Nudge : les consommateurs décryptent de mieux en mieux les tentatives de manipulations de leurs comportements<!-- --> | Atlantico.fr
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Lors de leurs achats en ligne, les consommateurs sont fréquemment confrontés à des offres promotionnelles ainsi que des incitations de la part des entreprises.
Lors de leurs achats en ligne, les consommateurs sont fréquemment confrontés à des offres promotionnelles ainsi que des incitations de la part des entreprises.
©Pixabay

Plus que deux chambres à ce prix !

Nombre de marques, dans les magasins comme sur internet, ont développé des stratégies de marketing comportemental afin de déclencher les achats, les "nudges". Mais alors que la culture numérique des consommateurs augmente, ils pourraient être contreproductifs.

Danielle   Rapoport

Danielle Rapoport

Danielle Rapoport est psychosociologue, spécialisée dans la consommation. Elle est fondatrice et directrice de "Danielle Rapoport conseil", un cabinet d’études et de conseil stratégique.

 
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Atlantico : Lors de leurs achats en ligne, les consommateurs sont fréquemment confrontés à des offres promotionnelles ainsi que des incitations de la part des entreprises, que l’on appelle nudges. Elles sont présentes la plupart du temps dans les secteurs du voyage, de la vente au détail ou bien de la mode. L’augmentation de ce type de stratégie marketing est-elle en train de remettre en question leur efficacité ? Sommes-nous moins crédules qu’il y a 10 ans ?

Danielle Rapoport : L’élaboration de stratégies marketing basées sur les nudges, à la fois dans l’univers des services publics et dans celui des entreprises, provient dans un premier temps du décalage entre les intentions d’achat et la réalité de comportements d’achat. Faire coïncider les deux n’est pas chose facile car il s’agit de changer de comportements, y compris dans le bon sens. Passer d’un acte d’achat émotionnel souvent automatique à des actions plus réflexives. De manière générale, changer ses comportements est difficile, car il s’agit de troquer la familiarité et la facilité des habitudes et d’une norme internalisée, contre du nouveau, de l’inconnu, et l’adoption d’une nouvelle norme sociale. De faire un saut qualitatif qui apporterait, dans l’immédiat et/ou à plus long terme, des bénéfiques perceptibles pour les consommateurs en ajoutant un surplus de sens à leur nouveau comportement. Et pour les entreprises, l’adoption à leur tour de schémas comportementaux plus vertueux pour l’ensemble du corps social. Inciter sans injonction, octroyer toute « liberté » de choix aux personnes tout en les orientant vers une différente façon d’être et d’agir, n’est-ce pas une stratégie donnant/donnant pour l’ensemble des parties prenantes ?

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Le problème est le contexte actuel de défiance, de soupçon et d’exigence des consommateurs, qui dénoncent via leurs capacités acquises de décryptage, une offre souvent incohérente, confuse, au marketing trop perceptible, ces dissonances qui freinent l’acquisition et la durabilité de liens de confiance et de crédibilité. Alors que les acheteurs sont en recherche de cohérence, d’accessibilité, de désirabilité et d’une crédibilité qui soit, à l’inverse du risque majeur de crédulité, un gage de confiance et de respect réciproque.

Les achats en ligne favorisent, par la rapidité et la facilité du clic, le sentiment d’une consonance recherchée. Mais l’habituation à une proposition décryptée comme un « marketing » incitatif à la dépense, sans percevoir un bénéfice de sens plus « vertueux », tendra à amenuiser le degré d’adhésion des consommateurs et à mettre en question la réalité d’un choix libre et personnel.

Pour des chercheurs britanniques ayant publié leurs travaux dans The Behavioral Scientist, non seulement ces stratégies comportementales ne fonctionnent pas, mais elles auraient même effet inverse. Qu’ont-ils découverts ? Sur quoi repose le principe de « réactance » ? 

Les effets pervers de ces stratégies comportementales touchent au phénomène d’habituation qui réduit voire annule les effets positifs escomptés, et suscite au contraire des réactions de refus et de rejet. L’exemple dans le secteur médical de l’hyper-consommation des antibiotiques montre bien leur inefficacité, et de fait la suspicion vis-à-vis d’une prescription obligée.

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Plus insidieuse est la stratégie « nudge » des plateformes (Netflix par exemple et autres opérateurs des GAFAM), qui par des combinatoires algorithmiques d’offres soi-disant incitatives et correspondant à nos préférences, oriente délibérément et enferme plus qu’elle n’ouvre à des choix personnels.

Le principe de réactance –« mécanisme de défense psychologique mis en œuvre par un individu qui tente de maintenir sa liberté d'action lorsqu'il la croit ôtée ou menacée » (Wikipédia) – se met en place quand les stratégie comportementales perdent en crédibilité, ce qui renforce le sentiment d’une manipulation à son insu.

Le besoin et désir de maîtrise est mis en échec, selon le degré de confiance accordé aux entreprises offreuses, et en regard du besoin de personnalisation, synonyme de liberté et de libre-choix de consommateurs acteurs et aguerris.

De ce fait, inciter à un comportement nouveau peut être perçu par certains comme un système de persuasion, d’oppression, une obligation d’internaliser une norme à laquelle les individus ne veulent pas souscrire, émotionnellement et affectivement. Les arguments iront dans le sens d’une défense des libertés, jusqu’à utiliser des stratégies cognitives pour justifier leurs refus et leurs non choix. Et provoquer des effets inverses à ceux escomptés. Par exemple, lors de la pandémie du Covid, rejeter l’idée et le fait même des gestes barrières et des vaccins, argue de la main-mise des pouvoirs sur leurs libertés. Ce faisant, la résistance des « anti » se renforce comme preuve du soupçon d’entacher, planétairement, les libertés individuelles.

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Les marques ont développé des stratégies de marketing comportementales afin de déclencher les achats, mais doivent-ils toujours les actualiser pour rester au courant des nouveaux comportements pour qu’elles soient efficaces ?

Les stratégies marketing, comme dit précédemment, ne valent que si elles sont crédibles et apportent des bénéfices perceptibles de sens, de plaisir et d’utilité. Elles ne valent rien si profondément les entreprises ne se sont pas posées la question de savoir ce qu’elles voulaient vraiment pour leurs clients/consommateurs et pas seulement pour leurs propres intérêts. Ce qui s’applique aussi aux salariés de l’entreprise et aux aspects managériaux. Aux entreprises d’être à l’écoute du besoin de respect et de reconnaissance des consommateurs dans ce qu’ils ont d’humain – émotion, raison, complexité, capacité de mise à distance, et aussi vulnérabilité face à des offres trop incitatives dont ils regretteront, a posteriori, l’achat.

Il est vrai que les avancées majeures de la recherche sur le fonctionnement du cerveau ont favorisé des stratégies comportementales innovantes. Mais le réel des comportements ne se résout pas par des opérations algorithmiques, même prédictives.  Sachant que les entreprises sont aussi en devoir de rendre leurs offres à la fois appétentes et consonantes cohérentes pour que les consommateurs s’y retrouvent. Elles sont vouées à jouer la carte de la « récompense » dont on sait qu’elle correspond aux fondamentaux du fonctionnement cérébral, et, selon les principes du nudge, rendre les consommateurs plus vertueux en les faisant agir pour la bonne cause, pour le bien commun et le leur par conséquence.

Le problème est qu’il s’agit toujours d’influence, et d’octroyer aux consommateurs un pouvoir de décision, qui de fait est une fausse liberté de choix. Moduler ces facteurs d’influence, inhérents à la consommation, peut les faire accepter et modérer les effets du rejet et de la réactance.

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