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Une employée d'Amazon travaille le 11 avril 2015 à Lauwin-Planque, dans le nord de la France.
Une employée d'Amazon travaille le 11 avril 2015 à Lauwin-Planque, dans le nord de la France.
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

E-commerce

Avec le succès du commerce en ligne, les clients profitent également des retours gratuits. Selon Statista, 45% des consommateurs ont retourné un produit acheté en ligne en 2018. Quel est l'impact économique de ces retours sur les entreprises ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : En France, le commerce en ligne pèse de plus en plus sur l’économie, il est passé de 57 milliards d’euros en 2014 à 112 milliards d’euros en 2020. Les clients affluent donc sur les plateformes en ligne pour faire leurs courses, mais ils sont de plus en plus exigeants et profitent d’une chose : les retours gratuits. La possibilité plaît tant qu’en France en 2018, selon Statista, 45% des consommateurs ont retourné un produit acheté en ligne. Quel impact économique ces retours ont-ils sur les entreprises ? Leur coût est-il élevé ?

Michel Ruimy : Pour les clients, devoir renvoyer les articles qui ne conviennent pas, les retiennent parfois de faire leurs achats en ligne. Afin de les aider à se sentir en confiance dans leurs achats, un grand nombre de détaillants américains ont encouragé activement les retours d’articles en leur offrant, fréquemment et gratuitement, la livraison, les renvois et même des codes de réduction, favorisant ainsi les achats mais aussi … les retours. Récemment, avec la crise sanitaire, l’essor du commerce électronique s’est accompagné de l’explosion de cette pratique alors même que certains commerçants ne disposaient pas de la logistique adéquate pour gérer ces flots d’articles.

Or, leur gestion est un processus long et compliqué. Les marchandises voyagent du consommateur au détaillant, puis au vendeur, au liquidateur, au grossiste, au revendeur et enfin, à un acheteur d’occasion. Certains biens, comme les produits de beauté, les sous-vêtements et les maillots de bain, sont détruits pour des raisons sanitaires, même s’ils semblent ne pas avoir été ouverts ou utilisés. D’autres perdent de la valeur en cours de route. Près d’un tiers d’entre eux ne tombent même pas entre les mains d’un autre consommateur, et se retrouvent dans les sites d’enfouissement.

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Si le taux de retour moyen d’un commerce de détail est de l’ordre de 10%, il se situe entre 15 et 30% pour le commerce en ligne. Ce taux peut même être encore plus élevé pour les vêtements en raison de la pratique courante qui consiste à acheter les articles en plusieurs tailles et couleurs avec l’intention d’en renvoyer certains.

Même si la technologie peut aider à gagner du temps et accroître l’efficacité du processus de gestion des retours (Certaines start-ups américaines telles que Stitch-Fix, Rent the Runway… utilisent un algorithme qui suit les produits et prédit la probabilité de la demande tout en permettant de choisir la méthode la plus efficace de retour : terre, air), il est difficile d’estimer, avec précision, la part de marchandises retournées qui est mise au rebut ou même la quantité de déchets qu’elle représente.

Les commerçants américains ont ainsi repris, en 2020, pour plus de 100 milliards de dollars de marchandises vendues en ligne.

Pourquoi inciter au retour des achats en ligne alors que le procédé est coûteux pour les entreprises ? À quel point les offres (retour gratuit, livraison gratuite, code de réduction) sont-elles autant profitables pour les entreprises ?

Michel Ruimy : Pour certains clients, le charme du shopping - et des retours - est qu’aujourd’hui, il s’effectue dans l’intimité du logement, sans interaction humaine, ni jugement.

Ce phénomène est une création du consumérisme américain, apparue il y a près d’une vingtaine d’années avec Zappos. Au milieu des années 2000, l’entreprise a persuadé des millions d’Américains d’acheter des chaussures en ligne - pratique qui, à l’époque, semblait hautement improbable - en commercialisant sa livraison rapide et gratuite et sa politique de retour sans coût, sans poser de questions. En changeant le comportement des consommateurs, cette firme a, par inadvertance, poussé de nombreuses autres entreprises à adopter des politiques similaires d’achat et de retour qui sont devenues la norme dans le secteur. Nordstrom, entre autres, a longtemps été célèbre pour son indulgence au point de reprendre des articles que l’enseigne n’avait pas vendus afin de satisfaire les clients.

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Ces retours ont un coût élevé pour les sociétés, impliquées dans ce phénomène. En considérant l’ensemble des coûts de court terme (main-d’œuvre nécessaire au prélèvement, à l’emballage et à l’expédition de l’article, le fret à l’aller et au retour, la main-d’œuvre nécessaire à la réception et au tri de l’article retourné, le carton et le plastique d’emballage, ainsi que les frais généraux du centre de tri…), l’entreprise a déjà perdu de l’argent. Selon une estimation, un retour en ligne coûterait entre 10 à 20 dollars à un détaillant, avant le coût de l’expédition. Elles espèrent toutefois récupérer cette perte initiale, sur le long terme, en créant des économies d’échelle.

Les produits rendus sont-ils toujours réutilisés et remis sur le marché comme cela peut-il être le cas pour des magasins physiques ? Quelles différences existent entre les deux ?

Michel Ruimy : Si le succès de Zappos a contribué à ancrer et à façonner la manière de faire du shopping, le modèle du retour gratuit n’avait jamais été appliqué jusqu’à présent, avec une telle échelle, à la vente en ligne, où le processus permettant de donner autant de latitudes aux acheteurs est beaucoup plus coûteux et, où les entreprises telles que Amazon, Target et Walmart, aux Etats-Unis, ont une structure financière leur permettant d’absorber davantage le coût des retours et celui des produits cassés que les petites entreprises.

Dans la course à l’acquisition de nouveaux clients et à leur fidélisation à tout prix, les commerçants ont ainsi appris aux acheteurs - qui n’ont aucune notion du coût de ces retours - à se comporter d’une manière néfaste pour pratiquement toutes les parties concernées. Car réintégrer un article vendu, qui se trouve parfois dans un état totalement différent, dans le flux des ventes de nouveaux biens d’une entreprise, peut être, au plan logistique, prohibitif. D’une part, les articles retournés ne sont pas, dans la plupart des cas, réapprovisionnés et/ou renvoyés à un autre client plein d’espoirs. D’autre part, une partie de ces marchandises est orientée vers une industrie parallèle mondiale de revendeurs en vrac. Une autre est dépouillée de ses pièces de valeur, et une dernière va directement dans un incinérateur ou une décharge. Tout ceci est inefficace et, en outre, nuisible pour l’environnement (cf. camions, semi-remorques, avions, porte-conteneurs… mis en mouvement pour faire face à des changements d’avis ou à des descriptions de produits trompeuses, sans parler des déchets physiques des produits eux-mêmes).

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Pourtant, si certains détaillants interdisent la revente à l’état neuf de tout produit ouvert, d’autres, devant les coûts auxquels ils doivent faire face, contournent parfois cette stratégie en estimant que les produits renvoyés directement au magasin d’origine peuvent être considérés comme suffisamment proches du neuf pour être revendus tandis que ceux envoyés par la poste revenant en parfait état, sans avoir été utilisés, ont peu de chances d’être transférés dans les stocks de l’entreprise.

La solution à ce problème est-elle de faire payer les retours de produits ? Les marques devraient-elles être incitées à donner leurs produits plutôt qu’à les jeter ?

Michel Ruimy : En fait, la clientèle commence à se demander de plus en plus, aujourd’hui, pourquoi davantage de retours ne sont pas simplement donnés. Faire un don, fournir ces produits à des personnes dans le besoin pourrait être une bonne communication pour ces firmes.

Or, les entreprises sont peu enclines à agir d’un point de vue moral. Beaucoup évitent les dons nationaux à grande échelle en raison de la « dilution de la marque » : Si les clients payants surprennent l’entreprise en train de donner des choses à des personnes démunies gratuitement, la logique veut qu’ils aient l’impression que les choses que vous leur vendez n’ont plus de prix. C’est pourquoi, certains des plus grands détaillants (Amazon, Target…) ont commencé à reconnaître discrètement qu’il était illogique, pour eux, d’assumer le coût de la « logistique inverse » (récupération des articles vendus non désirés). Ils vous rembourseront vos vêtements, vos coussins… charge à vous de les donner. Ce qui ressemble à un acte de générosité revient, en fait, à externaliser la tâche d’élimination des produits.

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