Origines du Covid, effets secondaires du vaccin : et s’il était temps pour les autorités de faire un sérieux bilan de la pandémie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Vaccination contre le Covid-19.
Vaccination contre le Covid-19.
©Victoria Jones / POOL / AFP

Bilan

Plusieurs mois après la fin de la crise sanitaire, la question de la pandémie demeure sur de nombreuses lèvres. Ainsi, certains législateurs américains affirmaient récemment avoir déniché de nouvelles informations concernant les origines du Covid-19 jugées “crédibles” et la question de l’efficacité des vaccins revient sur le devant de la scène.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Jean-François Thébaut

Jean-François Thébaut

Jean-François Thébaut est cardiologue, membre du Collège de la Haute Autorité de la Santé, président de la Commission amélioration des pratiques professionnelles et de la sécurité des patients.

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Atlantico : Quel bilan la France et l’Europe peuvent-elles dresser de la gestion sanitaire et politique de la pandémie ?  

Jean-François Thébaut : Commençons par rappeler que toute analyse de cet ordre se doit de ne pas être manichéenne. Il n’est vraiment question de distribuer des bons ou mauvais points à telle ou telle nation, puisque l’on sait maintenant que ce qui compte c’est d’appliquer une politique qui fonctionne avec son pays ; qu’il n’existe pas de méthode universelle. La Suède n’a pas eu besoin de confiner autant que la France et pourtant elle a affiché des résultats relativement similaires. En cause ? Une culture différente, qui a poussé les Suédois à éviter autant que faire se peut le contact, les transports ou l’avion (par exemple). Au final, la Suède n’aura pas fait moins bien que nous, loin s’en faut, quand bien même il y aura eu quelques différences, notamment du côté des populations les plus touchées. En France, les victimes du Covid se retrouvent essentiellement du côté des populations défavorisées. En Suède, c’était davantage les populations âgées et vulnérables. L’important, dès lors, c’est de bien comprendre sa population pour faire les bon choix politiques ensuite.

A cet égard, il est important de rappeler que le rapport de la France à la crise sanitaire s’est, initialement au moins, construit en réponse à un contre-exemple précédent désormais bien connu : la mobilisation extrêmement précoce observée en prévision de l’épidémie H1N1. Or, parce qu’un vaccin était déjà disponible, cette mobilisation ne s'est pas avérée pas nécessaire et elle a été sévèrement reprochée au gouvernement que l’on a accusé d’avoir surdimensionné les vaccinodromes entre autres. C’est une expérience qui a poussé la France à une très forte prudence et qui illustre aussi pourquoi il vaut mieux se garder de prononcer un jugement ex-poste, alors que l’on connaît la fin de l’histoire. Mais il est très important d’évaluer les résultats des différentes actions.

Ce qui est vrai, c’est qu’il est plus que temps de faire un sérieux bilan de la pandémie et de la façon dont elle a été traitée en France. Un certain nombre d’acteurs importants, parmi lesquels l'ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn, estiment aujourd’hui qu’en cas de nouvelle crise sanitaire impliquant un virus ou une bactérie inconnue, nous nous retrouverions de nouveau dans la même situation. Il existe, notons-le, deux types de crises sanitaires. Celles qui concernent des pathologies connues, comme cela peut être le cas du choléra aujourd’hui, et celles dont les pathogènes sont encore inconnus comme c’est le cas du Covid-19. Nous ne connaissions pas le virus et cela a engendré incertitudes et erreurs, résultant de cette ignorance. Il y a eu des polémiques concernant les traitements non validés qui ont pu être utilisés sur le terrain, un véritable cafouillage médiatique qui a permis à certains de mettre en doute la nécessité d’avoir un vaccin quand celui-ci a finalement émergé. A cet égard, il me semble essentiel de bien comprendre le rôle qu’a pu jouer la presse, qui a donné la parole à des experts auto-proclamés sans filtre. Il faut aussi souligner que le Conseil scientifique s’est senti manipulé et instrumentalisé par moments, tant et si bien que les discours tenus par l’exécutif et ce dernier ont parfois été assez différents. 

Ceci étant dit, il est possible de dire que l’Europe, en tant que communauté, a fait la démonstration de sa capacité de réaction quand les premiers vaccins ont été produits. Elle a permis à toutes ces nations l’accès à des vaccins en grande quantité à des tarifs négociés et la mise en place d’une politique de santé générale. C’était une première et nous avons des raisons de penser que cela pourra servir d’exemple à l’avenir pour d'autres médicaments. A échelle française, il faut rappeler la volonté de l’exécutif de créer des nouvelles instances qui lui ont permis de court-circuiter les instances scientifiques traditionnelles (HAS, AMSN, HCSP, Sociétés savantes...). Du fait de cette expérience H1N1 négative, semble-t-il, l’exécutif a voulu se prémunir contre la critique et a décidé de s’appuyer sur des recommandations scientifiques pour chacune des décisions politiques qu’il lui fallait prendre… et ce alors même que la science était alors bien en mal de fournir les réponses attendues. Nous ne savions pas quoi faire et le choix politique de baser chaque décision sur des incertitudes scientifiques relève à mon sens de l’erreur. Il y a eu confusion entre le scientifique et le politique. Le deuxième a cherché à asseoir sa légitimité sur le premier.

Un autre des reproches qui a été formulé à l’encontre de la gestion politique et sanitaire de la France, c’est son caractère autoritaire en la matière, remettant même en question des libertés individuelles comme celle de circuler. La “démocratie sanitaire” a été mise entre parenthèses : les représentants des instances des usagers, des patients ou des citoyens n’étaient pas appelés à s’exprimer, ne participaient pas au conseil scientifique. C’est quelque chose que j’ai personnellement constaté en tant que vice-président de la Fédération française des diabétiques. Nous n’avons été consultés que tardivement, quand il a fallu s’interroger sur les décisions sociales que la pandémie impliquait ; notamment concernant qui vacciner en premier lieu et à qui accorder des arrêts de travail. Plus tard, il faut bien le reconnaître, l’Assurance maladie s’est tournée très rapidement vers nous et a fait preuve d’une réactivité qu’il faut saluer, notamment dans sa politique du aller-vers.

Guy-André Pelouze : Le bilan d'une pandémie c'est d'abord la morbi-mortalité. La France, très mal partie, a réussi à redresser la barre grâce au vaccin à ARN messager qui a été disponible gratuitement pour les Français dans le cadre d'un achat européen groupé.

Figure N°1: Les morts dus à la Covid-19 par million d’habitants en Europe et en Amérique du nord. Certains pays ont mieux contrôlé la phase hyper dangereuse de la pandémie quand nous n’avions ni vaccin, ni antiviral, ni anticorps monoclonaux…

Pour le reste c'est plutôt l'absence de bilan qui caractérise ces trois ans post pandémie. Les causes en sont multiples. Il y a une cause générale : l'état Français qui prétend depuis peu et au plus haut niveau s'occuper des pères qui ne voient pas ou pas assez leurs enfants, qui prétend s'occuper du temps d'écran des enfants à la place des parents mais aussi de dizaines d’autres sujets égrenés au fil de l’actualité se disperse et se paralyse. C’est tellement vrai que rien n'avance surtout pas les choix difficiles comme bâtir méthodiquement une organisation de santé publique basée sur les data, l’IA, le secours au contact des populations et la veille sanitaire. Ensuite il y a des causes spécifiques. Nous en envisagerons deux.

Faire un bilan, c'est d'abord mesurer

La métrologie c’est ce que l'administration persiste à détester. Il suffit de lire nos indicateurs de qualité des soins… En matière de santé publique c’est vital. Or il y a longtemps que Santé Publique France, cette agence qui tient lieu de politique de santé publique pour un pays de presque 70 millions d'habitants, est en pause. Nous sommes revenus à l'ère pré-Covid-19. Chercher une statistique est un parcours totalement irrationnel et chronophage dans les pages “.gouv.fr”.

Dans ce domaine, il faut être modeste. J’invite les membres de l’agence et les lecteurs de cet article à lire ce que les meilleurs collecteurs et analystes de données sur la pandémie ont écrit à leur intention, c’est là et c’est très bien fait. Il est possible de bâtir ce “Health Raw Data Center” en suivant ces recommandations.

Ces “data scientists”, je le crains, ne seront pas écoutés. Pourquoi? Il faut insister sur le fait que le président de la République est dans ses synthèses l’auteur de recommandations sensées et plutôt disruptives. Sa parole est libérée mais la suite est chaotique. Ce qui ne fonctionne pas c’est la transmission des outils de la politique sanitaire aux giga-administrations Françaises qui ignorent complètement ce qui a crevé les yeux de tout le monde dans la pandémie: leur impréparation et leur lenteur. À côté de cette critique nécessaire des Administrations il faut ajouter que le monde universitaire connaît un effondrement d’engagement au service du pays. Certes la tâche n’est pas aisée car une fois de plus les données sont verrouillées et les chercheurs sont lassés de devoir montrer patte blanche à cause de processus chronophages et lents au détriment du temps de recherche. Il est probable que si des Universités libres existaient en France ces questions concernant les données sur la pandémie, le résultat de la politique sanitaire seraient l’objet de publications revues par des pairs au lieu de rares papiers dans des bulletins ou revues de l’administration, de l’État ou de la sécu.

Alors il reste l’Union européenne. L’European Center for Diseases Control and prevention de l’UE est un bon début mais voilà plusieurs mois que c’est la roue libre. Nous n’avons pas les données utiles à la situation actuelle et différentes améliorations du site sont urgentes. Un des problèmes rencontrés est l’absence d’accord sur le reporting des données dans l’Union, à la fois en ce qui concerne le format mais aussi la fiabilité des sources. Au total il faut reconnaître que l’essentiel n’a pas été fait pour disposer  précocement des données les plus fiables lors de la future pandémie ou de toute autre urgence de santé publique.

Faire un bilan, c’est préparer l’action au service des populations. Le Royaume Uni a lancé une initiative intéressante pour que la société civile contribue au bilan de la pandémie. Ce qui a été flagrant en France ce fut l’absence de transmission de la politique sanitaire en direction des populations. La politique de contrôle ne peut remplacer le secours aux patients qui doivent s’isoler ou bien l’accès à la vaccination dans les zones non urbaines ou bien la surveillance médicale des patients à risque et d'autres secours. Tout cela est connu et la constitution d’équipes mobiles de santé publique est toujours lettre morte alors qu’une loi a été votée pour l'organiser.

Certains des documents précédemment évoqués soulignent la volonté de Pékin d’étouffer une potentielle fuite du virus Covid-19 en provenance de l’Institut de virologie de Wuhan ainsi qu’une potentielle implication de l’armée chinoise dans les expériences menées sur place. Que sait-on exactement de l’origine de la pandémie ?

Guy-André Pelouze : L’hypothèse d’une origine humaine à la pandémie est une hypothèse légitime. Elle l’est pour au moins deux raisons :

-        il existe depuis des années des expériences de gain de fonction chez les virus et en 2015 il s’agissait de la grippe aviaire dont on reparle aujourd’hui.

-        Il existe à Wuhan un laboratoire habilité et équipé pour travailler sur les pathogènes dangereux de classe P4. Il est opportun de rappeler que ce laboratoire, le premier de ce type en chine a été construit avec l’aide de la France et du propriétaire des laboratoires Mérieux, Alain Mérieux. Depuis l'inauguration du laboratoire par le premier ministre Bernard Cazeneuve en 2017, la France n'a toutefois exercé aucun contrôle sur le fonctionnement de l'installation et la coopération prévue entre les chercheurs français et le laboratoire s'est arrêtée net. Ce laboratoire a depuis travaillé en collaboration avec les Américains sur le gain de fonction et c’est apparemment l'entreprise à but non lucratif Eco-Alliance dirigée par Peter Daszak qui a obtenu un financement américain et exercé un co-contrôle sur ces recherches. Ces recherches ont porté sur les coronavirus et leurs hôtes chauve souris et autres. L’ONU et l’OMS ont échoué à traiter ce dossier. Il est donc aussi légitime que les Représentants, élus du peuple américain, s’occupent de chercher la vérité. Il s’agit bien d’une suspicion de conduite criminelle et non pas d’un sujet scientifique au sens premier de la part des Représentants. La police scientifique serait concernée s'il y avait une coopération du gouvernement Chinois. Apparemment ce n’est pas le cas. C’est pourquoi la commission de la Chambre a demandé l’ouverture d’une enquête pour tenter de faire la lumière sur cette hypothèse.

Il faut donc suivre les développements de ce sujet car pour l’instant il n’y a que des suspicions. C’est ensuite devenu une affaire politique interne aux USA.

Depuis que le président D. Trump a utilisé le dénominatif de Chinese virus ou de Kung flu la politisation de l’origine de la Covid-19 est évidente. Et cette provocation a permis de constater combien l’Occident était paralysé par le politiquement correct. Il est très étonnant que le gouvernement Chinois puisse continuer à ne rien divulguer de l’activité du laboratoire de Wuhan. Ensuite, la division de la société autour de la pandémie a fait le reste. Enfin, il est assez décevant de constater que l’UE est très en retrait sur ce dossier. Aucun intérêt commercial ne doit bloquer une question aussi importante puisque la dissimulation est la voie choisie par le gouvernement chinois. Il faut demander fermement aux Chinois les données d’activité du laboratoire pour l’année 2019 et enquêter.

Les hypothèses scientifiques sur ce sujet

Sans entrer dans les détails des études génétiques et des localisations du virus dans la ville de Wuhan, les scientifiques sont en majorité d’avis que la transmission par un hôte intermédiaire du marché au vif de Wuhan à l’homme est l'hypothèse la plus probable. Ce qui n’invalide en rien l’hypothèse de la fuite du laboratoire. Nous sommes dans des modèles de prédiction basées sur la génétique du virus et de ses variants à partir des données génétiques des coronavirus présents dans la zoonose et des deux souches pathogènes pour l'homme, celle du Sars-CoV-1 et du MERS-CoV. Il faut rappeler que le passage d’une zoonose à une épidémie ou à une pandémie humaine est établi pour les pandémies ou épidémies sporadiques récentes (HIV, Sars-Cov-1, MERS-CoV, Ebola) et encore tout récemment les quelques cas préoccupants de grippe aviaire chez l’homme après que le H5N1 ait contaminé les bovins et le lait…

En revanche la dernière hypothèse celle d’une manipulation génétique intentionnelle et de l’introduction criminelle dans la population humaine est rejetée par l’immense majorité des scientifiques.

Jean-François Thébaut : C’est une question à laquelle il est difficile de répondre, et à laquelle nous pourrions bien ne jamais répondre en détail. En l’état actuel des choses, il apparaît compliqué d’apporter une réponse construite et étayée, faute d’avoir accès aux données sources. Le gouvernement chinois n’a pas voulu les mettre à disposition au début de la pandémie et nous avons aujourd’hui beaucoup de mal à retrouver des pistes qui pourraient nous permettre de remonter jusqu’au patient zéro ou au début de la diffusion du virus.

Naturellement, le manque de transparence de la Chine en la matière est problématique. Est-ce une erreur de sa part, y a-t-il effectivement eu une fuite depuis les labos de Wuhan ? C’est possible. Personnellement, je serais bien en peine de l’affirmer, n'étant ni virologue ni épidémiologiste, ou de me prononcer à ce propos. Ce que l’on peut dire sans risque, cependant, c’est bien qu’il est extrêmement regrettable de ne pas avoir accès à ces données, puisque cela empêche de mener proprement des recherches concernant les filières d’évolutions du Covid-19 et donc de mieux nous préparer à l’avenir. C’est ainsi que nous avions procédé avec le sida, entre autres.

AstraZeneca a décidé de retirer son vaccin anti-Covid-19 du marché, en raison d’une baisse des ventes officiellement. L’entreprise a également annulé son autorisation de mise sur le marché. D’aucuns évoquent d’ores et déjà de potentiels effets secondaires engendrés par le vaccin. Que traduit exactement cette démarche et qu’est-ce que cela dit du bilan scientifique qu’il est possible de dresser au sujet des vaccins anti-covid ?

Jean-François Thébaut : La question qui est ici posée en sous-texte, c’est celle de la sécurité du vaccin. Pour y répondre correctement, il faut s’appuyer sur les chiffres. Comprenons bien, pour commencer, que tout médicament – et cela inclut notamment les vaccins, mais pas seulement – comporte des effets secondaires. A partir du moment où un médicament est efficace, c’est-à-dire dès lors qu’il fait effet sur le corps et l’organisme, et son processus immunologique, il y a un risque d’effets secondaires. Le fait qu’un vaccin présente des effets secondaires est donc évidemment possible et c’est d’ailleurs une réalité reconnue par la justice (quoique la science n’aborde pas la question de la même manière). Reprenons l’exemple du vaccin contre l’hépatite B, dont l’injection a précédé l’apparition de symptômes attribuables à la sclérose en plaque chez certains patients : la science permet d’affirmer que ce n’est pas le vaccin stricto sensu qui est responsable (tout au plus vient-il activer quelque chose chez l’individu qui, par effet papillon et parce que toutes les conditions étaient réunies pourraient développer cette pathologie) mais la justice indemnise néanmoins les patients concernés. 

Notons, dans le cadre des différents vaccins anti-covid, que la France peut s’appuyer sur l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM). Ce dernier a indemnisé 72 personnes pour un effet secondaire lié au vaccin anti-covid, la plupart d’entre elles ayant été injectées avec un vaccin ARN. Environ un millier de dossiers ont été déposés (tous n’ont pas encore été traités) et 150 millions de doses de vaccins ont été administrées sur notre sol en moins de 2 ans, avec des effets secondaires précoces. A titre de comparaison, le Médiator concernait 5 millions de personnes, sur une vingtaine d'année, et a donné lieu à 1 135 indemnisations pour environ 10 000 demandes et 100 000 plaintes. Le vaccin anti-covid a entraîné 20 fois moins d’accidents déclarés et reconnus pour 30 fois plus de personnes concernées.

Cela ne veut pas dire, encore une fois, qu’il n’est pas possible de souffrir de réactions auto-immunes après l’administration du vaccin. Les effets secondaires potentiels sont connus et sont nombreux : on parle de myocardites, de péricardites, de paralysie faciale ou d’accidents vasculaires cérébraux, notamment. Il faut tout de même préciser que ces effets secondaires demeurent extrêmement rares, marginaux, et que la collectivité indemnise les patients concernés en France. Le rapport vies sauvées-risques encourus demeure très bénéfique, des modèles épidémiologiques évaluent à des millions de vies sauvées.

Guy-André Pelouze : Ce vaccin a été très utile pendant la pandémie alors que des milliers de patients mourraient partout dans le monde. Il a fait partie d’une stratégie britannique de souveraineté vaccinale car les vaccins à ARN messager allaient être produits sur le sol américain et aussi en Allemagne. Son efficacité est un peu inférieure à celle des vaccins ARN messager et son profil de risque est différent. Il existe avec ce vaccin une complication très rare mais potentiellement mortelle, une thrombose sévère, extensive et difficile à traiter survenant dans le système artériel ou veineux et s’accompagnant d’une consommation très importante de plaquettes. Son mécanisme a été identifié et sa fréquence parfaitement connue. Dans ces conditions, le choix vaccinal dépend du risque de la maladie. Chez les personnes à risque, avec le virus sauvage ou les variants dangereux c'est-à-dire avant l’Omicron, il valait mieux être vacciné par l’AstraZeneca que risquer la maladie. Mais pour ceux qui pouvaient être vaccinés avec un vaccin ARN messager (les Américains et les Européens de l’UE) il valait mieux choisir ce dernier. Toujours l’évaluation du risque et sa prise en compte dans la décision de conseiller la vaccination et le choix du patient d’y recourir.

Le contexte post pandémique a tout changé

Aujourd’hui, la demande de vaccins contre la Covid-19 est en forte baisse, le vaccin AstraZeneca est difficile et long à adapter aux variants, cette complication thrombotique le défavorise si bien que son rapport bénéfice/risque est inférieur à celui des vaccins ARN messager mis à jour régulièrement. Après les services rendus dans la pandémie, AstraZeneca vient de décider d’arrêter. C’est une décision rationnelle comme le reconnaît l’auteur de cet article dans The Conversation (une publication non revue par des pairs). J’ajoute qu’il n’est nul besoin d’invoquer la désinformation dans ce cas même si les acteurs de la contestation des vaccins sont présents dans tous les débats pour en tirer profit. La désinformation des antivax a fait suffisamment de victimes réelles mais silencieuses pour ne pas l’invoquer quand les choses sont limpides.

Un certain nombre d’individus vaccinés souffrent aujourd’hui d’effets secondaires. Ils ont, affirme leNew York Timessur son site, le sentiment de ne pas être pris en compte, que leur récit est invisibilisé. Quel bilan faut-il tirer de l’efficacité des processus de vaccination en Europe et quid de l’efficacité des vaccins en eux-mêmes ? Comment prêter davantage attention à ceux qui évoquent de potentiels effets néfastes du vaccin sur leur santé ?

Guy-André Pelouze : Il n’y a pas de traitement sans effets secondaires et complications. Néanmoins les essais cliniques tels qu’ils sont réalisés aujourd’hui (essai clinique randomisé en double aveugle) permettent d’écarter les traitements dangereux et ceux qui ne présentent pas un rapport bénéfice/risque favorable.

Figure N°2 : L’essai clinique randomisé en double aveugle du vaccin Moderna démontrant une efficacité de plus de 90%.

La question du ressenti post-vaccinal n’est pas simple

Je rappelle les questions qui se sont posées pendant la campagne de vaccination contre l’hépatite B ou le changement de formulation de la thyroxine (traitement hormonal substitutif de l'hypothyroïdie) il y a plusieurs années. De nombreuses plaintes auprès des médecins mais aussi des affaires judiciaires ont suivi la déclaration d’ effets secondaires allégués. Au final, par exemple les scléroses en plaque (SEP) survenues après le vaccin n’ont pas été rapportées au vaccin car il y avait le même pourcentage de SEP survenues chez les vaccinés et dans la population. Cette maladie se produisait avec la même incidence que dans une population de même âge. Autre exemple de la complexité des symptômes allégués après vaccination.  Dans les essais cliniques randomisés en double aveugle il existe des manifestations cliniques que les patients imputent a priori au médicament (en l'occurrence le vaccin) alors qu’ils sont dans la branche placebo. Parfois même les complications ressenties dans la branche placebo sont plus nombreuses que dans la branche traitée. Dans l’essai du vaccin Moderna® il y a même un choc anaphylactique dans le groupe placebo. Enfin il faut parler du système déclaratif qui est le plus ouvert qui puisse être imaginé. Toutes les déclarations sont enregistrées et examinées sans filtre. Alors que se passe-t-il pour que certains patients considèrent qu’ils ne sont pas pris en charge correctement?

Il y a tout d’abord ce qui n’a rien à voir avec le vaccin

Grâce à un suivi très serré et à des essais cliniques de grande taille il est plus facile de dépister des complications et de tracer ce qui n’est que la survenue de maladies courantes pendant l’essai clinique. Des centaines de fois par jour, en France, des infarctus du myocarde (220 en moyenne), des AVC, des arythmies cardiaques se produisent. Évidemment dans un essai clinique vaccinal ces urgences cardiovasculaires se produisent à la même fréquence. Heureusement nous sommes capables de mesurer et de comparer le nombre et le pourcentage (incidence) de ces affections et d’autres dans les deux groupes et de vérifier si le groupe vacciné a une incidence plus grande sans que cela soit dû au hasard.

Les vaccins ont un profil de risque établi par l’essai de phase III. Cet essai pour les vaccins à ARN messager comprenait environ 45000 personnes. Nous savons aujourd’hui que ce virus exerce sa pathogénicité entre autres par la protéine Spike qui lui permet de se fixer sur le récepteur ACE2 (récepteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine). Cette protéine est toxique pour le cœur et son enveloppe le péricarde. C’est pourquoi il existe des myopathies et des péricardites dues à la Covid-19. Le vaccin à ARN messager déclenche la production par les cellules musculaires où est injecté le vaccin d’une quantité faible mais suffisante de protéine Spike pour déclencher une immunisation. Mais cette quantité de protéines Spike peut aussi entraîner des signes cliniques divers la plupart du temps passager.

Le sujet est complexe mais il y a chez ces patients des PASC (Post Acute Sequelae of Covid-19) appelés aussi Covid longs

C’est un sujet difficile à démêler car il nous manque des tests spécifiques. Cependant la vaccination ne protège pas contre le Covid long. Et ces manifestations appelées PASC peuvent survenir après une infection Covid-19 pauci-symptomatique. Ainsi des patients peuvent avoir eu une infection Covid-19, se faire vacciner et attribuer au vaccin les signes de ce Covid long. Pour ces patients il est très difficile de se faire soigner. Tout d’abord parce que nous n’avons pas de traitements mais simplement des données empiriques et d’autre part parce que leur demande se heurte à une offre complètement débordée dans l’état actuel du système de soins. Les scientifiques ne savent pas pourquoi les patients font un Covid long, voici quelques-unes des principales théories avancées:

-        Le virus SARS-CoV-2 (qui cause la Covid-19) n’a pas disparu et à partir de sanctuaires redevient actif, provoquant la réapparition des symptômes sur un mode chronique.

-        Les cellules immunitaires deviennent hyperactives, libérant des niveaux élevés de substances inflammatoires qui peuvent attaquer les organes et les tissus. Un très haut taux d’anticorps et/ou des cellules T très nombreuses et programmées pour détruire le virus produisent une inflammation chronique et des manifestations cérébrales proches de l’encéphalite myalgique connue avec d’autres virus.

-        L'infection entraîne la production par le système immunitaire d’anticorps dont des auto-anticorps qui s'attaquent aux organes de l’hôte. Les maladies auto-immunes sont plus fréquentes après la Covid-19 et cela peut concerner presque toutes les maladies auto-immunes.

Les complications des vaccins à ARN messager

Les deux vaccins (Moderna® et Pfizer-BioNTech ®) ont montré un risque accru de myocardite et de péricardite chez les jeunes hommes âgés de 18 à 29 ans. Le risque de myocardite et de péricardite était plus élevé après l'administration du vaccin Moderna® qu'après l'administration du vaccin Pfizer-BioNTech® dans les 0-7 jours suivant l'administration. Quel est le taux de myocardite après un vaccin ARNm ? Globalement, parmi les personnes âgées de 18 à 29 ans aux États-Unis, on estime que 22,4 cas excédentaires par million après la seconde dose du vaccin Pfizer-BioNTech® et 31,2 cas par million après la seconde dose du vaccin Moderna® ont développé une myocardite. La myocardite est-elle plus souvent due à l’infection Covid-19 qu'au vaccin ? Une méta-analyse a révélé que le risque relatif de myocardite associée au vaccin Covid-19 était de deux contre 15 pour la myocardite associée à l'infection Covid-19, soit un risque sept fois plus élevé pour la myocardite associée à l'infection.

Figure N°3: Association de la myocardite après vaccination COVID-19 et après l'infection par le SARS-CoV-2. Le risque de myocardite lié à l'infection était plus de 7 fois supérieur à celui lié à la vaccination.

Enfin rappelons que ces complications après vaccination sont accessibles à des traitements permettant de guérir. La question qui s’est posée concerne les sujets jeunes puisque ces complications myocardite et péricardite sont plus fréquentes avant 40 ans. 

L'article du NYT met en évidence un cas particulier

Tout d’abord il s’agit d’un témoignage intéressant. Une scientifique a présenté après sa vaccination des signes de fatigue et d’incapacité à l’effort qui perdurent. Il ne s’agissait pas d’un vaccin à ARN messager. Cette scientifique a fait un travail important et suspecte une contamination du lot de ces vaccins (sans savoir laquelle) qui aurait provoqué ses symptômes. C’est donc sur une piste d’un défaut de production voire d’une contamination que nous engage le NYT. S’ensuit d’autres témoignages qui tendent à accréditer des difficultés pour faire reconnaître ces complications rares mais très handicapantes des vaccins. C’est un sujet en pleine évolution qui demande que des fonds soient consacrés à ces recherches et que le suivi post vaccinal soit amélioré au moins du point de vue des données.

Ces différentes considérations, assez complexes, confirment que le vaccin ARN messager a non seulement été inventé et testé dans le contexte d’une pandémie qui a entraîné de nombreux morts mais que son suivi est sérieux et rassurant. Il s’agit probablement du vaccin produit dans le délai le plus court avec une sécurité inégalée. L’innovation a contredit les théories précédemment acceptées, un moment Poppérien qui n’a pas surpris les scientifiques dont les travaux ont permis cette avancée (notamment les Prix Nobel Katalin Kariko et Drew Weissman). Il n’en demeure pas moins que l’obligation vaccinale n’est pas une option souhaitable car un traitement notamment préventif doit faire l’objet d’un libre choix. Ce libre choix a par contre des limites dans une pandémie grave, car la liberté d’aller et venir dans certains espaces fait courir un risque vital à autrui et parce que les places de réanimation en cas de forme grave sont limitées…

Jean-François Thébaut : Il est en effet essentiel d’écouter le récit de ces personnes, de ne pas les invisibiliser. Il faut apprendre à mieux les écouter, les prendre en charge quand ce n’est pas déjà fait. Fort heureusement, nous l’avons dit un peu plus tôt, l’Etat prend en charge ces individus et les indemnise en France. Notre système de santé diffère de ce qui peut exister aux Etats-Unis et permet de mieux prendre de tels cas en considération, me semble-t-il. Surtout, il faut suivre, évaluer, mesurer et apprécier le risque. C’est ce que l’on appelle la pharmaco-vigilance. Pour tout traitement, nous sommes dans un rapport bénéfice-risque. Si les risques potentiels engendrés par la consommation d’un produit surpassent les bénéfices potentiels, alors il ne faut pas continuer à le prescrire. L’exemple des anticoagulants est éloquent : ces médicaments sont la première cause daccidents iatrogènes mais comme leur efficacité est reconnue et sauve de nombreuses vies, ils sont disponibles et pris en charge.

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