Responsabilité + solidarité = stabilité : le jour le plus important du quinquennat de François Hollande ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les députés doivent voter ce mardi le plan de stabilité : un jour crucial pour François Hollande.
Les députés doivent voter ce mardi le plan de stabilité : un jour crucial pour François Hollande.
©Reuters

Alea jacta est

Les députés doivent voter ce mardi 29 avril le plan de stabilité visant à économiser 50 milliards d'euros promis par François Hollande en janvier et porté par Manuel Valls. Ce vote, qui est purement consultatif, est déterminant pour l'avenir du Parti socialiste.

Olivier Rouquan

Olivier Rouquan

Olivier Rouquan est docteur en science politique. Il est chargé de cours au Centre National de la Fonction Publique Territoriale, et à l’Institut Supérieur de Management Public et Politique.  Il a publié en 2010 Culture Territoriale chez Gualino Editeur,  Droit constitutionnel et gouvernances politiques, chez Gualino, septembre 2014, Développement durable des territoires, (Gualino) en 2016, Culture territoriale, (Gualino) 2016 et En finir avec le Président, (Editions François Bourin) en 2017.

 

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Atlantico : C'est ce mardi 29 avril dans l'après-midi que l'Assemblé nationale est appelée à se prononcer sur le plan de stabilité, qui comprend 50 milliards d'euros d'économies. Etant seulement consultatif, ce vote n'oblige pas le gouvernement à s'y soumettre en cas de résultat négatif. Depuis que Manuel Valls a détaillé son plan, plusieurs socialistes frondeurs ont menacé de ne pas le voter. En quoi le fait que ce vote soit un objet juridique non identifié peut-il inciter plus que de coutume à la dissidence dans les rangs de la majorité ?

Olivier Rouquan :Le Premier ministre a été nommé par le président pour incarner la volonté d'agir vite, et d'obtenir des résultats visibles. Le 8 avril, il a prononcé un discours de politique générale clair, saillant dans lequel il y avait, dans la continuité du discours présidentiel, l'annonce de ces économies. Manuel Valls s'est montré très directif dès le début, et son style personnel conforte cette volonté de l'exécutif de moins délayer la prise de décision. Pour autant, ce gouvernement est responsable devant l'Assemblée nationale au sens politique du terme, et donc le Premier ministre doit veiller à représenter une majorité parlementaire. Il faut donc bien que Manuel Valls continue de négocier avec la gauche plurielle, et particulièrement avec le PS, qui est le pivot de la majorité. Il doit d'autant plus continuer à négocier avec ce parti qu'il est soumis à des tensions plus importantes du fait des municipales et des tendances lisibles pour les élections à venir.

Ces tensions sont avivées également parce que l'exécutif, et tout particulièrement le président, est très impopulaire. Il est clair que coordonner et diriger cette majorité, avec l'abstention des Verts, les hésitations des radicaux de gauche, et l'opposition de plus en plus avérée du Front de gauche, demandera du temps, consacré à la négociation. C'est la phase d'ajustement du plan de stabilité, qui a été ouvert la semaine dernière pour essayer  de contenter les plus récalcitrants.

Valls devait laisser s'exprimer une certaine inquiétude, voire un esprit critique de la part de certains députés proches d'Aubry. Il n'est pas mauvais non plus, pour rééquilibrer son image de fonceur, de laisser ces doutes s'exprimer, et de faire des concessions sur les retraites, le point d'indice, le RSA… Cela permet d'une part à des députés frondeurs d'exister politiquement, et pour lui de montrer qu'il n'est pas seulement là pour contraindre la majorité à marcher au pas. "Je sais aussi négocier", cherche-t-il à dire, ce qui s'inscrit dans une continuité par rapport à la politique précédemment menée.

En quoi le gouvernement se retrouve-t-il dans une situation particulièrement imprédictible ? A quoi peut-il s'attendre ? Et à quoi cette imprédictibilité le contraint-il ?

Ce sera un bon indice de l'état de fébrilité et de doute des parlementaires, et de l'état de désorganisation du PS. Les verts ont déjà prévenu qu'ils allaient s'abstenir, le MRG négocie jusqu'au dernier moment sans qu'on sache trop ce qu'il va faire, et le Front de Gauche a clairement dit qu'il s'opposait. Tout se joue donc sur le PS. Jean-Christophe Cambabadélis, qui est un homme de poigne, a déjà dit que le temps des hésitations était terminé, et qu'il fallait soutenir la politique du gouvernement, tout comme plusieurs ministres leaders du Parti socialiste. Cette consultation va donc donner un bon indice de la recomposition interne du PS, à ceci près qu'il ne concernera que les députés, qui ne constituent pas le seul centre de gravité du pouvoir au sein du PS. Sachant que ces derniers ont conscience de la fragilité actuelle de l'état de l'opinion, et savent très bien qu'en cas de désordre parlementaire, la seule issue est la dissolution. Si cette consultation échoue, ou fait apparaître un bon nombre de députés récalcitrants, on pourra dire que le pacte de responsabilité sera confronté aux déboires qui ont enlisé progressivement les annonces et les politiques de Jean-Marc Ayrault.

Manuel Valls enchaîne les rencontres et déclarations visant à rallier le plus largement possible, malheureusement au détriment de la clarté du débat. Pourrait-il le payer par la suite ?

Manuel Valls communique sur deux registres. Tout d'abord, celui qui est à la base de sa nomination, à savoir celui de la clarification. On l'a vu ce mardi à l'occasion de son rendez-vous avec les représentants territoriaux de l'Etat. Il veut bien marquer que les 30 milliards d'allègements sur les entreprises doivent engager ces dernières à créer de l'emploi.

Un second registre est celui de la consultation, qui est tout de même lié à la culture politique de Valls. Il ne faut pas oublier qu'il vient de la Rocardie, et donc qu'il est sensible à la consultation en général. Alors cela produit-il du flou ? Je dirais plutôt que c'est un bémol posé par rapport à sa trame principale, qui est d'incarner l'autorité et la rapidité. Il ne peut pas aller contre la tradition de la délibération et de la concertation propre au PS.

Si le plan de Manuel Valls n'est pas voté par la majorité socialiste, quels risques le gouvernement prendra-t-il à l'appliquer quand même ? Et quels risques prendrait-il à faire machine arrière ?

Si ce n'est pas voté, l'écho médiatique sur l'idée d'un échec sera tel qu'une réponse politique devra être trouvée. Au vu de l'environnement européen et international, il ne serait certainement pas possible d'arrêter le pacte auquel s'est engagé François Hollande dès janvier. On peut difficilement envisager qu'il ne soit pas mis en œuvre. D'autant qu'on a vu que la Commission européenne ne souhaitait pas que la France obtienne des délais sur les économies qu'elle a à faire.

Par contre si le vote n'est pas obtenu, il sera très difficile d'éviter un choc politique. On ne peut pas présumer de la réponse des décideurs en ce cas, mais il est clair que l'autorité de l'équipe en place sera de nouveau diminuée. Le système médiatique fera en sorte que tout ce qui est entrepris par le gouvernement sera négatif. On l'a vu à la fin des années Chirac, sous Sarkozy et sous Hollande, avec Jean-Marc Ayrault.

Il n'y a pas d'impossibilité en politique, mais un retour en arrière est fort peu probable, en raison des acteurs internationaux impliqués. On sait que si le taux d'endettement doit être stabilisé, il faut que les taux d'intérêt restent bas, et que si la crédibilité de la France est affaiblie, ces taux d'intérêt augmentent.

Comment les députés PS pourraient-ils être amenés par la suite à utiliser cet épisode ?

Les frondeurs pourraient créer un groupe, envisager d'être comptés au prochain congrès du PS, être considérés comme plus à gauche. Les cartes seraient redistribuées, ce qui poserait des difficultés importantes qui concerneraient en premier Jean-Christophe Cambadélis. Cette fraction à la gauche du PS existe déjà, mais si une dynamique supplémentaire se crée, cela affaiblirait considérablement l'action de l'exécutif.

Finalement ce vote ouvre-t-il la porte à une crise politique ? Quelle forme prendrait-elle ? Quels scénarios peut-on imaginer ?

C'est très risqué, mais Manuel Valls se dit qu'il sait ce qu'il fait. Il a fait un calcul, il ne reste plus qu'à en voir le résultat. C'est aussi pour lui une façon de montrer que le gouvernement écoute sa majorité, et au premier chef, les plus rétifs à sa volonté de rationalisation de l'action publique.

En cas de vote trop défavorable, trois crises politiques sont possibles :

  •  Un discours dominant qui va évoquer les échecs et les divisions de la majorité actuelle. Donc d'emblée, un fort affaiblissement du nouveau Premier ministre dans l'opinion. Autrement dit, ces quelques mois, qui étaient favorables pour faire passer un message et une dynamique, seront enrayés.
  • De façon plus institutionnelle, le leadership du PS sera publiquement mis en cause. On questionnera la légitimité de Jean-Christophe Cambadélis. à ce poste. On repartira au sein du parti, et plus largement au sein de la majorité sur une dynamique d'exposition permanente de fractures. Ce n'est plus seulement l'opinion qui est concernée, mais les élus à tous les niveaux, et les militants. La désorganisation sera totale.
  • Si tout ceci dure trop, la question de la suffisance et de l'homogénéité de la majorité au Parlement posera problème. L'enchaînement des événements, la perte du Sénat etc. posera la question de la responsabilité politique de gouvernement, et in fine de la dissolution.

François Hollande et Manuel Valls étaient-ils contraints d'en passer par là ? Le risque valait-il la peine d'être couru ? Que cherchent-ils en procédant ainsi ?

François Hollande n'est pas concerné, puisqu'il est question de la responsabilité du Premier ministre devant l'Assemblé nationale. Manuel Valls a choisi de passer par là pour montrer qu'il y avait des possibilités de dialogue, et tempérer son image très "Ve République", conception à laquelle la gauche a toujours eu du mal à adhérer. Cela était tout de même nécessaire du fait de l'état de fébrilité d'un certain nombre de parlementaires. Après les municipales, ce pari, avec tous les risques qu'il comporte, était nécessaire, donc.

>>> Manuel Valls présentait le 23 avril son plan d'économies de 50 milliards en Conseil des ministres (voir ici). Alors que celui-ci voté mardi 29 avril à l'Assemblée nationale, aucune des contre-propositions des députés PS pour réduire le déficit public (voir ici) n'a été retenue par le Premier ministre, cependant quelques aménagements ont été concédés : pas de gel des pensions de retraites en dessous de 1200 euros, le report du plan pauvreté est annulé, et le gel du point d'indice des fonctionnaires fera l'objet d'une clause de revoyure chaque année (à lire ici). <<<

Les principales mesures du pacte 

18 milliards d’euros d’économies de la part de l’Etat

  • Ces économies s’appuieront sur la maîtrise des dépenses de fonctionnement des ministères. Elle passe par des économies sur les dépenses immobilières, la mutualisation des fonctions support (achats et systèmes d’information notamment), et une réduction du train de vie de l’Etat. 
  • Les fonctionnaires contribueront à l’effort d’économie nécessaire avec la poursuite de la stabilisation de la valeur du point fonction publique. 

11 milliards d’euros d’économies sur les collectivités locales

  • Le projet de loi clarifiant l’organisation territoriale de la République supprimera la clause de compétence générale des départements et des régions. C’est une manière de rationaliser les dépenses et de clarifier le rôle de chacun. Par exemple, confier aux conseils régionaux toutes les compétences de développement économique (dont certaines étaient exercées par les départements) permettra près de 500 millions d'euros d'économies (source : le rapport Queyranne, Demaël et Jurgensen de 2013). Cela permettra également aux entrepreneurs et bénéficiaires de ces aides une simplification de leurs démarches. 
  • Dans une logique de simplification, le Conseil national d’évaluation des normes, mis en place avant l’été, donnera plus de place aux élus dans la diminution des normes, anciennes et nouvelles. 

10 milliards d’euros d’économies sur l’assurance maladie

  • mieux organiser les parcours de soins, en renforçant les soins de premier recours, en développant la chirurgie ambulatoire, en facilitant le retour à domicile après une hospitalisation, en améliorant le suivi des personnes âgées en risque de perte d’autonomie ; 
  • améliorer notre dépense de médicaments, grâce à une consommation plus raisonnée, à un plus grand recours aux génériques et à des prix davantage en adéquation avec l'innovation thérapeutique ; 
  • agir sur la pertinence médicale pour réduire le nombre d’actes et d’interventions inutiles ou évitables. 

11 milliards d’euros d’économies sur les dépenses de protection sociale

  • Dans un contexte de faible niveau actuel de l’inflation, les prestations sociales ne seront pas revalorisées pendant un an. Cette stabilité concernera les pensions du régime de retraite de base (1,3 milliard d’euros). Le même effort pourrait être réalisé s’agissant des retraites complémentaires qui relèvent des partenaires sociaux (2 milliards d’euros). Cet effort temporaire épargnera les retraités dont les pensions sont les plus modestes puisque le minimum vieillesse continuera, lui, d’être revalorisé. Le niveau des autres prestations sociales (logement, famille, invalidité) sera également stable jusqu’en octobre 2015 (0,7 milliard d’euros). Cette mesure ne touchera pas les minima sociaux (RSA, ASS, AAH, minimum vieillesse), dont la revalorisation sera garantie. 
  • Décidés dans le plan pauvreté de janvier 2013, les engagements de revalorisation exceptionnelle pour le RSA, le complément familial et l’allocation de soutien familial sont confirmés. Mais elles seront décalées  d’une année. 
  • Une nouvelle convention d’assurance-chômage, sur laquelle les partenaires sociaux se sont accordés, va permettre d’améliorer le fonctionnement du marché du travail, notamment en matière de sécurisation de l’emploi et de la formation professionnelle. Le régime d’assurance-chômage devra mieux contribuer au bon fonctionnement du marché du travail, et permettre de rétablir l’équilibre financier de l’UNEDIC à l’horizon 2017 (2 milliards d’euros au total).

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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