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Les personnes séropositives commencent à retrouver une espérance de vie qui se rapproche de celle des personnes qui n’ont pas été contaminées. Mais avec quelle qualité de vie ?
©Reuters

SIDA

Malheureusement, le maintien en vie peut s'effectuer au prix de biens des difficultés et inconforts.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : selon une étude du groupe américain Antiretroviral Therapy Cohort Collaboration publiée dans The Lancet HIV, l'espérance de vie des malades souffrant du sida aurait augmenté en Europe et Amérique du Nord au point de quasiment rattraper celle de personnes non-atteintes. Comment expliquer cette amélioration? 

Stéphane Gayet : Le début de la pandémie (épidémie mondiale) de sida semble avoir commencé en 1981. On sait à présent que le virus est passé du singe (chimpanzé, gorille) à l’homme. C’est comme si une bombe d’une puissance hors du commun avait éclaté successivement sur plusieurs continents. Au cours des premières années de la pandémie, schématiquement la première décennie, la survenue d’un sida avéré ou sida maladie chez une personne était en pratique une condamnation à mort. On disposait certes de plusieurs médicaments antiviraux efficaces sur les rétrovirus, mais la plasticité du virus était telle que des résistances apparaissaient systématiquement et même rapidement sous traitement, ce qui se traduisait en pratique par un échappement de l’infection au cours de la prise en charge thérapeutique. Pendant ces années 1980, les services de maladies infectieuses étaient remplis de malades sidéens qui enchaînaient les hospitalisations, mais finissaient malheureusement par disparaître en proie à d’affreuses infections opportunistes que l’on traitait tant bien que mal, mais avec une efficacité de plus en plus faible en raison de la progression inéluctable du déficit immunitaire dû au virus VIH.

Peu de maladies potentiellement curables ont fait l’objet d’autant d’investissements, de dépenses, de rapports, de congrès, de travaux de recherche et donc de publications scientifiques, que l’infection par le virus VIH. On s’est rapidement aperçu que l’on avait affaire à un virus que l’on peut qualifier de machiavélique. Ceci en raison de la nature de son pouvoir pathogène, consistant à s’attaquer aux cellules immunitaires précisément chargées de le neutraliser, en raison de son mode de réplication très particulier (son ARN est répliqué en passant par un ADN intermédiaire à l’aide d’une enzyme qu’il apporte avec lui : la transcriptase inverse) et en raison de son fort potentiel d’évolution et d’adaptation.

Mais vouloir c’est pouvoir, et quand on se donne les moyens, on finit par atteindre son objectif. De nombreuses molécules antirétrovirales ont été mises au point par des scientifiques de plusieurs continents. Mais il a fallu se rendre à cette évidence : le virus VIH est trop plastique pour pouvoir être vaincu par un seul antirétroviral à la fois. On a de ce fait fini par instituer le principe de la poly thérapie en tant que règle thérapeutique. Car, quand on associe systématiquement plusieurs antirétroviraux entre eux – ayant des modes d’action différents, c’est important - chez un même malade, la probabilité pour que la ou les souches de virus de ce malade parviennent à résister à tous les produits à la fois est négligeable, proche de zéro. Mais avec les bi thérapies, il y avait encore des échecs, d’où l’avènement de la trithérapie comme la méthode générale de prise en charge médicamenteuse des personnes infectées par le virus VIH. Et cette trithérapie a largement fait ses preuves : l’espérance de vie des personnes infectées par le virus VIH et sous triple chimiothérapie antivirale, s’est de fait rapprochée de celle des personnes indemnes de l’infection. C’est de façon incontestable un énorme progrès qui date de l’année 1996. Il a donc fallu 15 ans pour maîtriser une infection virale machiavélique et effroyable. C’est à la fois long pour tous les malades morts du sida avant cette date, et court eu égard à d’autres maladies meurtrières qui peinent tant à régresser depuis des décennies. Mais répétons-le, on a investi dans la recherche sur le sida comme dans presque aucune autre maladie. Ce qui a fait dire au professeur Marc GENTILINI à la fin des années 80 : "L'humanité ne mourra probablement pas du sida, mais on ne peut exclure l'éventualité qu'elle meure de son coût".

Si l'espérance de vie est améliorée, la qualité de vie en est-elle pour autant meilleure? 

Mais il ne suffit pas de donner des années à la vie, encor faut-il lui conserver l’essentiel de sa qualité. Or, si la tri thérapie a réellement transformé les malades infectés par le virus VIH en malades chroniques comme beaucoup d’autres, elle ne les a pas guéris et de plus elle est pourvoyeuse d’effets secondaires dont certains dégradent la qualité de vie et d’une façon non négligeable.

Ces effets varient bien sûr selon les produits. Les antirétroviraux les plus prescrits (inhibiteurs de la transcriptase inverse, l’enzyme virale clé) sont toxiques pour les reins et contribuent à déminéraliser les os (fragilisation de la trame osseuse). Certains provoquent des éruptions cutanées (« boutons »). D’autres ont été reconnus comme à l’origine de troubles neurologiques de type sensoriel (perceptions sensitives modifiées), d’état dépressif et de perturbation des concentrations de graisses dans le sang (dyslipidémies). D’autres inhibiteurs enzymatiques sont utilisés comme antirétroviraux : les inhibiteurs de la protéase virale, autre enzyme indispensable à l’infection de la cellule par le virus. Leurs effets indésirables sont importants : éruptions cutanées ; troubles digestifs à type de nausées, douleurs abdominales ou diarrhée ; formation de calculs dans les reins (pouvant donner des coliques néphrétiques) et dans la vésicule biliaire (coliques biliaires ou pancréatiques) ; surtout, complication majeure des antirétroviraux, les lipodystrophies (les tissus adipeux normaux des membres s’amenuisent, au profit d’amas graisseux, surtout au niveau de la taille et de l’intérieur du corps, parfois de la base du cou) ; dyslipidémies ; hyperglycémie (élévation de la concentration de glucose dans le sang, comme dans le diabète) ; élévation de la bilirubine dans le sang (hyper bilirubinémie, comme lors d’un ictère ou « jaunisse ») ; modification de l’activité électrique du cœur, visible sur un électrocardiogramme (allongement de l’espace PR). De plus, à tous ces effets indésirables, il faut encore ajouter l’existence de nombreuses interactions médicamenteuses (lorsque l’on prend d’autres médicaments que ceux pour l’infection à VIH, il y a un risque de perturbation des effets).

D’autres éléments viennent compromettre la qualité de vie des patients infectés par le VIH et en rémission sous trithérapie. La hantise de contaminer d'autres personnes, tout particulièrement des partenaires sexuels, reste présente, malgré la considérable réduction du risque liée au traitement antiviral. Étant donné que ce n'est pas une guérison, mais une simple rémission prolongée, il persiste une peur de la mort qui pourrait survenir, en raison d'un éventuel échappement du virus au traitement, théoriquement toujours possible malgré la tri thérapie. L’épée de Damoclès n’est donc pas écartée : elle reste au-dessus de la tête du patient. Par ailleurs, les personnes séropositives pour le VIH sont toujours stigmatisées et discriminées. L'ensemble de ce contexte est donc de nature à perturber amplement la vie de ces personnes, tant sur le plan physique que psychologique (anxiété, voire dépression). Dans ces conditions, leur qualité de vie est significativement altérée. Le sujet infecté par le virus VIH a dès lors bien du mal à se projeter dans un avenir serein, faire des projets, mener une vie épanouissante. À commencer par sa sexualité qui reste imprégnée de craintes et de difficultés.

Peut-on envisager qu'un jour, les personnes atteintes du sida soit au même niveau de vie que les personnes non atteintes?

Il faut réaliser que cette trithérapie a sauvé une immense population de la mort. La vie n’a pas de prix, et cette rémission prolongée est inestimable. Le contrôle est plus satisfaisant que pour un cancer, car il s’agit d’une cible virale parfaitement identifiée et neutralisée de façon très précise ; c’est quand même bien différent pour beaucoup de cancers en rémission. D’importants progrès ont été faits au cours des dix dernières années concernant la commodité de prise et la tolérance des antirétroviraux. Les effets indésirables ont régressé, plusieurs sont devenus « acceptables ». Toutefois, les troubles digestifs et les lipodystrophies restent souvent fort gênants, sans compter les perturbations biologiques qui sont des dangers métaboliques.

Il n’est pas certain que l’on parvienne à rendre la tri thérapie si tolérable que la qualité de vie des sujets traités soit très proche de celle des personnes indemnes du virus VIH. Car ces antiviraux, qui ont pour cible la réplication d’acides nucléiques (ADN et ARN) et l’élaboration de protéines virales, interfèreront toujours avec notre métabolisme cellulaire. En revanche, la mise au point de nouvelles thérapeutiques antirétrovirales pourrait permettre ce progrès décisif de leur qualité de vie. Mais soyons positifs, elle a tout de même bien progressé ces dix dernières années, du fait notamment des progrès réalisés dans le contrôle des effets indésirables du traitement.

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