Paris Games Week : la France reste historiquement un pays de création de jeux vidéo<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Paris Games Week, grand salon dédié aux jeux vidéo, accueille le grand public du 28 octobre au 1er novembre à Paris.
Le Paris Games Week, grand salon dédié aux jeux vidéo, accueille le grand public du 28 octobre au 1er novembre à Paris.
©Reuters

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La France est historiquement un pays de création de jeux vidéo, où le tissu entrepreneurial est dominé par de jeunes et petites structures. Elles continuent souvent de rencontrer des difficultés financières pour investir suffisamment dans le marketing, bien qu'un soutien étatique se développe.

Julian Alvarez

Julian Alvarez

Julian Alvarez est Docteur en science de l'information et de la communication.

Il est responsable développement/recherche Serious game/Jeu vidéo à la CCI Grand Hainaut/Supinfocomgroup.

Julian Alvarez est chercheur associé au laboratoire CIREL - Trigone (Université de Lille) et chercheur TIC/TICE (Serious game) à Ludoscience.

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Julien   Villedieu

Julien Villedieu

Julien Villedieu est délégué général du Syndicat National des Jeux vidéo.

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Atlantico : Le Paris Games Week, grand salon dédié aux jeux vidéo, accueille le grand public du 28 octobre au 1er novembre à Paris. L'édition 2014 avait accueilli 272 000 visiteurs. L'occasion de donner un coup de projecteur sur ce marché parfois méconnu. Comment se structure la production de jeux vidéo en France en 2015 ? Les éditeurs sont-ils nombreux ? Est-ce un marché oligopolistique ou plutôt très parcellé avec beaucoup de petits indépendants ?

Julien Villedieu : On recense cette année un écosystème d’environ 600 entreprises dans le secteur du jeu vidéo en France, mais 350 sont directement impliquées dans la production, l’édition et la distribution de contenus. Le reste des entreprises contribue indirectement à la création mais joue un rôle important dans la chaîne de valeur de la création de jeux vidéo.

La France est historiquement un pays de création et aujourd’hui près des 3/4 des entreprises du secteur sont des développeurs contre en moyenne près de 60% en Europe (source IDATE). Quelques éditeurs de renom publient des productions réputées mondialement : Ubisoft, BigBen Interactive, Focus Home Interactive pour citer les plus connus d’entre eux. De nouveaux éditeurs de jeux vidéo mobiles sont également en train d’émerger avec des structures plus petites mais très spécialisées sur les outils et techniques marketing adaptées à ces nouvelles plateformes et aux publics visés.

Le tissu des entreprises développant des jeux vidéo est dominé par de jeunes structures, plus de 57% d’entre elles ont moins de 5 ans. Et une entreprise de moins de 5 ans sur deux est une micro entreprise (moins de 5 équivalents temps plein). Néanmoins les entreprises de plus de dix ans sont de plus en plus nombreuses. Ces entreprises privilégient les plateformes mobiles même si le PC reste un écosystème important pour beaucoup d’éditeurs.

Alors qu’elles se concentrent sur la création de nouveaux jeux vidéo, l’incertitude qui pèse sur la réussite d’un jeu et la fragilité́ induite pour financer la croissance des entreprises conduisent 60% les développeurs à réaliser des prestations de services, y compris hors du secteur des jeux vidéo.

Julian Alvarez:L'industrie du jeu vidéo prend la tournure de ce qui s'est passé pour celle du cinéma. Au commencement dans les années 1970/1980, la fabrication de jeux vidéo était artisanale, opérée par des passionnés dans leur garage. Ce qui rappelle l'époque des frères Lumières et Méliès par exemple à la fin du XIXe siècle. Puis une phase d'industrialisation s'opère au début du XXe siècle. Ce que l'on retrouve dans le monde du jeu vidéo avec des acteurs comme Lankhor, Loriciels, Infogrames, Ere Informatique qui se forment dans les années 1980/1990. Parmi ces acteurs peu existent de nos jours. La plupart ont disparu ou été racheté depuis par de gros acteurs. Aujourd'hui, le monde du cinéma se compose d'une industrie de masse composée de quelques gros acteurs comme la Warner, Paramount et une multitude de petits studios indépendants qui gravitent autour.

C'est ce que l'on retrouve dans l'industrie vidéoludique avec de gros acteurs comme Ubisoft, Activision, ElectronikHeart, Sony, Microsoft, Nintendo... Autour d'eux, on recense bon nombres de petits studios indépendants. En France, en 2014 l'Agence Française pour le Jeu Vidéo (AFJV) en dénombre plus de 200. Les petits studios compte en majorité de 1 à 5 personnes. Les studios parvenant à grossir et à se pérenniser peuvent compter de 20-30 personnes. Rares sont les studios à atteindre les 200-300 personnes. Nombreux sont les studios ayant une durée de vie très courte. De telles structures se forment pour développer un seul projet. Les studios qui parviennent à trouver leur public restent généralement en situation fragile. Certains ne vivent qu'avec un seul titre phare ou de subventions. Le développement d'un titre de grosse facture qui ne rencontrerait pas son public, signe en général la fermeture du studio.

Cela invite les petits studios à développer plusieurs petits jeux à faibles budgets. Il faut en effet développer plusieurs titres avant de rencontrer un certain succès commercial. Le studio finlandais Rovio, par exemple, a développé plus d'une cinquante de titres avant de sortir Angry Birds et de rencontrer le succès commercial. Pourtant, lorsque le succès est rencontré, il faut être en mesure de le conserver. Cela passe par tenter de redynamiser et diversifier le jeu phare du studio. Proposer des produits dérivés et  des licences associées à l'univers du jeu fait également partie du modèle économique. Enfin, les studios peuvent tenter en parallèle de créer d'autres titres pour espérer rencontrer un nouveau succès commercial. Ce constat fait dire à certains experts que le modèle économique du jeu vidéo repose finalement sur une forme de loterie. Le gain suprême étant le rachat du studio par un gros acteur. C'est le cas du studio suédois Mojang dont le titre phare Minecraft a été racheté par Microsoft en Septembre 2014 pour 2,5 milliards de dollars. Une telle succès story reste exceptionnelle. Il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus. 

Si des studios travaillent de manière artisanales pour produire leurs propres créations, d'autres peuvent aussi être appelés à devenir des sous-traitants pour le compte de gros acteurs comme Activision, ElectronikHeart, Ubisoft, Sony... 

Quelle est la place de ces studios indépendants ? A quels obstacles financiers ou liés à l’édition ces studios sont-ils confrontés actuellement ?

Julien Villedieu : Les entreprises s’inscrivent pour la plupart d’entre elles dans une démarche d’indépendance. Près de 94% des entreprises interrogées dans le cadre de notre baromètre annuel du jeu vidéo en 2015, publié la semaine dernière, et remis à la Ministre de la Culture, se disent "indé" et 3⁄4 d’entre elles assument seules la commercialisation de leurs jeux. Plus aucun jeu conçu en France n’est dès lors exclusivement vendu sur support physique. 

Ces sociétés sont confrontées à un double défi : d’une part il s’agit d’anticiper les évolutions de marchés qui sont fréquentes, violentes et souvent avec des cycles courts ce qui ne permet pas nécessairement d’inscrire les entreprises dans une stratégie de long terme ; d’autre part il s’agit de trouver les ressources financières permettant de financer les productions originales très nombreuses (80% des 650 nouvelles productions engagées cette année par les entreprises françaises). Et c’est là que le bât blesse car 91% des sociétés autofinancent leurs productions avec souvent des capacités financières limitées par leur taille, leur ancienneté et leurs fonds propres. Les aides publiques et le financement par les éditeurs n’arrivent qu’ensuite dans les sources de financement ce qui crée un décalage entre les formidables opportunités offertes par ces plateformes digitales et la capacité des entreprises françaises à y figurer en bonne position.

C’est dans ce contexte que le SNJV avec l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) ont initié avec le soutien du CNC et de la Caisse des Dépôts et Consignations un fonds d’avance participative pour le jeu vidéo qui permettra dès la fin d’année d’investir dans des projets d’entreprises du secteur. Cet investissement, sans prise de participation au capital, permettra non seulement de renforcer la capacité d’investir rapidement sur les nouveaux marchés mais également par effet de levier d’attirer d’autres investisseurs institutionnels ou privés.

La question de l’investissement dans le marketing et la communication est également un sujet majeur car il ressort de notre enquête que les entreprises françaises n’investissent pas assez car avec 12% du budget de production qui est consacré en moyenne à la commercialisation des projets, chacun comprend que c’est là aussi qu’un effort particulier doit être porté.

Le recours aux éditeurs est donc pour ces entreprises un élément important de la structuration financière de leurs projets et de leur capacité à rendre visible les jeux vidéo commercialisés. Le rôle majeur de ces acteurs de la chaine de valeur du jeu vidéo n’a sans doute jamais été aussi important que dans le contexte actuel. C’est assez paradoxal car l’ouverture des plateformes de distribution qui permettent un lien direct avec les consommateurs pourraient laisser penser que les studios vont être en capacité, seuls, de commercialiser leurs productions. Or en raison d’un véritable engorgement des plateformes, la visibilité des sorties de jeux vidéo est de plus en plus complexe à obtenir. Le support des éditeurs dans ce contexte est devenu fondamental.

Julian Alvarez : Pour espérer rencontrer le succès commercial, les petits studios doivent rechercher de quoi financer différents projets vidéoludiques. Cela passe généralement par la recherche de subventions, auprès du CNC, d'initiatives régionales (ex: Pictanovo dans le Nord). Les montants accordés peuvent aller de quelques dizaines à quelques centaines de milliers d'euros. Cela est assez faible pour développer un jeu quand on sait qu'un grand studio, pour un titre AAA, alloue un budget allant de 50 à 500 millions d'euros (marketing inclus).

C'est une stratégie d'attribuer plusieurs fois des petites sommes à beaucoup d'acteurs différents,  afin que, dans le lot, l'un arrive à tirer son épingle du jeu. La difficulté pour les studios indépendants est cependant de réussir à développer un plan marketing assurant suffisamment de visibilité au jeu avec un budget proche de zéro euro. Il faut parvenir à susciter le buzz pour attirer les réseaux sociaux ou bien susciter le bouche à oreille.

Pour diffuser leurs jeux, les "petits" studios peuvent passer par des plate-formes dédiés à l'instar de Steam, Google Play, Apple Store... Mais, les offres de jeux sont régulières et nombreuses sur un marché qui s'est mondialisé. Chaque titre risque ainsi d'être rapidement noyé dans une offre pléthorique. Le Graal en terme de visibilité est d'avoir un jeu intégré au catalogue des abonnements mensuels sur consoles PS4 et Xbox One comercialisés par Sony et Microsoft. 

Ce printemps, le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL) prévoyait une perspective de 8% de croissance du marché français à fin 2015. Pour réussir à peser sur ce marché, est-il primordial de penser global et mondial dès le départ ? Pourquoi ?

Julien Villedieu : Oui le jeu vidéo est industrie qui évolue sur un marché mondial. La France ne représente  en termes de consommation que 5 à 7% du marché mondial. Et les entreprises françaises s’inscrivent parfaitement dans ce contexte international grâce à des productions de premier plan. A cet égard la conférence Playstation de Sony de mardi après midi à la Paris Games Week est très révélatrice car ce sont 2 productions françaises : Wild du studio Wildsheep studio et Detroit du studio Quantic Dream, qui ont été les stars des annonces.

Les entreprises françaises diffusent plus de 80% de leur production à l’export et réalisent plus de 45% de leur CA hors de France (en évolution constante depuis 3 ans) et elles consacrent pratiquement 20% de leur budget à développer leurs activités hors de France. A cet égard le jeu vidéo est la première industrie culturelle française à l’export.

Julian Alvarez : A titre personnel, j'ai vécu un exemple parlant: nous avons développé un serious game. Sa version anglophone a rapidement été téléchargé 40 000 fois contre 4 000 fois pour la version française. Oui il faut donc penser global et viser notamment la communauté anglophone. L'un des rares pays à pouvoir se permettre de faire un diffusion nationale, non anglophone, est peut-être le Japon. Mais cela devrait être de moins en moins le cas. S'ils produisent des titres qui ne sont pas nécessairement compris par une grande majorité des occidentaux, cela évolue. De gros acteurs comme Sony, Nintendo et Namco-Bandai embrassent depuis longtemps le marché international.

Le breton Ubisoft a été en partie implanté au Québec, où la fiscalité est fort avantageuse pour les éditeurs et développeurs de jeux vidéo. En France, les politiques publiques, via le Ministère de la Culture ou le Secrétariat d'Etat au numérique, encouragent-elles la production de jeux vidéo ?

Julien Villedieu : Le Canada a été le pays en vogue dans les années 2000 dans l’industrie du jeu vidéo, grâce à sa politique extrêmement incitative en matière fiscale qui a permis de localiser un grand nombre d’équipes de production de jeux vidéo, notamment françaises. Et certaines entreprises françaises ont bien fait d’en profiter à l’époque car elles ne seraient sans doute plus là aujourd’hui sans ce soutien. Mais les choses ont changé et la France est aujourd’hui un territoire très attractif de ce point de vue là. Et pour citer Ubisoft, ils ont récemment investi en France en achetant le studio lyonnais Ivory Tower, signe de leur grand attachement aux équipes de productions françaises.

La France a donc repris des couleurs à la faveur du Crédit d’Impôt jeu vidéo réformé cet été, des aides à la production proposées par le CNC et le ministère de l’industrie ou encore des aides à la R&D. L’ouverture prochaine du fond d’avance participative jeu vidéo complètera utilement les dispositifs. Ces dispositifs attractifs combinés aux formations qui font la réputation de notre pays nous permettent donc désormais  d’inverser la tendance de la fuite des talents français du jeu vidéo vers le Canada. Ainsi depuis le début de l’année, nombreuses sont les entreprises étrangères à nous contacter spontanément pour en savoir plus sur les dispositifs et sur la localisation d’équipes de production en France. Et de nombreuses entreprises françaises ont pu bénéficier de ces mécanismes et ainsi investir en France et renforcer leurs équipes.

Au niveau des entrepreneurs français également la confiance dans l’écosystème est de retour puisque 83% des entreprises sont désormais confiantes dans l’avenir de leur entreprise et la France est citée dans le top 3 mondial des pays attractifs pour la production de jeux vidéo.

Il nous reste maintenant à démontrer partout dans le monde la réalité de cette attractivité en améliorant la communication sur nos dispositifs et sans doute à terme en simplifiant leur accès.

Julian Alvarez :Sur le plan fiscal, grâce aux action du SNJV et du  SELL, il y a eu des avancées significatives. Mais on reste très loin de la situation québecoise. Là bas, cela fait des années qu'ils favorisent les acteurs du domaine des jeux vidéo et la province tire partie d'un retour sur investissement indirect en attiant de nouveaux salariés donc des habitants. Des Etats aux Etats-Unis ont adopté une stratégie similaire. 

En France, on a du mal a vraiment accepter pleinement le JV comme faissant partrie de la culture à part entière, il y a toujours une conotation négative associée aux jeux vidéo. Cela change avec des acteurs politiques plus jeunes, plus sensibles au jeux vidéo et au Serious Game. Mais, il reste du chemin à parcourir. Par exemple, introduire des jeux vidéo au collège ou au lycée pour enseigner reste encore très confidentiel. Au delà de la question fiscale, il y a aussi et cela manque, une réflexion à mener sur l'accompagnement au changement afin que le jeu vidéo soit valorisé auprès des décideurs publics et privés, de l'opinion publique...
Et il y a un autre problème: on ne voit pas très bien comment dégager des modèles économiques permettant de s'écarter de cette idée de loterie lorsqu'on dispose de petits budgets. Comment faire du marketing avec un budget proche de zéro euro?  On peut faire le choix d'acquérir une licence mais là on n'est plus pleinement détenteur des droits et du coup les aides au CNC ne peuvent plus s'appliquer.

C'est juste un exemple, mais cela montre que des contraintes fortes pèsent sur les petits studios pour se développer.
A mon avis, une des clés serait que la recherche universitaire soit associée à cette industrie créative. C'est ce qui s'est passé au Japon au milieu des années 2000. Le gouvernement japonais a fortement incité les industries vidéoludiques à travailler de concert avec le monde de la recherche. La création du "programme d'entraînement cérébral du Dr Kawashima" ou de Wii Fit, vendus à plusieurs millions d'exemplaires sont issus de tels programmes par exemple.
Ce type d'incitation, serait sans doute un moyen d'abandonner une approche court-termiste afin que les studios jouissent d'une visibilité à 3 voire 5 ans. Des initiatives françaises s'inscrivent dans cette dynamique pour des gros acteurs. Ainsi en 2012, le gouvernement français a contribué à financer le projet Mango associant Ubisoft au CNRS par exemple à hauteur de trois millions d'euros par exemple. Il s'agit de développer des moteurs de jeux vidéo de nouvelle génération.
De telles aides pourraient contribuer à exploiter le potentiel de la réalité virtuelle, des objets tangibles, de la robotique... Approches qui sont étudiées depuis plusieurs années par des universitaires et qui aujourd'hui correspond à une tendance de pointe dans les jeux vidéo.
La recherche universitaire offrent bien d'autres facettes comme les sciences de gestion qui peuvent potentiellement contribuer à l'exploration de nouveaux modèles économiques, à des sciences humaines pour évaluer les expériences utilisateurs, les apports du jeu dans les domaines de la pédagogie, de la santé... Ce n'est pas exhaustif. Dans le contexte d'un marché international, je suis persuadé que le monde de la recherche est un bon atout pour accompagner nos studios français. Et en retour, je pense que la Recherche a besoin des studios pour s'ouvrir des perspectives. L'un nourrit l'autre.

Propos receuillis par Adeline Raynal

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