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Aurélien Saintoul, membre de la NUPES, s'excuse après avoir qualifié le ministre français du Travail d'"imposteur" et d'"assassin" à l'Assemblée nationale, le 13 février 2023.
Aurélien Saintoul, membre de la NUPES, s'excuse après avoir qualifié le ministre français du Travail d'"imposteur" et d'"assassin" à l'Assemblée nationale, le 13 février 2023.
©Ludovic MARIN / AFP

Assemblée nationale

Les députés de la Nupes se servent de la réforme des retraites pour hystériser les débats au sein de l'Assemblée nationale. Olivier Dussopt, le ministre du Travail, a notamment été qualifié d'imposteur et d'assassin.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Les débats sont de plus en plus houleux à l’Assemblée nationale. La NUPES contribue beaucoup à ce désordre. Pourquoi ? Que cherche-t-elle ?

Jean Petaux : Maxime Tandonnet, dans une de ses dernières contributions sur atlantico.fr, a expliqué que toutes les formations politiques contribuent, dans leur style, à leur manière, à tendre les débats à l’Assemblée nationale et à transformer cette enceinte parlementaire en un « champ de foire » plus proche de l’amphithéâtre d’une AG étudiante que d’une respectable assemblée représentative des Français. Cette analyse aurait donc tendance à relativiser le comportement de la NUPES tel que vous le présentez. Il n’est pas question pour moi d’engager un débat en responsabilité du « bazar parlementaire », mais il me semble qu’il faut néanmoins remettre les choses en ordre. Evoquer la NUPES dans ce cas de figure me semble quelque peu imprécis. En réalité se sont principalement les membres du groupe LFI qui orchestrent et organisent un chahut permanent. Cela n'a rien de nouveau dans l’enceinte du Palais-Bourbon mais cela fait plus de bruit parce que de nombreux relais et vecteurs sont là comme autant d’amplificateurs de « bruits médiatiques ». Le cas du député LFI, ceint de son écharpe de Parlementaire, qui foule au pied un ballon de football sur lequel il a collé l’effigie d’Olivier Dussopt (c’est faire trop d’honneur à ce député que de citer son nom) illustre parfaitement le mécanisme médiatique en jeu. 1) On raconte une « story ; 2) On choisit une mise en scène provocatrice ; 3) On la diffuse sur les RS qui « vont bien ». Résultat : le tour est joué. D’illustre inconnu, ce député élu en juin 2022, connait soudainement son « quart d’heure warholien ». La fidélité aux partis politiques n'est pas son point fort : il a milité d’abord « à la JC » puis au PCF en Lot-et-Garonne (6 ans), avant de rejoindre le minuscule mouvement de Benoit Hamon (moins d’un an en 2021), puis d’être le porte-parole d’une femme politique connue pour sa modération et son sens de la nuance, Madame Sandrine Rousseau, lors de la primaire du Pôle écologiste pour la présidentielle et de rejoindre finalement Jean-Luc Mélenchon pour la présidentielle de 2022 en adhérant à LFI. Choix judicieux et pertinent, certainement uniquement dicté par l’engagement militant à aider les plus démunis et qui lui vaudra une investiture avec l’étiquette LFI-NUPES, en Seine-St-Denis, donc sans aucun risque d’être battu en juin 2022. Quiconque verrait ici un comportement un tantinet « opportuniste » serait, cela va sans dire, de très mauvaise foi. Face à une telle suspicion, l’intéressé répondra, à bon droit, que toutes ces formations, celles qu’il a fréquentées, sont désormais membres de la NUPES et qu’il n’a fait qu’anticiper cette alliance électorale à défaut d’être programmatique. Finalement il doit y avoir au moins une formation que le « footballeur » déteste autant que le parti d’Emmanuel Macron : c’est le PS… Là où il n’a jamais mis les pieds. Même dans le « cadavre de parti » qu’est devenu le PS d’Olivier Faure. Car pour notre « député footballeur » le PS sera toujours le parti des « Saucissons », comme les appellent « les autres » composantes de la NUPES… 

Il ne faut pas sous-estimer non plus l’intérêt en interne, pour LFI, de multiplier les provocations. Elles ont aussi, compte tenu de leurs conséquences et des mesures de rétorsion qu’elles entrainent, un effet de cohésion interne pour un parti qui en a furieusement besoin. Les médias ne parlent plus du contentieux (quasi-conflit) entre Mélenchon et Bompart d’un côté et Corbières, Coquerelle, Autain ou Ruffin de l’autre. Sans parler de l’affaire Quatenens qui n’est plus évoquée, sauf lorsque l’intéressé se croit obligé d’exister à son tour en prenant la parole pour défendre un amendement, et provoque ainsi quelques « remontées en pression » sur les bancs de la NUPES… 

Au plan personnel, le « député footballeur » aurait pu savoir que les opposants de gauche (la vraie alors, celle incarnée par le Parti Socialiste Autonome (PSA) d’Alain Savary, d’Edouard Depreux, de Laurent Schwartz), dénonçant en 1958-1959, les comportements de certains militaires français pendant la Guerre d’Algérie, avaient rapporté, entre autres exactions documentées, que des « paras », dans un village reculé de Kabylie, après un « nettoyage », avaient joué au football avec la tête d’un enfant algérien décapité. La connaissance de ce fait aurait peut-être évité, au « député insoumis » de faire de l’humour avec un « simulacre » de tête qui roule. Espérer une telle connaissance de l’histoire contemporaine est sans doute trop demander… Et puis qu’est-ce que cela vaut, ce passé, face à un « super buzz » qui va même jusqu’à quinze jours d’exclusion de l’Assemblée ? 

Quel poids ces actions outrancières de la NUPES peuvent-elles véritablement avoir ?

Jean Petaux : Aucun. LFI ne cherche rien d’autre qu’à exister dans « le bruit et la fureur », adoptant ainsi comme ligne politique celle de son « lider massimo ». Loin de peser dans le jeu parlementaire, au point de renverser le gouvernement ; n’étant pas non plus le principal groupe d’opposition ; LFI n’a pas d’autre voie, pour exister face aux autres formations politiques (d’abord ses « partenaires » de la NUPES, mais surtout le RN qui est son concurrent direct en matière d’agrégation des mécontentements) de multiplier les actions spectaculaires. Mais, en réalité, ce « cinéma permanent » qui se déroule dans les travées de l’Assemblée n’intéresse pas vraiment les électeurs. Si la mobilisation fonctionne pleinement aujourd’hui contre le projet de loi gouvernemental sur la réforme des retraites, c’est uniquement grâce aux forces syndicales qui sont, pour l’instant, unies et qui maintiennent une forte pression. Le jeu parlementaire est « hors-jeu » dans cette séquence. Il n’est pas du tout prouvé qu’à multiplier les actes et les gestes spectaculaires, les élus « Insoumis » s’attirent l’adhésion d’une majorité de Français. En réalité ceux-ci se sont détournés depuis longtemps de l’écume politique. Et pas seulement à cause du charivari organisé quotidiennement en ce moment au Palais-Bourbon. 

Dans quelle mesure cela menace-t-il la démocratie parlementaire et le débat public ?

Jean Petaux : Il n’y a pas de menace envers la démocratie parlementaire. Il est prouvé qu’une Assemblée nationale où s’exprime des oppositions est bien préférable à une Assemblée muette d’où tout débat est absent et/ou étouffé. La seule fonctionnalité du « cinéma de LFI » c’est celle de la vapeur qui s’échappe de l’autocuiseur.  Ca fait du bruit, ça siffle, mais c’est le rôle d’une soupape. Le débat public n’existe pas dans sa réalité parlementaire. Ce qui existe c’est un débat politique et partisan, ce n’est pas la même chose. La démocratie représentative a une dimension d’intermédiation entre les opinions individuelles des Françaises et des Français et l’exécutif. C’est le principe-même de nos institutions. Pour le coup, depuis juin 2022, l’Assemblée nationale est nettement plus représentative des rapports de force politiques en France. On ne va pas s’en plaindre. Cette « représentativité proportionnalisée » sans le « scrutin proportionnel » a le mérite de redonner au « jeu parlementaire » une réalité, une substance. Il ne faut pas, pour autant, considérer que le Palais-Bourbon représente sociologiquement la société française. C’est un autre sujet. Malgré cette imperfection sociologique, la démocratie parlementaire se porte plutôt mieux en février 2023 que dans les mandatures précédentes… 

In fine, quelles conséquences peut avoir cette tactique de la NUPES ? La gauche risque-t-elle d’en être la grande perdante ?

Jean Petaux : Si trois des composantes de la NUPES : le PS, le PCF et, dans une moindre mesure, EELV, ne sont pas du tout enthousiasmées par le « cinéma » de LFI, c’est bien que ces partis politiques, surtout les deux premiers, qui ont une vraie « culture de gouvernement », qui dirigent des collectivités territoriales, qui ont siégé ensemble au gouvernement, considèrent, avec un certain  effroi, que les postures « pseudo-révolutionnaires » de LFI n’ont qu’un seul effet à moyen terme : les tenir éloigner d’un éventuel retour au pouvoir. A ce titre-là c’est bien toute la gauche qui risque de devoir acquitter des factures comme celle du « ballon de foot »… Facture électorale s’entend. Celle du verdict des urnes où les électeurs considéreront, par leur bulletin de vote, que s’ils veulent assister à un spectacle digne de Guignol, c’est plutôt au jardin public qu’ils préfèreront aller… Et pas à l’Assemblée nationale. Et encore moins en faisant en somme que ces adeptes de « Charlot » (le talent en moins…) composent un gouvernement.  

Olivier Dussopt a été qualifié d'"imposteur" et d'"assassin" à l'assemblée par un député LFI. Ce n’est pas la première fois que des mots violents sont utilisés par LFI. N’est-on pas, ici, dans un discours symptomatique de la vision insurrectionnelle de LFI, moins inoffensif qu’il n’y paraît ?

Jean Petaux : L’épisode que vous évoquez, qui a eu lieu dans l’après-midi du lundi 13 février confirme, hélas, ce qui s’est passé en fin de semaine dernière avec le « ballon de foot ». Plus qu’une confirmation c’est une surenchère. Cette fois-ci le « coup » a pour origine une nouvelle intervention d’un député de LFI sur la statistique concernant les décès par suite d’accident du travail. La formule outrancière du parlementaire « Insoumis » ne contient pas seulement le mot « assassin », qui fera d’ailleurs que, plus que « péteux », le député en question présentera ses excuses au ministre lorsque la séance, suspendue, va reprendre. On relève des termes tels que : « il a du sang sur votre politique et vous n’y prenez pas garde » ou encore : « vous êtes des êtres violents parce que vous avez fait le choix de la violence de classe ». Ces propos font suite à une statistique lancée par l’élu LFI : « Si vous aviez une conscience, ce dont je doute, vous auriez 150 morts sur la conscience ». On ne comprend pas très bien d’où vient ce chiffre d’ailleurs. L’Assurance-maladie, rappelle le journal « Le Monde » dans un post publié sur ce qui s’est passé aujourd’hui à l’Assemblée nationale, a reconnu 645 morts en accident du travail en 2021 soit 88 de moins qu’en 2019, dont 12% de décès routiers (hors accidents du trajet domicile-travail). C’est encore beaucoup trop, voilà ce que l’on peut dire tout simplement.

Outrance, approximation, contradictions et toujours le même besoin du « clash » et du « buzz ». N’oublions pas le passé : l’Assemblée a connu, sous les Troisième, Quatrième et Cinquième républiques depuis près de 65 ans pour cette dernière, bien des débats houleux, violents même. On ne peut pas dire que de tels comportements soient « radicalement » (c’est le mot) nouveaux. En revanche il est rare,  qu’au sein même d’une coalition électorale, des voix solennellement dissonantes se fassent entendre après une telle « sortie ». C’est le cas, et de la part d’une des grandes figures actuelles de l’Assemblée nationale, respectée sur tous les bancs (en dehors du RN, mais c’est une autre histoire) pour son expérience, sa sagesse et la qualité de son travail parlementaire : André Chassaigne, député communiste de la 5ème circonscription du Puy-de-Dôme depuis 2002, soit 21 ans, et président du groupe de la « Gauche démocrate et républicaine » depuis 2012. Son commentaire sur les faits est cinglant, si l’on en croit ses propos rapportés par « Le Monde » : « (je suis) choqué, blessé et humilié. Tenir de tels propos est absolument inacceptable. (…) Le débat démocratique c’est un débat d’idées, ce n’est pas un échange d’insultes ».

Le jeu actuel du groupe LFI à l’Assemblée n’est pas insurrectionnel, ce n’est même pas de l’anti-jeu, même si cela peut y ressembler. C’est une stratégie qui consiste, quotidiennement, à marquer des buts contre son camp. Celui de la Gauche entière. Laurent Berger, le « patron » de la CFDT, l’a parfaitement compris quand il appelle, ce dernier dimanche sur les ondes, les députés à un minimum de retenue dans leurs échanges. Il met en parallèle le sérieux des manifestations de masse, où, en dépit d’un nombre imposant de manifestants dans toutes les villes de France, y compris les sous-préfectures, on dénombre très peu de débordements, et le « délire tragi-comique » des débats parlementaires. Le comportement actuel du groupe LFI, ses gesticulations, la haine recuite qu’il semble produire avec une certaine régularité, risque, tout simplement, de détourner une partie de l’approbation populaire massive que rencontre l’opposition au projet de réforme gouvernemental. On pourrait même s’interroger sur les raisons d’une telle stratégie de « montée aux extrêmes » ? S’il s’agissait d’une « alliance objective » entre LFI et le gouvernement, pour d’obscures et complexes raisons, on pourrait au moins y voir un « jeu subtile » comme la tactique politique nous en réserve parfois la saveur… Il y a fort à parier, hélas, que cela ne soit même pas le cas et que seules l’excitation et la lumière des projecteurs fassent, ici, la courte-échelle à la bêtise. L’auteur de la « saillie insoumise » du jour a évoqué, en présentant ses excuses au ministre du Travail : « Des mots que l’émotion et l’emportement m’ont fait mal choisir et qui sont déplacés ». Le parcours de ce député de Seine-Saint-Denis (un de plus), élu en 2022, interroge en effet sur sa maitrise de la langue française et sur sa capacité à choisir les mots justes : hypokhâgne et khâgne dans un des lycées parmi les plus élitistes de France, Louis-le-Grand, 5ème arrondissement de Paris, et agrégation de Lettres classiques obtenue en 2016, suivie de cinq années comme assistant parlementaire d’un autre député LFI, entre 2017 et 2022. On se dit qu’avec un tel « à-propos » dans la maîtrise du vocabulaire, il est encore préférable que ce parlementaire n’ait pas encore vraiment fait carrière dans le professorat. L’Education nationale en France, qui a déjà bien dégringolé dans les classements internationaux (la France est au 23ème rang du classement international PISA 2018, sur 85 Etats) n’a peut-être pas besoin de tels renforts pédagogiques pour se dégrader un peu plus… Peut-être qu’en « prépa’ agrèg » à Louis-le-Grand on considère qu’Albert Camus n’est rien d’autre qu’un « philosophe pour classes Terminales » comme le désignait avec le mépris et la morgue qui le caractérisait, Jean-Paul Sartre. Camus a écrit : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». C’est dommage de ne plus lire Camus, car voilà un beau sujet de dissertation d’agrégation : « Vous avez cinq heures », Monsieur le député Saintoul.

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