Pakistan ou Qatar : qui sera le sponsor des Talibans cette fois-ci ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un membre des talibans sort d'un Air Force Afghan dans l'aéroport de Kaboul.
Un membre des talibans sort d'un Air Force Afghan dans l'aéroport de Kaboul.
©Wakil KOHSAR / AFP

Talibans

Entre négociation et médiation, le Qatar et le Pakistan pourraient se révéler être les nouveaux perturbateurs pour la stabilité Afghane. Quel rôle ont pu avoir les diverses politiques américaines depuis Bush sur la pérennité des programmes anti-talibans ?

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : Quel rôle le Qatar joue-t-il auprès des Talibans ?

Emmanuel Dupuy : Le rôle du Qatar est simple. Le président Obama voulait engager des négociations discrètes avec les talibans alors que cela faisait déjà plus de quatorze ans que les forces occidentales étaient présentes en Afghanistan. Le Qatar a servi depuis 2013 de médiateur et continue à le faire depuis lors. Le Qatar a un rôle particulier par la concomitance de son agenda avec celui des Frères musulmans qu'il héberge sur son territoire ce qui justifie les intérêts qu'il entend défendre dans la région, tout comme la Turquie entend le faire par son agenda diplomatique et religieux justifiant l'offensive diplomatique du président Erdogan dans tous les territoires de langue turque.

C’est la raison pour laquelle un certain nombre d'autres pays ont d’ores et déjà dit aussi qu’ils reconnaîtront les talibans très rapidement. En 1996, trois pays seulement avaient reconnu l'Afghanistan (le Pakistan, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis). Nous sommes dans une logique renversée cette fois-ci. Ce sont les pays qui n’ont pas le même agenda que les Emirats arabes unis ou l’Arabie saoudite, précisemment le Qatar et la Turquie, qui sont cette fois-ci le plus en attente d’une normalisation avec les talibans ou l’instauration de relations diplomatiques officielles avec ce qui est désormais l’Emirat islamique d’Afghanistan.

Pour la Turquie, c’est une autre question. C’est une façon de dire que la présence turque, qui est engagée depuis que les forces de l’OTAN sont présentes en Afghanistan à partir de 2001, était d’une nature différente de celle des 49 autres nations engagées dans le cadre de la Force Internationale d'Assistance à la Sécurité  (FIAS) de l'OTAN. Les Turcs n’ont ainsi jamais revendiqué d’opérations militaires, mais davantage des opérations de formation (d'entrainement) et de protection des infrastructures otaniennes. C’est la raison pour laquelle les Turcs ont tenté de négocier ces dernières semaines avec les talibans. Face au refus des talibans, les militaires turcs ont déjà fini leur rotation militaire en Afghanistan il y a quelques jours mais tente de proposer leurs services pour la gestion logistique de l'aéropol de Kaboul à partir du 1er septembre. La Turquie a tenté de jouer sa propre partition et son propre agenda un peu différemment des autres pays de l’OTAN. Or, la Turquie est néanmoins considérée de la même manière par les talibans : en étant priée de sortir du pays comme les autres nations occidentales. Toutefois, le président turc Erdogan, comme le président iranien Raïssi, comme le président russe Poutine et comme le Premier ministre pakistan Imran Khan ainsi que le président chinois Xi Jinping vont opportunément montrer que la fin de ce conflit en Afghanistan est aussi l’échec de la communauté internationale, du multilatéralisme et de l’Occident face à la montée en puissance d’un agenda oriental, qui est aussi un agenda économique car c’est aussi cela qui se joue actuellement en Afghanistan.

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Le Pakistan a toujours soutenu les talibans. Quel a été son rôle ces dernières années et quel rôle joue-t-il actuellement ?

Le Pakistan a toujours été un perturbateur de la stabilité afghane. Cette réalité est un héritage des trois guerres anglo-afghanes (la première en 1839, la dernière s’étant déroulée en 1919). L’Afghanistan et le Pakistan à leur indépendance ont hérité d'un passif : la ligne Durand. Celle-ci matérialise depuis novembre 1893 la frontière entre les deux pays (2430 kilomètres) alors que cette dernière n'a pas été reconnue par l’Afghanistan en 1949, contrairement au Pakistan qui la considère comme intangible. Cette ligne englobe un certain nombre de territoires que les Pakistanais ont récupéré, alors que ceux-ci sont contestés par l'Afghanistan Il y a donc un litige frontalier entre les deux pays.

Il y faut aussi considérer la difficulté d’avoir deux pays séparé alors qu’une bonne partie de la population qui compose l’Afghanistan et qui compose le Pakistan sont issues de la même tribu et de la même ethnie, en l’occurrence, les Pachtounes qui se situent à la fois dans la province de Kandahar et de Ghazni en Afghanistan et en même temps dans le Baloutchistan pakistanais autour de la ville de Quetta.    

Il y a également un autre écueil. C’est au Pakistan que se sont trouvés les groupes terroristes que la communauté internationale souhaitait éradiquer. Le chef d’Al-Qaïda, Oussama Ben Laden que la communauté internationale entendait punir par rapport à sa reponsabilité dans les attentats du 11 Septembre 2001 n’a pas été tué en Afghanistan à Torabora, mais a été tué dix ans plus tard, en mai 2011, au Pakistan, à Abbottabad, qui est au cœur du système politique et militaire pakistanais. C’est là, en effet, que se trouve l’académie militaire pakistanaise.

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On voit bien qu’il y a donc un non-dit. La guerre contre le terrorisme a été engagée par le président Bush Jr contre l’Afghanistan pour donner suite aux attaques du 11 septembre 2001. Les Afghans hébergeaient et refusaient de livrer Oussama Ben Laden. Pourtant quelques mois après, ce même Ben Laden est allé se réfugier au Pakistan. et a été accueilli par les Pakistanais pendant dix ans. Il faut sans doute avoir à l’esprit que l’Afghanistan n'est pas en possession la bombe atomique contrairement au Pakistan qui est en possession de l’arsenal nucléaire (premier essai en 1998). Cela change radicalement la donne. D'ailleurs, peut-être que si nous avions fait la guerre au Pakistan, nous ne serions pas dans la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement en Afghanistan.

Un article de Bloomberg avançait que le Pakistan et le Qatar ne soutiennent pas exactement la même frange des talibans. Le Qatar soutenant une frange plus politique, le Pakistan une frange plus militaire. Est-ce le cas ?

Il n’y a aucune différence entre la branche politique et la branche militaire. Ce sont les mêmes qui ont été formés par les services de renseignement pakistanais Inter-Services Intelligence (ISI) dès 1994. Les talibans ne sont pas autre chose que des supplétifs de ces services. On risque de le constater, hélas à nos dépens, d’ici quelques semaines lorsque les talibans disposeront des appareils militaires, notamment des avions et hélicoptères ayant quitté le territoire lors de l'offensive éclair d'août. Sur les 167 avions et hélicoptères dont disposait l’armée afghane, une bonne partie échappe actuellement aux talibans. Une partie est allée se réfugier en Ouzbékistan (une cinquantaine) et au Tadjikistan (une vingtaine). Ces appareils sont ultramodernes (des hélicoptères black hawk américains, des MI-17 russes et des appareils Cessna et super tucano). Ces engins nécessitent évidemment des pilotes, une technique, des pièces détachées, du ravitaillement et des capacités logistiques dont ne disposent pas actuellement les talibans. Ces derniers iront sans doute les trouver auprès de leur parrain et de leur soutien pakistanais. C’est de ce point de vue que l’on verra, comme n’a cessé de le dire le leadership politique afghan depuis 20 ans, que ce sont bien les services de renseignement pakistanais (ISI) qui ont monté de toute pièce les talibans pour affaiblir le pouvoir et le régime afghan soutenu par la communauté internationale. Le Premier ministre pakistanais Imran Khan s'est d'ailleurs félicité de la manière dont les talibans ont conquis le pouvoir.

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Qui va le plus profiter et qui va le plus soutenir les talibans dans les mois et années qui viennent entre le Qatar, le Pakistan et la Turquie ?

Le Pakistan va soutenir ses propres intérêts en Afghanistan. La Turquie soutiendra ce pays pour ses intérêt car Ankhara dispose désormais avec l’arme migratoire et les réfugiés afghans d’un moyen supplémentaire de pression vis-à-vis de l’Union européenne. On se rappelle que la Turquie avec les 3,6 millions de syriens réfugiés sur son territoire a obtenu 6 milliards d’euros de l'Union européenne. Ce schéma pourrait se reproduire avec le sort des migrants afghans. La Turquie jouera inévitablement la carte des réfugiés.

Il en va de même pour l’Iran. Téhéran a besoin de revenir à la table des négociations sur le nucléaire iranien et pourrait mettre en exergue son rôle en Afghanistan comme un atout et une marque de sa bonne volonté. Ce fut le sens de la première prise de parole du nouveau ministre des Affaires étrangères iranien,Hossein Amir Amirabdollahian, lors de la réunion consacrée au terrorisme à Bagdad le 27 août dernier. L'Iran pourrait ainsi négocier avec les Etats-Unis également, fortement décrédibilisés au Moyen-Orient suite à leur échec patent en matière de stabilisation en Irak, en Syrie et en Afghanistan. Sans doute que l’Iran voudra aussi montrer sa bonne volonté en rappelant que le pays peut assumer une sorte de leadership et de résilience face aux mouvements terroristes en cours de reconstitution au Moyen-Orient mais aussi en Asie de l’Ouest, en Asie centrale et en Asie du Sud.

Le Pakistan et l'Iran vont donc tenter de consolider leur propre "profondeur stratégique" dont ont toujours rêvé sans oser l'espérer compte tenu de la présence des forces américaines et occidentales au Moyen-Orient et en Asie du Sud. Etant donné qu’il n’y a désormais plus de soldats américains en Afghanistan, les Pakistanais ont obtenu ce qu’ils cherchaient : continuer à bénéficier de soutien financier des Américains sans avoir à assumer leur présence sur leur propre territoire.

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C’est également la victoire de la Chine et de la Russie qui profiteraient d’une désoccidentalisation de l’agenda du multilatéralisme, de l'échec du "nation building", de la stabilisation selon les critères onusien. Toutes les opérations onusiennes, otaniennes ou états-uniennes en Irak, en Syrie et en Afghanistan ont échoué. C’est un puissant narratif entre les mains de Vladimir Poutine et Xi Jinping pour montrer que le monde a changé, que les règles du jeu international ont changé et qu’il faut désormais tenir compte de l'orientalisation des relations internationales.  

Il en sera question lors du sommet de l'OCS qui va se tenir en septembre au Tadjikistan. L'Afghanistan y fera officiellement son entrée.

L'un de ces pays est-il plus susceptible que les autres de peser et d’avoir de l’influence sur le régime taliban ?

Les talibans ont besoin de deux choses. Ils ont besoin d’argent. L’Afghanistan était un pays sous perfusion ces dernières années. Les Américains ont dépensé deux trillions de dollars durant les 20 dernières années.  90% du budget des administrations afghanes était payé directement par les Américains.

Si la communauté internationale coupe les vivres du pays qu'adviendra-t-il ? Le FMI a bloqué tous les comptes de l’Afghanistan. La banque mondiale ne livre plus aucun argent. L’OMS a décidé de ne plus livrer les vaccins tant qu'il n'y a pas d’autorité reconnue par la communauté internationale. L’aide humanitaire est la seule chose qui est maintenue. Le programme alimentaire mondial a décidé de maintenir son aide alimentaire. 80 000 Afghans sont en situation de carence nutritionnelle. 600 000 tonnes de nourriture vont être livrées prochainement par le PAM.

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Les talibans ont moins besoin de reconnaissance diplomatique que de fonctionner afin de toucher les subsides ou l’argent dont bénéficiaient les autorités afghanes jusqu’à présent. Les talibans peuvent dès lors très bien se passer d’une reconnaissance internationale. Les talibans ou le nouveau gouvernement "inclusif" qui sortira des négociations avec et ce qui reste de la classe politique afghane vont aussi argumenter qu’il existe une autre façon de dialoguer avec les bailleurs de fonds, en ciblant les banques d'investissements orientales, fortement attirées par les richesses minières et minérales, ainsi que des terres rares dont dispose le pays.

L’Afghanistan est un pays qui n’a pas été très exploité au regard des 40 ans de guerre qui ont consommé l’énergie des différentes institutions et de la communauté internationale autour de la lutte contre le terrorisme. Le pays dispose  de mines d’or, de platine, de chromite, d’uranium. L’Afghanistan possède la plus grande réserve de lithium au monde alors que lors de la dernière réunion des ministres des fiances du G7, les difficultés  d'approvisionnement et de production des composants de nos batteries électriques ont été évoquées. La richesse minière de l’Afghanistan avoisine les mille milliards de dollars. Les talibans pourront donc utiliser cet argument. Ils ont déjà commencé à le faire avec la Chine. Le ministre des Affaires étrangères Wang Yi a rencontré le chef de la commission politique des talibans, Abdul Ghani Baradar, en confirmant les investissements chinois. La Chine, en 2007, a fait le plus gros investissement en Afghanistan :  3 milliards de dollars, pour la plus grosse mine de cuivre au monde, Mas Aynak. Peut-être faut-il ainsi considérer que nous aurons, nous aussi, pays occidentaux, besoin de dialoguer avec les talibans dans cette perspective, ainsi que de discuter avec nos partenaires orientaux (Iran, Russie, Turquie, Chine) de la reconnaissance du gouvernement ou du moins des relations à nouer avec les talibans. 

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