Outils connectés : les clefs pour éviter le "gavage numérique" des enfants sans sombrer dans la paranoïa anti-écrans<!-- --> | Atlantico.fr
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Des fans australiens prennent une photographie, un selfie, avec un smartphone avant un match de football entre l'Australie et l'Espagne lors de la Coupe du Monde de la FIFA.
Des fans australiens prennent une photographie, un selfie, avec un smartphone avant un match de football entre l'Australie et l'Espagne lors de la Coupe du Monde de la FIFA.
©WILLIAM WEST / AFP

"Biberon numérique"

Stéphane Blocquaux publie "Le biberon numérique: Le défi éducatif à l'heure des enfants hyper-connectés" aux éditions Artège. Aux mains des enfants et adolescents, certaines activités numériques peuvent s'avérer aussi dangereuses qu'attractives. À l'ère du smartphone et des casques virtuels immersifs, il s'agit d'être particulièrement vigilants concernant les usages d'internet et des dispositifs connectés que nous mettons à leur disposition.

Stéphane Blocquaux

Stéphane Blocquaux

Fort d'une expérience de 15 ans sur le terrain, docteur en Science de l'information et de la communication, Stéphane Blocquaux a mené diverses formations ou expertises auprès du ministère de la Santé, du Sénat, de la Fondation pour l'Enfance ou encore de la Protection judiciaire de la jeunesse.

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Atlantico : Vous publiez "Le biberon numérique : Le défi éducatif à l'heure des enfants hyper-connectés" aux éditions Artège. Les mutations numériques peuvent rebuter ou inquiéter certains parents vis-à-vis de leurs enfants sur leur usage d’Internet, des écrans et des réseaux sociaux. Est-il possible de réellement sevrer les jeunes générations face au « biberon numérique » ?

Stéphane Blocquaux : Il ne s’agit en aucun cas de les « sevrer du numérique », surtout à l’heure où l’on évoque des problématiques d’illectronisme. Le néologisme fait d’ailleurs un peu peur, dès lors qu’il s’agira pour ces générations de trouver un emploi qui demandera inévitablement des compétences digitales et des facilités à manipuler les moyens de communication à distance. En revanche, il est de notre devoir d’adultes responsables de les préserver du mieux de nos possibilités des effets délétères de la surexposition à la connectivité. Quelques minutes d’exposition au soleil ne sont pas néfastes à un enfant badigeonné de crème solaire. Alors que le laisser « griller » sur la plage sans protection... Malgré les messages de prévention de divers scientifiques « lanceurs d’alertes » (on peut citer Desmurget et sa « Fabrique du crétin digital »), nombreux encore sont les parents qui sous-estiment la nature et la violence de certains « mésusages » des outils connectés. Le « Biberon » est avant tout un livre « de terrain » qui propose un exposé analytique des principaux risques numériques juvéniles, sans pour autant diaboliser le net et ses réseaux.

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Vous proposez des méthodes et des solutions pour repenser son usage du numérique (avec un test ou une manière de calibrer le temps passé en ligne). Quels sont vos principaux conseils pour des parents désemparés face à des jeunes dépendants au numérique et aux écrans ou face à des individus souhaitant réguler leurs usages ?

Être au maximum « présent » au sein de cet espace numérique. Même si l’écart se réduit et que les nouveaux parents connaissent eux-aussi l’internet depuis longtemps, le digital n’a pas réduit son rythme de développement, bien au contraire ! Vous pensiez enfin maitriser les usages et les principaux gestes tactiles de votre tablette et voilà que débarquent sur les consoles de jeux de fascinants casques virtuels immersifs et leurs manettes haptiques (vous « ressentez » à distance les objets virtuels). Il ne faut pas relâcher l’effort de « veille numérique » dans les foyers, c’est même un défi majeur pour la parentalité du 21ème siècle.  Malheureusement, ce « job en plus » est souvent un « job de trop » pour des parents malmenés par un rythme professionnel de plus en plus soutenu et des contraintes professionnelles (et sanitaires...) qui mobilisent une grande partie de leur énergie. De fait, la tentation de se reposer sur les épaules de la « nounou numérique » est grande ! Et comment leur en vouloir, puisque que c’est le système de garde le moins cher de l’heure ? À l’inverse, certains parents vivent le numérique comme une menace pour la santé de leurs enfants et engagent une guerre sans fin, un épuisant bras de fer familial au quotidien, pour tenter de « dire non » à l’envahisseur. « Savoir dire non », c’est d’ailleurs la thématique privilégiée de Renaud Hétier (Professeur en Sciences de l’Éducation), avec qui je partage de nombreux travaux scientifiques. La solution me semble à la lisière de ces deux positions : il s’agit de tenter de responsabiliser progressivement nos enfants face à la délicate question de la gestion du temps connecté. Pour cela, l’apprentissage des repères temporels et la mise en place – avec leur accord et de manière consensuelle – de petits outils d’analyse et de gestion du temps passés derrière les outils numériques me semble une voie constructive et bénéfique. Je ne prétends pas que la tâche soit aisée mais je préconise cette piste de « l’apprentissage familial à la gestion temporelle numérique » par les enfants eux-mêmes.

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En fait-on trop avec la dépendance des plus jeunes aux écrans ? Sommes-nous tous réellement cyberdépendants ? L’addiction à la connectivité est-elle une réelle fatalité ? Comment combattre ou lutter efficacement contre l’addiction numérique ?

Non, nous n’en faisons par « trop » ! Je pense bien au contraire que nous sommes entrés dans une ère de « gavage numérique ». Jamais l’humain n’a passé autant de temps devant des écrans. Desmurget parle de 4h45 par jour d’écran (en moyenne) pour les 8/12 ans. Il évoque des enfants de 2 ans qui frôlent les 2 heures quotidiennes... Vous ne trouvez pas ça « trop » ?  Lorsque ces chiffres ont été médiatisés, beaucoup ont hurlé à la panique morale pour dénoncer des discours apocalyptiques. Certes, cela a fait peur aux parents. Peut-être même un peu trop d’ailleurs, de sorte à ce que certains se sont sentis dépassés et vaincus par avance. Pire encore, l’épidémie de Covid 19 a mis un véritable coup d’arrêt à ce mouvement de prise de conscience des risques liés à l’hyperconnectivité juvénile, une idée qui commençait pourtant à faire son chemin après des années de lutte. Mais comment prôner le discours du « sans écran » et de la déconnection positive... et dans le même temps, mettre en place des mesures qui consistent à empêcher par tous les moyens ces mêmes jeunes à se côtoyer physiquement en leur imposant de rester au maximum à domicile ?  C’est antinomique, me semble-t-il... L’addiction à la connectivité n’est certainement pas une fatalité, et encore moins chez les enfants. Elle est plutôt un dommage collatéral d’un projet sociétal plus vaste. Le « restez chez vous et connectez-vous les uns aux autres », que nous vivons actuellement de manière exacerbée avec les phases successives de confinement ne date pas d’hier. Depuis des années, les GAFA ne cessent de nous distancier physiquement, au prétexte de nous unir virtuellement. Il va nous falloir réapprendre (et apprendre à nos enfants) à accepter les risques du « réel ». Les risques de l’extérieur, ceux du monde du « vivant ». Le pixel semble rassurant de prime abord (pas de risque de blessures, de maladie, etc.) mais c’est un leurre. Il troque les risques du réel contre ceux du virtuel, qui sont parfois bien plus néfastes pour la construction identitaire d’un jeune.

Comment faire pour réduire le fossé et l’incompréhension qui subsistent entre la génération digitale et ses parents ?

Il faut avant toute chose « éduquer les parents » ;-) À bien y regarder, il existe peu de programmes nationaux ou de structures dédiés à cette éducation à la parentalité numérique. Ce sont le plus souvent des associations, novatrices et dynamiques, qui se sont emparées du problème. Pourtant, la question mérite bien autre chose qu’un traitement de type « restau du cœur » (pour pallier les insuffisances de la réponse étatique). Nous avons besoin de construire un réseau de « parents connectés », qui pourraient disposer de conseils et d’informations à la fois scientifiques et pédagogiques, pour leur apprendre à mieux contrôler et maîtriser les technologies digitales domestiques. Ce pourrait être, une fois n’est pas coutume, un usage utile de ces réseaux sociaux qui servent plus souvent à détruire qu’à rassembler. Comme un témoignage de ce besoin d’informations et conseils, je constate le succès des conférences grand public que je dispense dans toute la France depuis déjà 10 ans. Les parents viennent en nombre pour découvrir les enjeux de cette éducation au virtuel que je préconise, pour noter les petits outils pratiques, trouver les meilleures astuces et surtout partager leurs expériences de pédagogie numérique. C’est le signe d’une demande à laquelle il faut répondre, par autre chose que des préconisations télévisuelles d’installation de logiciels de contrôles parentaux, le plus souvent aveugles et inefficaces.

La pandémie, le confinement et le couvre-feu ont eu tendance à renforcer l’utilisation et la dépendance aux écrans (télévision, ordinateur, tablette, smartphone, casques de réalité virtuelle). Sera-t-il facile de rompre avec cette mauvaise habitude dans les mois à venir, lorsque la page de la Covid-19 sera tournée ?

Comme évoqué en amont, le coup porté par la distanciation sanitaire à la lutte contre la surexposition écranique est rude. Difficile de défendre le « sans écran », dans un monde ou la survie des séniors dépend de notre capacité à rester à domicile, quoi qu’il en coute.

Et surtout, les grands gagnants de l’équation sont précisément ces mêmes acteurs du numérique. Combien d’entre nous utilisaient quotidiennement « Teams » ou « Zoom » avant le premier confinement ? Certes, nous organisions ponctuellement une séance sous Skype pour nous réunir le temps d’une réunion. Aujourd’hui, l’équation est tout autre : il s’agit véritablement de l’avènement d’une modélisation de nos vies, d’une nouvelle donne sociétale et professionnelle. Je suis un universitaire et à ce titre le responsable pédagogique d’une cohorte de plus de 150 étudiants. Enfermés depuis des mois dans des appartements exigus, ces jeunes rêvent bien entendu de retrouver leurs amis au pied de la machine à café entre deux cours. En revanche, je connais beaucoup de professionnels qui ne se réjouissent pas nécessairement de revenir en présentiel. Ne plus faire la route, profiter au maximum de son domicile et de ses proches, le télétravail ne présente pas que des désavantages pour tous. Je ne suis pas du tout convaincu que la page du Covid va « simplement se tourner », surtout pour les adultes que nous sommes. Concernant les enfants, je crois (heureusement) à leur capacité de résilience. Mais il faudra (pour les parents) être force de proposition et mettre en face des activités alternatives concurrentielles « de poids » (piscine, karting, tennis, etc.) pour les extirper de ces mauvaises habitudes liées à cette phase de surexposition contrainte et massive aux écrans. Et tout cela aura un prix. Il est à la fois économique (le périscolaire pèse lourd dans le budget familial) et temporel (cela réclame du temps de présence parental et de l’investissement personnel). C’est à cette condition que l’on pourra équilibrer à nouveau la balance entre les activités réelles et les phases d’immersions virtuelles.

Les acteurs du numérique (réseaux sociaux, constructeurs d’objets connectés, développeurs et créateurs de jeux et de logiciels) se remettent-ils suffisamment en cause sur la question de la dépendance des usagers à leur service ou objets ? Pourraient-ils faire preuve d’encore plus d’originalité et repousser les limites de l’innovation pour éveiller et éclairer leurs utilisateurs ? 

Mais quel serait donc leur intérêt ? Vendre moins de produits, écouler moins de jeux vidéo, nous proposer moins de temps connecté ? Je suis toujours sidéré lorsque l’on demande à des sociétés industrielles basées exclusivement sur un modèle capitalistique libéral de produire moins. Qui pense sincèrement que Sony est une firme altruiste, avec une quelconque vocation éducative ? Il faut donc les y contraindre. Car vous vous doutez bien que c’est à contrecœur que les principaux cigarettiers mondiaux ont été tenus de tapisser leurs jolis paquets avec des photos de poumons malades... Je ne sais pas encore de quelle manière, mais il faudrait envisager d’obliger les grands acteurs du digital à mieux communiquer sur les risques de la surexposition numérique juvénile. La question mérite vraiment d’être étudiée et débattue de manière plus active en haut lieu.

Deux extraits de l'ouvrage : 

- L’utilisation des casques de réalité virtuelle est-elle déconseillée pour les enfants ?

- Contrôler sans tout interdire : les méthodes pour les parents afin d’encadrer l’usage du numérique de leurs enfants évoluent

Extrait du livre de Stéphane Blocquaux, "Le biberon numérique: Le défi éducatif à l'heure des enfants hyper-connectés", publié aux éditions Artège.

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