Olivier de Kersauson : « gardons le cap »<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Culture
Olivier de Kersauson publie Veritas Tantam aux éditions du Cherche Midi.
Olivier de Kersauson publie Veritas Tantam aux éditions du Cherche Midi.
©DR / Philippe Plisson

Atlantico Litterati

« Le monde vacille », constate Olivier de Kersauson dans nouveau récit « Veritas Tantam etc. » ( en vente partout aujourd’hui). Comment faire pour ne pas chavirer ? Le Marin des marins tient la barre.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est journaliste-écrivain et critique littéraire. Elle a publié onze romans et obtenu entre autres le Prix du Premier Roman et le prix Alfred Née de l’académie française (voir Google). Elle fonda et dirigea vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels Playboy-France, Pariscope et « F Magazine, » - mensuel féministe (racheté au groupe Servan-Schreiber par Daniel Filipacchi) qu’Annick Geille baptisa « Femme » et reformula, aux côtés de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos d'écrivains. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, AG dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », tout en rédigeant chaque mois pendant dix ans une chronique litt. pour le mensuel "Service Littéraire". Annick Geille remet depuis sept ans à Atlantico une chronique vouée à la littérature et à ceux qui la font : « Atlantico-Litterati ».

Voir la bio »

Dans son nouvel essai « Veritas tantam » (Le  Cherche-Midi), Olivier de Kersauson  explique comment et pourquoi « la mer est l’endroit le moins moche de la terre ». Nous sommes sur le pont. La Bretagne vibre à bâbord,  le lecteur fait du rappel. Pendant que le Marin des marins nous dit ce qui, à terre, ne tourne pas rond,  le terrien embarqué  par Kersauson sait qu’il ne risque rien. Ça tangue, certes, il y a des creux de dix mètres, en effet, mais on est bien. Navigateur et chroniqueur Olivier de Kersausonest à la fois un grand marin et une forte tête. Il a ses humeurs de non-terrien et, en homme libre chérissant l’océan, il refuse de se soumettre aux règles inutiles, voire dangereuses. Olivier de Kersauson veut garder le cap etnous aider à résister à toutes sortes de tempêtes..« Le monde vacille », constate le navigateur-auteur dans « Veritas Tantam. » ( en vente partout aujourd’hui). « Nous sommes passés de la réflexion au buzz » , ajoute-t-il entre deux coups de vent.Comment faire pour ne pas chavirer ?Le Marin des marins tient la barre. Nous ne risquons rien, ce grand breton est LE champion de la navigation . Le meilleur marin de la terre. A bord ! La mer est sa maison. Il l’a dans le sang. Explications, embruns, bouées de sauvetage et pied marin.
Annick GEILLE

Repères

Olivier de Kersauson a publié huit livres, dont De l’urgent, du presque rien et du rien du tout (2019), Promenades en bord de mer et étonnements heureux (2016), Le monde comme il me parle (2013), Océan’s Songs (2008), La Bretagne vue de la mer (2006), Tous les océans du monde (1997).

Extraits

OLIVIER DE KERSAUSON : « nous sommes passés de la réflexion au buzz »

« Le monde vacille », constate Olivier de Kersauson dans nouveau récit « Veritas Tantam etc. » ( en vente partout aujourd’hui). Comment faire pour ne pas chavirer ? Le Marin des marins tient la barre. Extraits.

« Le problème des souvenirs, c’est qu’ils appartiennent au passé. À quoi ça sert d’avoir des souvenirs ? Je voudrais, à rebours, avoir des avenirs, autrement dit des situations que je vois, que je pressens, que j’aime à deviner, à prévoir et qui auront cours dans quelques années. Ça, ce serait formidable. Ne plus vivre au présent mais « vivre à l’avenir »...

Échange souvenirs contre avenir. »

« Personne ne peut savoir ce qui arrivera demain. Presque tout le monde a sauté de l’avion et nous sommes en chute libre. Et, au fur et à mesure, il est urgent de s’inventer des parachutes. C’est vraiment ça : la chute libre. Le vide, le grand vide. Personne ne connaît le sol sur lequel nous allons atterrir. Nous sommes un « précipité ». Nous sommes, au vrai, la matière même d’un « précipité ».

Avant il y avait une histoire, aujourd’hui il y a des faits. Nous sommes passés de la réflexion au buzz. La chute est vertigineuse. Tout cela s’arrêtera le jour où chacun aura repris conscience de la réalité.

Notre société n’a pas conscience de ses réalités. (…)Ce sont ses souffrances qui la font vivre. Tout le monde demande pardon, pour ceci, pour cela. Tout le monde, aussi, est victime de quelque chose. C’est une identité, aujourd’hui, la victimisation.

De nos jours, la plupart des individus se regroupent par souffrances, réelles ou supposées, subodorées. C’est par leurs souffrances qu’ils existent. Humiliation des Gilets jaunes par des fonctionnaires de Paris qui taxent le diesel !

Cette société qui, soit dit en passant, ne parle que de communication, ne communique pas du tout si l’on veut bien y regarder de près. Quand des types sont en train de taguer l’Arc de Triomphe qui n’est pas n’importe quel endroit – par parenthèse –, à l’Assemblée nationale, on est en train de discuter d’une loi qui interdit aux parents de mettre une gifle à leurs enfants.

Le monde vacille. Qui aurait pensé que nous serions contraints de vivre avec un masque sur le nez les trois quarts du temps, que l’idée même de se faire vacciner mettrait le feu à la Guadeloupe ? C’est tout cela qu’offre, d’une certaine manière, les effets fabuleux du bouleversement qu’est Internet, les conséquences d’Internet... C’est le regard que nous portons sur le monde qui est bouleversé par les nouveaux systèmes de revendications, de victimisations... Ah, la possibilité pour chacun d’exister !

Avant, pour exister, il fallait avoir fait quelque chose, avoir produit quelque chose, s’être manifesté par des actes. Aujourd’hui il suffit de trouver de quoi se plaindre. Et, aussitôt, avec Internet, rencontrer le troupeau qui va suivre la plainte ; mieux, le troupeau qui va nous suivre dans notre plainte, s’agréger à cette plainte. Il s’agit d’être non pas pour, mais résolument contre quelque chose : contre la chasse, contre le fait de manger de la viande, contre les abattoirs, contre les bouchers... (…)

L’informatique a tout chamboulé. Il y a soixante ans, quand je m’intéressais à une question, que je voulais en savoir davantage, on me disait : « Demande à ton oncle ou à tel cousin, il connaît ça. » Aujourd’hui, j’ai deux cent mille oncles et cousins qui s’appellent tous Internet. Et ils savent tout.

Nous vivons, dans le même temps, une avancée formidable. Je ne suis pas nostalgique. Je ne déplore pas le monde ancien qui disparaît. Je dis qu’il faut que nous profitions avec enthousiasme du monde nouveau. Et comme j’ai une certaine culture du monde ancien, j’ai la possibilité de profiter à plein de ce qui se présente à moi. La vraie joie, c’est celle de vivre. Vivre est une joie !

Quand le Covid est arrivé et qu’on a confiné les populations, les réactions m’ont amusé. J’entendais, par exemple : « La nature a repris ses droits, on a vu des chevreuils dans les jardins en banlieue pari- sienne. » Mais la nature ne reprend pas ses droits.

C’était qu’il n’y avait plus de bruit. Si nous devons parler, nous n’allons pas nous installer place de la Concorde ; nous parlons avec des sons exactement comme les animaux ; or, les animaux ne pouvaient tout simplement pas se parler, s’interpeller en ville car ils ne s’entendaient pas, ils ne pouvaient pas sortir sans entendre le bruit d’un moteur à explosion. Il n’y a plus de bande-son pure. Avec le Covid, les animaux ont circulé partout parce qu’ils pouvaient enfin communiquer partout. Ce n’est pas l’homme qui gêne les animaux, c’est le bruit. De même, la pollution lumineuse perturbe les oiseaux nocturnes, les migrateurs... Il y a cinquante ans, lorsqu’on faisait un trajet important en voiture, il fallait nettoyer les pare- brise, les débarrasser des moustiques. Aujourd’hui, c’est presque inutile. Les insectes sont bien moins nombreux. (…)

Je suis très étonné de voir à quel point les morphologies de groupes sont différenciées. Aujourd’hui, chacun s’identifie à un groupe, son groupe. Et ces groupes se créent sur des schémas protestataires. Je suis contre ceci, alors je vais manifester et je vais rencontrer cinquante, mille, cent mille personnes comme moi. Je suis contre le vaccin, une manifestation est prévue, je m’y rends, je vais rencontrer des dizaines de gens comme moi. Je suis contre l’esclavage, je sors dans la rue, je vais rencontrer dix mille types contre l’esclavage.

Comment peut-on d’ailleurs être contre le vaccin ? Ceux-là mêmes qui sont contre emmènent leurs enfants chez McDo et ne font pas le lien, c’est tout ! Ils ont nourri leur progéniture avec du McDo mais ne supportent pas l’idée de leur inoculer un vaccin anti-Covid ! La réflexion a déserté. La preuve.

L’identité, dont tout le monde parle, n’est pas le vrai problème. L’identité, c’est ce que tu recherches quand la vie ne t’a rien donné. La vie ne donne plus rien aux hommes. Dans le monde qui fut le mien – essentiellement rural –, tu étais quand même quelqu’un : identifiable et identifié. Aujourd’hui, les individus ne sont identifiés nulle part. Les gens ne te connaissent pas, ils ne savent pas qui tu es. L’identité, leur identité, ce n’est pas tant ce qu’ils recherchent que ce qui leur manque.

L’identité d’une personne, de nos jours, ne va pas s’exprimer par ses désirs, mais par ses souffrances, ses renoncements.

Ce sont des souffrances que nous allons avoir en commun, faute de rêves communs ! Nos rêves communs sont morts.

Même les partis politiques sont explosés. L’imposture politique est démasquée. Aujourd’hui, personne n’est dupe. Quel avenir promet-on ? Quel paradis prophétise-t-on ? Quel espoir fait-on naître ? Quel bonheur nous propose-t-on ? Il n’y a pas de promesses, pas ou plus. Plutôt : il y a mille promesses et pas de promesses de bonheur. Mais tout cela ne va pas durer. Parce que nous entrons dans des sociétés précaires où il va s’agir de se servir du génie humain et de son adaptabilité. Plus personne ne va faire le même métier pendant trente ans. On va faire DES métiers. Ce qui met bien la compétence elle-même en cause.

J’ai le sentiment que cette société qui semble faciliter tout (il s’agit là d’un leurre dont nous ne devons pas être les dupes) nous met à l’abri de la délicieuse protection qu’apportait l’habitude.

L’insécurité sociale des individus est grandissante à tous les niveaux. Et ça, c’est nouveau. Et mondial.

J’entendais quelqu’un, à la télévision, dire : « Il n’aurait pas fallu supprimer le service militaire. » C’est vrai et, dans le même temps, parfaitement faux. Il y a trente-cinq ans, l’un de mes frères commandait le Colbert, le dernier croiseur français. Il ne faisait plus le métier de capitaine, déjà, il faisait le métier d’éducateur. Il avait trois cents marins professionnels et huit cents appelés. Sur les huit cents appelés, il y avait quarante-cinq délinquants. Au fond, ce sont les militaires qui n’ont plus voulu des civils.

Les clivages de la société ont colossalement augmenté. Personne ne connaît plus personne. Les gens devinent l’autre grâce à ce que la télé montre de chez lui. Si c’est grand, beau et confortable, alors c’est un riche.

Grâce à Internet, tout le monde voit qu’il y a d’autres mondes que le sien, mais on ne peut pas les toucher, s’en emparer, y participer.

Pour changer le monde, il faudrait changer l’homme. Alors, rien ne change ni ne bouge. CQFD. L’homme ne change pas, voilà le drame.

L’homme, au fond, est toujours le même. Sauf à arguer de ses réactions superficielles. Mais la base profonde de l’homme, de la femme... Rien n’a changé. La forme change, pas le fond. C’est une loi non écrite mais bien réelle, pour le coup !

La société ne fait que les progrès que fait l’homme, mais l’homme ne fait pas de progrès. C’est ainsi. Il en est biologiquement incapable. Encore une fois, sur le fond.

D’aucuns disent « C’était mieux avant » ou alors « J’aurais voulu vivre au Moyen Âge ». Moi, la rage de dents au Moyen Âge, je ne suis pas preneur ! »

Copyright Olivier de Kersauson «Veritas tantam » (Cherche-Midi) / 208 pages, 18,90 euros / toutes librairies et « La Boutique »  (dès le 24/11)

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !