Nucléaire iranien : ce qu’on gagnera à un accord avec Téhéran mais ce qu’on pourrait perdre à le faire trop vite <!-- --> | Atlantico.fr
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Hassan Rouhani
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©Reuters

Le retour du lion

Les négociations sur le nucléaire iranien ont toutes les chances de déboucher sur une forme de rapprochement, encore timide, entre la puissance régionale que constitue l'Iran, et le camp occidental, représenté avant tout par les Etats-Unis. Un nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient qui pourrait servir de clé dans la gestion des crises. Mais l'occident pourrait bien y laisser quelques alliés.

Thierry Coville

Thierry Coville

Thierry Coville est chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran. Il est professeur à Novancia où il enseigne la macroéconomie, l’économie internationale et le risque-pays.
 
Docteur en sciences économiques, il effectue depuis près de 20 ans des recherches sur l’Iran contemporain et a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages sur ce sujet.
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Atlantico : Depuis déjà de longs mois, les négociations avancent entre l'occident et l'Iran au sujet du nucléaire civil dans le pays. Un accord entre les deux partis, pourrait déboucher sur une normalisation de leurs relations. Qu'avons-nous à gagner de cet accord avec cette puissance régionale ?

Thierry Coville : Il s’agit d’un calcul surtout effectué par les Etats-Unis, car la dynamique de ces négociations, le rapprochement entre Américains et Iraniens datent d’il y a maintenant deux ans, c'est-à-dire depuis l’élection d’Hassan Rohani. Du côté américain, on se dit que pour stabiliser la région, la pire des solutions serait de ne pas discuter avec l’Iran. La logique d’écarter l’Iran en la considérant comme un ennemi est arrivée à son terme. 

Sur la question de la Syrie déjà, on peut dire ce que l’on souhaite, mais la stratégie qui consistait à vouloir passer en force sans même inviter l’Iran a échoué. Après, il ne faut pas se leurrer, l’Iran ne va pas devenir subitement un allié pour les occidentaux. Pour le pays, la Syrie est stratégiquement importante, et l’Iran soutient toujours Bachar el-Assad. Mais très clairement, il vaut mieux rentrer dans des négociations avec une approche constructive pour voir ce que l’on peut faire, car, de toute façon, sans l’Iran on ne pourra sans doute pas y arriver.

Sur la question de l’Irak, l’Iran a également un rôle important à jouer. L’offensive contre l’Etat islamique à Tikrit, qui a cours actuellement, se fait à l’aide de commandants iraniens. L’Iran est le seul pays de la région qui, officiellement, soutient l’Irak et qui se bat avec les armées irakiennes contre Daech. De nouveau il faut dire que les Iraniens ont un intérêt stratégique dans ces interventions. Cela ne veut donc pas dire qu’ils deviendront l’alliée de l’occident, mais il y a clairement une conjonction d'intérêts entre les positions. Sans l’Iran, l’offensive de l’Etat islamique en Irak, à l’été 2014, aurait eu des conséquences beaucoup plus graves. Les Américains le savent et se disent qu’on peut trouver un terrain d’entente avec l’Iran pour lutter contre Daech, et parvenir à une stabilisation éventuelle de l’Irak. Depuis la chute de Saddam Hussein, l’Iran souhaite, pour des raisons stratégiques, la présence d’un gouvernement chiite à la tête du pays. Avant il s’agissait de la principale menace pour le pays, sous Saddam Hussein, ainsi l’Iran souhaite s’en faire un "allié".

On peut également parler de la crise en Afghanistan. Bien que l’Iran n’ait pas vraiment toutes les cartes en main dans cette zone, il faut savoir que les Talibans sont les ennemis jurés des chiites, et l’Iran a soutenu dès le début le gouvernement Karzaï.

Au Liban, l’Iran possède des liens forts avec le Hezbollah. Parallèlement, on sait qu’il y a également des tensions très fortes avec l’Arabie saoudite à cause de leurs rivalités. Je pense que l’idée américaine est de dire que la pire des solutions consisterait à écarter l’Iran de toutes les négociations au Moyen-Orient. L’idée serait donc de voir comment cette convergence d'intérêt pourrait concrètement être mise en oeuvre, par exemple à travers l’échange d’informations.

Je pense que parallèlement à ce calcul, les Etats-Unis ont également des intérêts économiques. Depuis la Révolution islamique de 79, les entreprises américaines sont écartées du marché iranien, dans le secteur énergétique par exemple. Sur le plan de la politique intérieure américaine, la question de l’Iran a tellement de résonnances qu’il est très clair que le président américain qui arrivera à rétablir les relations diplomatiques aura une victoire symbolique très forte à son actif.

Si accord il y a, ne doit-on redouter qu'il soit rédigé dans la précipitation, rajoutant une nouvelle couche de confusion sur ce qu'il se passe dans la région ?

Je ne suis pas de cet avis, il ne faut pas se tromper de dossier, car ici ce qui est négocié est la question du nucléaire iranien. L’Iran et les 5+1 négocient avec acharnement, point par point, depuis novembre 2013 et l’accord intérimaire. On commence tout de même a bien connaître le dossier de chaque côté, car cela fait 12 ans qu’on en parle. Il y a quand même des techniciens impliqués de chaque côté. Il y a eu une réunion récemment entre le ministre de l’énergie américain et le directeur de l’agence atomique iranienne. Tout est discuté, et je ne pense pas que cela soit fait dans la précipitation car l’enjeu est de taille : déterminer à termes la définition du programme nucléaire iranien. Il faut voir que dans l’esprit des Américains et des Iraniens, il y a d’abord la volonté de régler cette crise, et de passer à autre chose ensuite. En arrière-plan, il y a d’autres sujets, sur lesquels Etats-Unis et Iran ont sûrement dû commencer à échanger des informations. Cela explique également pourquoi, en ce moment aux Etats-Unis, le discours de Benjamin Netanyahu ne passe pas très bien. Les contacts personnels jouent beaucoup, et les Américains se sont rendus compte que les Iraniens n’étaient pas les diables qu’on se représentait avant. La diabolisation de l’Iran ne marche plus puisqu’on discute avec eux.

Après avoir réglé cette crise, les deux pays pourront voir ce qu’ils souhaitent faire sur un certain nombre de dossiers. Cela ne sera pas simple non plus : en Iran, beaucoup s’opposent à ce rapprochement. Chez les conservateurs les plus radicaux, les Pasdaran, cette idée passe mal. Certain se considèrent comme "responsables de la guerre avec les Etats-Unis, pas des négociations". On ne peut donc pas imaginer que le pays redevienne un véritable allié de l’occident, ni le gendarme des Américains dans la région. Les questions se règleront au cas-par-cas, de façon stratégique.

Si l'accord se conclue positivement, l'Iran et les pays occidentaux seront-ils vraiment rapprochés ou s'agit-il d'un accord de circonstance au service des objectifs des deux camps …

Il y a un peu des deux. Le début de rapprochement : c’est la première fois, depuis le début de la Révolution islamique et l’affaire des otages américains, que les deux pays recommencent à discuter. Cela change quand même la donne. Nous en sommes au début d’une relation entre les deux pays, et cela déstabilise des pays comme Israël ou l’Arabie saoudite, qui faisaient reposer toute leur stratégie et tout leur discours sur la diabolisation de l’Iran. Beaucoup de calculs sont chamboulés. Il y a beaucoup d’inquiétude également. L’Iran tient beaucoup à ne pas avoir l’air de rentrer dans le camp occidental, et observe ce qu’il est possible de faire de manière pragmatique.

On se doute que cet accord embête certains alliés de l'Occident dans la région, on pense notamment aux monarchies sunnites du golfe, telles que l'Arabie saoudite ou bien le Qatar …

Tout à fait. Le Conseil de coopération du Golfe (CCG) a été créé contre l’Iran, pour regrouper les pétro-monarchies du Golfe autour de l’Arabie saoudite. Leur discours tenait sur l'idée qu'ils étaient les alliés de l’occident, et qu'ils avaient besoin d’être protégés de l’Iran. Il existe en Arabie saoudite, depuis la chute de Saddam Hussein et l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement chiite en Irak, le sentiment que l’Iran étend son influence. Du côté saoudien on est très inquiet de cette reprise du dialogue américano-iranien. On rentre dans une phase nouvelle dans l’histoire de la région.

Du côté des autres pays c’est également vrai. L’Arabie saoudite se voit en rivale principale pour le rôle de puissance régionale. Le mécontentement est donc plus fort dans cette dernière. Cependant, l’inquiétude est également forte dans les Emirats arabes unis, qui avaient des conflits territoriaux avec l’Iran, ce petit pays peut se sentir menacé par son grand voisin. Cela peut être éventuellement le cas au Qatar.

En Israël, il existe aussi un tel discours de diabolisation de l’Iran, notamment par Netanyahu qui en a fait un élément structurant. Les Etats-Unis sont les alliés traditionnels d’Israël depuis des années, c’est donc presque un cauchemar stratégique pour l’Etat hébreux qui voit son meilleur allié recommencer à discuter avec son pire ennemi. Cela explique le récent voyage de Netanyahu à Washington. Israël a l’impression que quelque chose lui échappe, car l’opinion américaine n’a plus la même attitude concernant l’Iran. Il y a quelques années le discours de Netanyahu aurait fonctionné. Maintenant il tombe à l’eau.

Nos alliés dans cette région si troublée sont important, ne risque-t-on pas de se brouiller avec eux ? Finalement qu'a-t-on à perdre ?

Si on s'essaye à prendre un peu de hauteur, on peut se demander quel est le scénario alternatif pour régler la crise du nucléaire iranien. Et je pense que le seul qui est plausible est celui du regain de tensions. Si jamais il n’y a pas d’accord, l’Iran retournera dans son coin et enrichira de l’uranium à 20%. Tout de suite après les radicaux s’exprimeront dans le pays en affirmant que ce n’est pas la peine de négocier et que l’Iran a le droit d’enrichir son uranium. Les modérés seront tués politiquement car Rohani a beaucoup misé sur les négociations sur le nucléaire. Si des radicaux arrivent au pouvoir en Iran, il ne sera de nouveau plus possible de négocier. Penser qu'avec plus de sanctions on va régler le problème n’a pas de sens car les Iraniens ne lâcheront jamais là-dessus. Le scénario alternatif est la politique du pire.

De la même façon, plus on discute avec les modérés, plus on laisse d’espace de liberté à la société iranienne, qui est moderne, et cela est bon pour la région. C’est aussi cela que l’on droit prendre en compte.

Pour les Américains, on peut prendre l’Iran comme un acteur rationnel et discuter avec lui pour aboutir à la résolution des crises. Je ne crois donc pas l’occident en tant que tel soit perdant dans un tel accord.

Du côté Français, on est en retrait dans ces négociations, et on essaye de ménager tout le monde, dont nos alliés, Saoudiens surtout, avec lesquels on a des perspectives commerciales. On peut déplorer ce retrait, je ne sais pas si nous avons saisi l’importance du moment. C’est un dossier stratégiquement très important et qui bénéficie d’une fenêtre de tir en ce moment, avec Barack Obama et Hassan Rohani. L’opportunité est immense.

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