Panthéonisation de Missak Manouchian : ce bilan jamais fait du communisme qui empoisonne toujours la démocratie française<!-- --> | Atlantico.fr
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Avant son inhumation au Panthéon, une veillée funéraire a eu lieu mardi en l'honneur du poète arménien et résistant Missak Manouchian. La cérémonie s'est déroulée au Mont-Valérien, lieu de son exécution par l’armée nazie.
Avant son inhumation au Panthéon, une veillée funéraire a eu lieu mardi en l'honneur du poète arménien et résistant Missak Manouchian. La cérémonie s'est déroulée au Mont-Valérien, lieu de son exécution par l’armée nazie.
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Une certaine complaisance

On peut trouver parfaitement légitime la célébration de la mémoire des résistants étrangers et la panthéonisation de Missak Manouchian sans oublier qu’il combattait autant pour l’internationale communiste que pour la France.

André Sénik

André Sénik

André Sénik est agrégé de philosophie.

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Mathias Nivel

Mathias Nivel

Mathias Nivel est universitaire et historien.

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Atlantico : La présence de Marine Le Pen à la cérémonie de panthéonisation de Missak Manouchian n’est pas souhaitée par le président de la République au nom du passé de sa famille politique. Aujourd’hui tout le monde fait l’examen de conscience de l’héritage du Rassemblement National, mais très peu de l’extrême gauche héritière du communisme. Pourquoi?

Mathias Nivel : Le Président de la République est dans son rôle en faisant savoir sa préférence, mais sans pour autant empêcher la présence de Marine Le Pen pour la cérémonie de panthéonisation. Au même titre que les députés LFI avaient toute leur place lors de l’hommage national aux victimes françaises des attaques terroristes du 7 octobre en Israël, les députés RN sont légitimes à assister à la panthéonisation de Missak Manouchian, car ce sont dans les deux cas des représentants de la nation à un événement précisément national. S’ils avaient été présents pour une autre qualité que députés, leur présence aurait été beaucoup plus contestable. D’une façon générale, j’observe des tentatives croisées d’exclure des temps fort de la nation – que constituent un hommage national, et a fortiori une panthéonisation – les opposants politiques, qu’ils soient de gauche ou de droite.

Si l’on fait aujourd’hui l’examen de conscience de l’héritage du RN, n’oublions pas que celui de l’extrême-gauche héritière du communisme a été aussi fait dans les années 1990, et dans le même but : saper la légitimité de formations politiques et leurs chances d’accession au pouvoir. L’examen actuel de conscience de l’héritage du RN n’est en rien étranger à son influence croissante sur la vie politique française, et à ses chances d’accession au pouvoir qui n’ont jamais été aussi fortes. Il n'en demeure pas moins que le RN a été fondé par des personnalités d’extrême droite, dont d’anciens collaborateurs, et pire, des individus ayant porté l’uniforme allemand. Néanmoins, la référence aux « heures les plus sombres de notre histoire », à torts et à travers, depuis la Libération, est usée et ne porte plus chez les Français.

André Sénik : On continue de prêter des intentions humanistes à l'idée communiste, en dépit de son histoire passée et présente. C'est ce qui explique qu'elle ne soit pas soumise à procès et à condamnation. 

Ce faisant, on confond les sentiments des militants communistes qui donnèrent leurs vies en croyant aux lendemains qui chantent, et la véritable nature du communisme. Ce mirage s'est enfin dissipé, particulièrement chez les Juifs.

Il est légitime de faire entrer au Panthéon des résistants d’origine étrangère, d’abord parce qu’ils méritent spécialement la reconnaissance de leur pays d’accueil, la France. Encore faut-il préciser qu’ils ont donné leurs vies contre le nazisme, plus que par simple patriotisme.

Cette reconnaissance officielle manifeste le refus de la société française de rejeter indistinctement tous les immigrés, en confondant ceux qui nous font du bien avec ceux qui nous veulent du mal. Encore faut-il préciser que les immigrés d’aujourd’hui ne sont pas ceux de cette époque, et que l’immigration d’aujourd’hui doit être abordée pour ce qu’elle est.

Il est toujours dangereux en politique de se tromper d’époque. Le Président Macron commet une double faute sur l’Histoire de notre pays en traitant le RN d’indésirable à cette commémoration et en le faisant à partir d’un journal communiste. 

Sa première faute est d’imputer au RN d’aujourd’hui la complaisance envers Vichy qui fut la marque du parti de J-M Le Pen pendant des décennies. C’est une faute de rejeter le ralliement affiché par ce parti à l’hommage du pays aux résistants issus de l’immigration. Il faut au contraire s’en féliciter. Ce sont nos ennemis qui se désignent comme tels, et non pas nous qui les rejetons.

La seconde faute du Président Macron est de faire implicitement bénéficier le parti communiste d’aujourd’hui de l’héroïsme des résistants communistes et étrangers de cette époque, et particulièrement des résistants juifs communistes qui figurent en grand nombre parmi les visages de l’affiche rouge. C’est une faute parce que les Juifs d’aujourd’hui ont massivement rompu avec le communisme et avec l’extrême gauche, dont ils ont découvert la nature totalitaire, antisémite et hostile à l’État d’Israël. 

Songez que le NPA actuel, qui est l’héritier direct de la Ligue communiste révolutionnaire qui à sa création était dirigée quasi exclusivement par des Juifs, applaudit sans vomir aux crimes barbares commis pendant le pogrome du 7 octobre.

La complaisance envers le journal du PCF et l’ostracisme à l’égard du RN s’expliquent peut-être par un calcul électoraliste. Ils n’en sont pas moins une double faute historique.

Pourquoi le communisme n’a-t-il jamais été traité comme le nazisme, notamment en France ?

André Senik : Le communisme en France bénéficie de sa filiation avec la Révolution française qui elle-même a été encensée sans réserve par les communistes.

Le communisme a séduit massivement les intellectuels français dans les années 50. Même la gauche non communiste n’a jamais rompu avec le communisme comme la social-démocratie allemande l’a fait au congrès de Bad Godesberg.

D’autre part, le rôle des soviétiques pendant la seconde guerre mondiale a fait de Staline le vainqueur et l’opposé de Hitler. 

Enfin, on a tendance à confondre le communisme avec l’idéal que les militants lui prêtaient.

J’ai publié deux livres critiques sur Marx qui n’ont pas intéressé un grand public.

Marx reste considéré dans les cercles culturels comme un grand philosophe et non comme le penseur du totalitarisme. 

Ne pas avoir fait le bilan du communisme, quand on se cache souvent derrière celui de l’extrême droite, ne crée-t-il pas un deux poids deux mesures ?

Mathias Nivel : Faire aujourd’hui le bilan du communisme, ce serait, pour reprendre Marx, « comme donner une claque à sa grand-mère ». Cela a été fait et il n’y a plus aucune menace communiste de type soviétique aujourd’hui, en France ou ailleurs, alors que l’accession au pouvoir du RN, et de l’extrême-droite à l’étranger, n’est plus de l’ordre de la science-fiction. Par ailleurs, il faut reconnaître que les communistes ont été capables de faire leur auto-critique et ne se reconnaissent pas ou plus dans le régime soviétique. Aujourd’hui, il est aussi stupide de considérer les communistes comme des nostalgiques de l’URSS, que de considérer les membres du RN comme des admirateurs du IIIe Reich. Mais il y avait un intérêt politique à soutenir la première proposition pour détruire une véritable alternative à gauche par le passé, et il y a un intérêt politique à soutenir la seconde proposition pour empêcher l’accession du RN au pouvoir aujourd’hui ou demain. Plutôt qu’ « un deux poids, deux mesures », je dirais « la roue tourne ».

A quel moment cela s’est joué ? Est-ce au moment de la chute du mur de Berlin et des années 90 ? Pourquoi rien n’a été exigé en France des acteurs du communisme et pourquoi le bilan du communisme n’a-t-il pas été fait comme dans les pays de l’Est ?

André Senik : Mais en France les communistes n’ont pas eu la possibilité de faire des crimes.

Pourquoi en France y a-t-il toujours un communisme et des noms de rues en hommage à des figures communistes comme Maurice Thorez ? Et comment cette absence de bilan similaire à celui des pays de l’ex-URSS continue d’influer sur la société, notamment dans les universités ?

André Senik : On ne lit plus guère Marx ces temps-ci. Mais le prisme de la lutte sans compromis entre dominés et dominants est l’héritage de la lutte des classes tous terrains de Marx.

Au regard de l’épisode sur Marine Le Pen et la polémique sur sa participation à l’hommage à Missak Manouchian, pourquoi attribuer aux uns les méfaits de la collaboration et pas aux autres les crimes du communisme ? 

André Senik : Encore une fois les communistes de France ont été du bon côté dès que l’Allemagne a envahi l’Union soviétique. Et ils n’ont de sang français sur les mains. Un jour viendra ou le procès du communisme totalitaire de Marx sera possible. Mais c’est plus compliqué que de dénoncer le nazisme et le fascisme.

J’y contribue avec patience et obstination. 

Quel impact sur la société (via l’éducations, la justice, les médias, l’administration) l'absence de bilan du communisme a-t-elle eu sur la société française ?

André Senik : L'idée communiste, quoique souvent de façon implicite, continue de servir d'idéal régulateur et de mauvaise conscience à la bien-pensance de gauche.

Pourquoi les aspirations souverainistes de la droite radicale sont fréquemment cataloguées comme fascistes, quand celles de l’extrême gauche représentent généralement le camp du bien ? 

André Senik : Le mot "souverainiste" ne convient pas pour caractériser les deux extrémismes hostiles à la démocratie libérale. La différence entre les deux est que le communisme se présente comme un humanisme universaliste (qu'il n'est pas) alors que le fascisme et le nazisme ne cachent pas leur violence nationaliste.

Après la chute de l'URSS, nous n'avons pas fait le même bilan du régime Soviétique qu'au moment de la dénazification de 1945. Quel est l'impact politique et concret de cette absence de bilan ? 

Mathias Nivel : Dans des pays comme la France ou l’Italie, où il y avait des partis communistes encore puissants lors de la chute de l’URSS, nous avons considéré que le système concentrationnaire soviétique et la répression de façon plus générale étaient des dévoiements du communisme, là où cela était partie intégrante du nazisme. Nous estimons, à raison, que l’on ne peut pas réduire le communisme aux goulags, d’autant plus que le régime soviétique avait mis fin de lui-même au système concentrationnaire construit par Lénine et Staline, à travers le processus de déstalinisation. Et puis surtout, n’oublions pas que c’est grâce à l’URSS, avant tout, que l’Allemagne nazie a été vaincue ; ce prestige n’était alors pas négligeable, alors qu’aujourd’hui il a disparu. Néanmoins, le livre noir du communisme paru à la fin des années 1990 a dressé un bilan sans appel du régime soviétique en établissant des parallèles avec le régime nazi. Et puis, n’oublions pas qu’en Europe de l’Est, le bilan du communisme n’a rien à envier à celui du nazisme, parfois de façon injuste.

André Senik : En réalité, ce bilan historique a été fait. Je pense à Soljenitsyne, à Mémorial, et au Livre noir du communisme dirigé par Stéphane Courtois. C'est l'idée communiste qui n'a pas été mise en procès, et qui continue d'inspirer la culture d'une partie de la gauche.

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