Partage de la valeur : une névrose française<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
La Première ministre, Elisabeth Borne, lors d'une convention du parti Renaissance, à Paris, le 20 février 2023.
La Première ministre, Elisabeth Borne, lors d'une convention du parti Renaissance, à Paris, le 20 février 2023.
©EMMANUEL DUNAND / AFP

Lutte contre les inégalités

Alors que les Insoumis ne cessent de dénoncer un creusement -imaginaire- des inégalités, Renaissance, le parti présidentiel, planchait aussi sur la question lors d’une convention ce lundi. En oubliant tout autant de traiter le point clé qui pèse sur le destin des Français, l’immobilier.

Gilbert Cette

Gilbert Cette

Gilbert Cette est professeur d’économie à NEOMA Business School, co-auteur notamment avec Jacques Barthélémy de Travail et changement technologique - De la civilisation de l’usine à celle du numérique (Editions Odile Jacob, 2021). Son dernier livre s'intitule Travailleur (mais) pauvre (Ed. DeBoeck, à paraître en février 2024).

Voir la bio »

Atlantico : Alors que les Insoumis ne cessent de dénoncer un creusement -imaginaire- des inégalités, Renaissance, le parti présidentiel, planchait aussi sur la question du partage de la valeur lors d’une convention ce lundi. Pourquoi ce sujet revêt-il cette importance en France ?

Gilbert Cette : Le constat purement statistique à la base de la démarche de ces partis est erroné. Il y a deux ans, j’ai publié avec deux co-auteurs dans Economie et Statistique, la revue éditée par l’INSEE, une étude intitulée Labor Shares in Some Advanced Economies. L’étude retrace sur 50 ans l’évolution du partage salaire-profit en France et dans d’autres pays. La France est l’un des rares pays ou depuis les années 1980, le partage salaire-profit s’est orienté à la hausse de la part du coût du travail. De 1988 à 2018, la part du travail a ainsi augmenté en France, alors qu’elle a par exemple baissé aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Les années de 2019 à 2022 sont un peu particulières. En 2019, deux CICE ont exceptionnellement été versés aux entreprises, et 2020 et 2021 ont été marquées par le Covid. Durant ces deux années, l’Etat a soutenu les travailleurs, par exemple par le financement de l’activité partielle, et de la même manière, il a soutenu les entreprises pour éviter des faillites massives. Il faudra faire dans quelques mois un diagnostic sur l’année 2022.

Certains font remarquer que les dividendes n’ont jamais été élevés qu’en 2022. C’est vrai, mais c’est aussi le cas de la masse salariale. Il ne faut pas regarder les grandeurs en nominal.

Enfin, pour qu’il y ait de l’investissement, il faut qu’il y ait une rémunération satisfaisante du capital, donc des dividendes. C’est parfaitement normal. Et tuer les dividendes tuerait les investissements.

Si les chiffres sont si clairs, pourquoi le sujet fait-il autant polémique, avec autant de mauvaise foi ?

Certaines personnes se moquent des chiffres. La vérité c’est ce qu’ils disent, pas ce qui est.  Contrairement à ce qu’on a pu entendre, les accidents du travail diminuent, la mortalité au travail diminue. Certains acteurs politiques, en particulier aux extrêmes, ont un mépris des chiffres et une utilisation partisane de ces derniers. Ils ignorent les chiffres quand ces derniers ne correspond pas à la vision des choses qu’ils ont a priori.

Thomas Philippon, votre co-auteur, a écrit à ce propos : « La part des salaires est stable en France contrairement aux US où elle a baissé. Mais pour bien comprendre les mesures il faut retirer les loyers imputés: le problème n'est pas le partage profit/salaires dans les entreprises mais le prix du logement ». Partagez-vous ce constat ?

Ce que nous soulignons, c’est qu’il faut faire attention à ce que contiennent les derniers. Quand vous occupez un logement dont vous êtes propriétaire, vous êtes considéré comme vous versant un loyer. Et ce loyer c’est de la rémunération du capital. Donc vous touchez du profit sans le savoir. Et compte tenu de l’évolution des prix du logement, cela peut contribuer à une augmentation statistique de la part des profits dans le partage de la valeur. Il faut donc, lorsqu’on travaille sur les chiffres comme nous l’avons fait dans notre étude, corriger ce biais afin de ne pas compter ces versements virtuels de loyers par l’occupant d’un logement vers le propriétaire qu’il est lui-même, ce qu’on appelle les loyers fictifs.

Est-ce parce que la part des dépenses contraintes, et notamment du logement, augmente qu’on a le sentiment que la situation se dégrade alors que ce n’est pas le cas ?  

Il y a peut-être de ça, mais pas seulement. L’INSEE inclut les loyers effectifs dans ses calculs de l’indice des prix, mais cela donne une image du ménage français moyen. Dans une période d’inflation comme celle que nous connaissons actuellement, les ménages et en particulier les travailleurs perdent du pouvoir d’achat (à l’exception des personnes au SMIC). L’inflation actuelle est surtout due à ce que les économistes appellent « une détérioration des termes de l’échange », c’est-à-dire une augmentation des prix des importations. Le problème est que si l'État paie pour éviter les pertes de pouvoir d’achat liées à cette augmentation des prix des importations, l’endettement augmente et ce sont nos enfants qui paieront. Sur les trois années 2021 à 2023, le cout des dispositifs protégeant le pouvoir d’achat (bouclier tarifaire, ristourne à la pompe, chèque énergie…) vont dépasser les 120 milliards d’euros. Pour donner un ordre de grandeur, c’est le budget de l’Education nationale et de la Défense cumulés, ou 30 fois le budget du CNRS... Le cout de ces protections n’est pas durablement soutenable. Dans une situation similaire, le gouvernement Mauroy avait interdit en 1983 l'indexation des salaires sur les prix, afin que les travailleurs eux-mêmes contribuent au financement de la détérioration des termes de l’échanges liée aux deux premiers chocs pétroliers.

Elisabeth Borne a annoncé ce lundi que le gouvernement allait transcrire intégralement dans la loi l'accord conclu entre partenaires sociaux sur le partage de la valeur. Le « dividende salarié », promis par Macron, n'est pas au programme, contrairement à des mesures de participation. Que faut-il en penser ?

Le dividende salarié est une expression proposée par Thibault Lanxade, pour illustrer que les entreprises profitables peuvent faire bénéficier les salariés de cette profitabilité, sous la forme d’un partage de la valeur. L’accord interprofessionnel qui a été trouvé – et que les partenaires sociaux ont quelques jours pour signer – prévoit une extension de certains dispositifs de partage de la valeur (participation, intéressement, etc.) pour les entreprises de moins de 50 salariés ayant fait des profits d’au moins 1% du CA en moyenne pendant 3 ans. Cet accord est une avancée puisqu’il permet d’étendre à davantage de salariés des droits que seuls certains d’entre eux avaient. Là où cet accord manque d’ambition, c’est qu’il mélange l’intéressement, la participation et le partage de la valeur. La participation est le terme qui correspond le mieux à l’ambition initiale de faire bénéficier les salariés d’une partie des bénéfices. L’intéressement et les autres formes de partage de la valeur peuvent être versées même si l’entreprise est bénéficiaire. Dans différents écrits, Jacques Barthelemy et moi avons montré que c’est la participation, surtout, qui peut porter l’ambition d’un partage de la valeur et qui devrait être promue. Et le fait que son calcul soit basé sur les bénéfices de l’entreprise peut contribuer à une pacification des relations sociales, dont la France a bien besoin, étant l’un des pays avancés les plus conflictuels. 

Qu’en est-il de la fonction publique ?

En effet, les mesures évoquées plus haut ne concernent que le secteur privé. Les travailleurs du secteur public ont connu, ces vingt dernières années, une paupérisation financière. Leur situation relative s’est dégradée. De là vient une grande part du mal-être des enseignants, des personnels de santé, des travailleurs des collectivités locales... La réforme des retraites est une réponse à cela. Bien sûr, cela équilibrera les dépenses de retraites. Mais, surtout, cela fait également plus de PIB, donc plus de rentrées fiscales, ce qui améliorera la situation des finances publiques. Cela permettra de financer une revalorisation des rémunération des fonctionnaires, et le développement de nouvelles ambitions pour la fonction publique. Par ailleurs, des accords avec les représentants des travailleurs pourraient être cherchés dans la fonction publique visant à réaliser des gains de performance et de productivité contre des gains en termes de rémunération. Ce serait un symétrique, pour la fonction publique, des mécanismes de partage de la valeur développés dans le privé. Il faut développer une nouvelle ambition pour la fonction publique, et la réforme des retraites comme ces accords de performance peuvent apporter des moyens pour cela.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !