UMD n’ayant plus de statut légal, et le nombre de lits d’hospitalisation diminuant de manière constante, les psychiatres ne peuvent pas réaliser de miracle. Le nombre d’actes de violence (pouvant aller jusqu’à l’homicide) commis par des schizophrènes est constant depuis plusieurs années, ne donnant lieu, le plus souvent, à aucune couverture médiatique. Il faut bien comprendre que le contexte de menaces terroristes a jeté une lumière crue sur 2 actes fous. Bien d’autres se sont produits dans la plus grande indifférence en 2014 et d’autres se produiront en 2015, sans que personne ne s’en émeuve.

Finalement ces actes isolés, oeuvres de déséquilibrés, sont-ils, par leur nature même, incontrôlables ?

En théorie, ces actes peuvent être "contrôlables" dans une certaine mesure : traitements bien suivis, abstinence de consommation de produits stupéfiants, surveillance ambulatoire rapprochée. En cas de risque de décompensation, il est possible de les hospitaliser sous contrainte : encore faut-il qu’un lit soit disponible en hôpital psychiatrique…dans l’hypothèse d’un malade mental  "incontrôlable", c’est-à-dire non stabilisé avec les traitements neuroleptiques, la possibilité de le transférer vers une UMD est possible… sauf que les UMD n’ont plus de statut légal grâce à notre ministre de la santé.

La suppression du cadre légale des UMD induit une vulnérabilité constitutionnelle déjà exploitée par certains patients. Le risque à moyen terme étant la disparition pure et simple des UMD. Dans une telle hypothèse, qu’en sera-t-il de la prise en charge des malades dangereux en France ?

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !