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Pas convaincus par le libéralisme mais attachés à ses principes : une explication de l’ambivalence des Français
©Flickr

Le cœur balance

Libéraux sans le savoir les Français ? En effet, si le libéralisme reste suspect à leurs yeux, les valeurs l'incarnant trouvent un écho favorable en France.

Un sondage réalisé par l'Ifop fait apparaître une contradiction concernant la popularité du terme "libéralisme". En effet, 43% des Français indiquent qu'ils ne l'aiment pas. Cependant, des termes comme "initiative", "responsabilité" ou encore "autonomie", qui sont en principe des valeurs propres au libéralisme, sont classés dans le top 5 d'une liste de valeurs proposées aux sondés.

Atlantico : Un rejet du terme "libéralisme" mais une vision positive de plusieurs valeurs s'y rattachant ressortent du sondage de l'Ifop. Comment expliquez-vous cette apparente contradiction ?

Gaspard Koenig : Inversons la perspective : je me félicite que 57% des Français déclarent “aimer le libéralisme”, ce qui n’était vraiment pas gagné étant donné l’étrange répulsion qu’évoque parfois ce mot. Ce sondage contribuera j’espère à faire bouger les lignes, notamment à droite, puisque les Français souhaitent avant tout qu’elle se définisse comme “libérale”, une proportion qui monte à 42% chez les sympathisants UMP ! Je remarque également que l’Etat-Providence est rejeté par 74% des sondés, et qu’en revanche le mot préféré dans la devise républicaine est celui de “liberté”. Quant aux valeurs libérales, elles sont en effet plébiscitées !

Jean-Marc Daniel :Les Français ignorent deux choses importantes : la première est que le mot "libéralisme" a été créé par des Français. C’était au début du XIXe siècle, l’inventeur étant pour certains Maine de Biran, pour d’autres Benjamin Constant. Quand on relit ce qu’ils écrivaient, on voit que pour eux la liberté ne se partage pas : la liberté politique ne peut se concevoir  sans la liberté économique. Ces philosophes s’inspiraient des textes de Jean Baptiste Say qui avait retiré aussi bien de ses réflexions que du constat de la vie sous l’Empire de Napoléon que tout pouvoir qui régente l’économie, en général au nom du bien commun, porte vite atteinte aux libertés publiques. On commence par faire du protectionnisme au nom de l’emploi national, puis on pourchasse les contrebandiers et enfin on épie et menace tous ceux que l’on soupçonne de les aider. La deuxième chose que ne voient pas les Français est que les expériences politiques modernes  où l’on a essayé de préserver les libertés publiques tout en construisant une économie administrée dont le but était la protection de salariés, ont conduit à des sociétés de rentes minées par l’inflation. Le cas le plus typique est sûrement celui de la Grande-Bretagne travailliste. Attlee aussi bien que Wilson étaient des démocrates respectueux de la liberté dans un pays dont le nom même la symbolise. Mais ils ont mené leur pays à la régression économique à coup de nationalisations et de réglementations tatillonnes notamment du marché du travail.

Dans les difficultés économiques présentes, les Français  ne se posent pas de questions sur l’échec des économies dirigées ni même sur la déroute morale et économique du communisme. Ils cherchent une explication et on leur en fournit une qui a l’avantage de les transformer en victime plus qu’en responsable de ce qui se passe : c’est le libéralisme, qualifié de « néolibéralisme » et personnifié par Thatcher et Reagan, qui serait responsable de tous nos maux. Que Thatcher et Reagan aient été réélus sans problème par des peuples satisfaits de pouvoir échapper aux contraintes d’Etats de plus en plus prédateurs et à la routine de politique économique combinant fiscalité confiscatoire et inflation ne leur est jamais expliqué

Comment expliquez-vous le détournement de sens de "libéralisme” ?

Gaspard Koenig : Rappelons que le libéralisme est une grande tradition politique française, injustement négligée aujourd’hui par les politiques. Quand vous lisez “libéral” dans un roman de Balzac, cela signifie “progressiste, révolutionnaire”, en lutte contre l’absolutisme et la censure. Jean-François Revel a très bien montré dans "La Grande Parade" comment le libéralisme avait été efficacement caricaturé par la pensée dominante, et associé à un “ultralibéralisme anglo-saxon” qui ne veut tout simplement rien dire. Les hommes de l’Etat ont combattu et moqué le libéralisme parce qu’il n’est pas dans leur intérêt ! Le libéralisme ne conçoit pas le marché et la concurrence comme un but en soi, mais comme un moyen pour assurer le maximum de libertés individuelles, comme l’a expliqué Foucault dans un de ses cours au collège de France. Nous nous battons pour la liberté d’expression, le respect de la vie privée et l’égalité des droits ; nous défendons les outsiders contre les rentiers ; nous pourfendons les monopoles des grandes entreprises tout autant que les gabegies de l’Etat central ; nous respectons et encourageons la diversité des choix individuels, y compris sur le plan des moeurs. En un mot, nous pensons que les Français n’ont pas besoin d’être maternés par l’Etat-Nounou et sont assez grands pour prendre leurs responsabilités.

Jean-Marc Daniel : En France et en Italie, la haine du libéralisme est un héritage de la Deuxième guerre mondiale. Les communistes ont été d’autant plus virulents dans leur dénonciation d’un monde des affaires accusé de collaboration avec l’occupant nazi qu’ils l’avaient eux-mêmes soutenu jusqu’à l’invasion de l’Urss par l’Allemagne en juin 1941. Ils ont créé une ambiance intellectuelle  générale faisant de tout mouvement qui ne leur était pas soumis un complice plus ou moins conscient du fascisme. Malgré leur sinistre échec, il en est resté quelque chose, surtout dans le monde intellectuel français qui ne vit pas sans une certaine amertume son déclassement social et international. Ce n’est pas par hasard que dans les fantasmagories dénonçant le "néolibéralisme" comme  l’incarnation du mal, ce soient des dirigeants anglo-saxons qui sont le plus systématiquement montrés du doigt. 

La crise économique a-t-elle déclenché une allergie au terme "libéral" ?

Gaspard Koenig : Du moins l’interprétation de cette crise : il est vrai qu’en 1999, la proportion de sondés déclarant “aimer le libéralisme” était plus importante. Pourtant, la crise que nous vivons est une crise de l’Etat, qui n’est pas limitée à la France mais qui s’étend à tous les pays occidentaux ayant créé des Etat-Providences tentaculaires après la guerre. Jamais l’Etat n’a été aussi présent dans l’économie : la France est en passe de devenir championne de l’OCDE pour les dépenses publiques et les impôts. Jamais l’Etat ne s’est autant approprié les marchés financiers, en les contraignant par diverses astuces réglementaires à acheter de la dette souveraine à gogo. Jamais la sédimentation et la corruption de l’appareil d'Etat n’ont été aussi criantes. Jamais le nombre de réglementations diverses n’a été aussi aberrant (400 000 au dernier comptage!). De ce fait, j’ai le sentiment que l’opinion évolue de nouveau dans le bon sens et je constate un certain appétit de libéralisme. Pour reprendre ce sondage, n’est-il pas stupéfiant que plus de 60% des Français, de droite comme de gauche, prônent la création d’un contrat unique pour simplifier le droit du travail français, et souhaitent l’alignement de la fonction publique sur le droit privé ? La nouvelle génération, ces “Y” spoliés par les Baby Boomers, savent qu’ils vivent la fin d’un système conçu au bénéfice de leurs parents. Les nouvelles formes de travail, fondées sur l’autonomie, l’échange et la coopération, sont très prometteuses. Les jeunes sont libéraux sans le savoir.

Jean-Marc Daniel : Dans les mots qui servent à stigmatiser sans expliquer, "libéral" assez curieusement est moins négatif que "néolibéral". D’autres mots sont également devenus l’ossature du discours de l’indignation et de la protestation comme "capitalisme financier". "Monétarisme" reste réservé aux spécialistes.  Evidemment, derrière le simplisme de la dénonciation, il y a l’accumulation d’un mélange d’inquiétude tout à fait compréhensible quand on voit que le chômage et la stagnation économique s’installent  et de réactions de défense conservatrices de tous ceux dont le statut social est remis en cause par les mutations économiques et sociales du moment. Les mutations antérieures ont redéfini le rôle du monde rural puis du monde ouvrier, qui ont résisté avec leurs armes traditionnelles comme la grève. Aujourd’hui, c’est le monde intellectuel qui prend de plein fouet le développement des nouvelles technologies de l’information. Il résiste avec ses armes qui sont la production d’un discours de dénonciation structuré par les mots usuels de la dénonciation. 

Toujours d'après le sondage, on apprend qu'il existe une régression de plus de la moitié des Français estimant que le libéralisme définit la gauche. Des termes comme "social-démocrate" ou d'autres, remplacent-ils le sens du mot libéral dans les débats et les éléments de langages que l'on retrouve chez les hommes politiques ou dans les médias ?

Gaspard Koenig : La gauche a une forte tradition libérale. Tocqueville ou Frédéric Bastiat siégeaient à gauche de l’hémicycle. Léon Blum faisait l’apologie de la concurrence. Bérégovoy assumait la libéralisation des marchés financiers au service de l’innovation et de la prise de risque. Même aujourd’hui, un homme politique comme Bertrand Delanoë ose le mot. Et Valls, même s’il se garde bien de le dire publiquement, est sensible à ce courant de pensée. Les Français ne s’y trompent pas : pour “incarner les valeurs libérales”, ils choisissent aussi bien des hommes politiques de droite (Lagarde, Sarkozy), de gauche (Valls, DSK !) ou du centre (Borloo, Bayrou). J’espère qu’à l’avenir, les distinctions politiques ne se feront plus entre droite et gauche, mais entre conservateurs et libéraux.

Jean-Marc Daniel :La gauche n’ayant plus d’idées construit sa politique sur l’adhésion au projet européen et sur des réformes sociétales qui vont vers plus de liberté si bien qu’il n’est pas absurde que les Français assimilent la gestion Hollande au libéralisme.  Néanmoins nos dirigeants savent que cette identification est pour eux très négative. Ils utilisent alors le mot « social-démocrate » qui fait référence aux socialistes de  l’Allemagne et des pays scandinaves. Historiquement, depuis 1945, dans ces pays, les communistes n’ont jamais eu de grande influence autre qu’auprès de quelques intellectuels déclassés. Se dire social-démocrate c’est donc se dire éloigné de la référence marxiste. Mais cela n’a plus  guère de sens. La France est désormais dans un ensemble européen où rares sont les pays qui croient aux vertus de l’action étatique en matière économique. Ce qui fait que le clivage devient de plus en plus un clivage entre une opposition protectionniste anti-européenne peu ou prou dans la mouvance du Front national et un ensemble de partis de gouvernement qui gèrent avec plus ou moins de compétence et d’habileté la contradiction entre le monde qui nous entoure et les inquiétudes de notre corps social. 

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