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Nucléaire iranien : Trump veut-il nous mener à la guerre ?
©Reuters

Stratégie

Emmanuel Macron se rend aujourd'hui avec Benjamin Netanyahu à Washington pour discuter en particulier de l'Iran dont "le comportement déstabilisateur (...) sera au cœur des discussions" selon le général H.R McMaster.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Tout d’abord en préambule, l’auteur tient à préciser qu’il ne nourrit aucune complaisance vis-à-vis du régime des mollahs en place à Téhéran depuis 1979. La théocratie iranienne a été à la base d’innombrables massacres contre son propre peuple pour lui imposer son idéologie politico-religieuse. Elle s’est ensuite livrée au terrorisme d’Etat dont ont été victimes l’Occident en général et la France en particulier. Les mollahs avaient leurs raisons, la France ayant soutenu Saddam Hussein lorsqu’il a attaqué l’Iran, des dettes financières dans le cadre de l’affaire Eurodif et autres…

Aujourd’hui, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts même si la théocratie iranienne reste toujours aussi répressive à l’intérieur où aucune opposition n’est tolérée. Les élections « démocratiques » n’opposent que des responsables soi-disant « modérés » aux « conservateurs » appartenant tous au même bord, celui des mollahs. En matière internationale, Téhéran affiche sa volonté d’étendre un arc chiite au Proche-Orient (via l’Irak, la Syrie, le Liban, le Yémen et le Bahreïn), ce qui inquiète légitimement les pays sunnites. Enfin, les mollahs poursuivent Israël d’une haine indicible tout en se réservant le droit de redémarrer leur programme nucléaire militaire tout en poursuivant celui qui concerne le domaine balistique.

Une lueur d’espoir est venue tout de même lever une partie de ce sombre rideau : Téhéran a accepté de négocier sur le nucléaire. A savoir que depuis 2002, l’Occident avait été informé de la volonté des mollahs de se doter de l’arme nucléaire grâce à des renseignements fournis par l’Organisation des Moudjahiddines du Peuple (OMPI) "traitée" par les services de renseignement américains. A noter que l’effort nucléaire militaire avait débuté sous la présidence (1997-2005) du « modéré » Mohammad Khatami, ce qui en dit long sur les étiquettes politiques attribuées par les mollahs - surtout destinées aux  commentateurs étrangers afin de policier l’image du régime -.

Les négociations ont abouti en 2015 à l’accord « Joint Comprehensive Plan of Action -JCPOA-) » signé avec les 5+1 (les pays membres du Conseil de Sécurité plus l’Allemagne). Cela a contribué à faire baisser la tension et à suspendre les sanctions internationales attachée à ce programme. Il faut bien comprendre que cela concerne l’effort industriel dans le domaine de la fabrication de l’arme nucléaire mais pas les vecteurs (essentiellement les missiles) qui peuvent la transporter.

Le contrôle des conditions imposées à Téhéran est placé sous la responsabilité de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) dirigée par le Japonais Yukiya Amano. D’ailleurs, depuis l’entrée en vigueur de l’accord en 2016, cet organisme a mené plus de 400 inspections de sites iraniens ce qui fait de l’Iran le pays le plus contrôlé de la planète. Lorsqu’un doute sur une installation est signalé par un des pays signataires, l’AIEA demande dans un premier temps des explications à Téhéran. Si ces dernières sont jugées insuffisantes, un délai de deux semaines est nécessaire pour négocier les modalités d’inspection du site controversé. Si à l’issue de cette période, Téhéran refuse toujours l’inspection, les 5+1 peuvent voter une « obligation de visite » à laquelle les Iraniens doivent se plier dans les trois jours qui suivent sous peine de voir les sanctions internationales rétablies.

Washington veut changer les règles unilatéralement mais prudemment, approche les autres signataires pour qu'ils fassent de même. Les Américains voudraient pourvoir demander à l’AIEA de mener des inspections sans avoir à fournir de motif particulier à fournir au préalable. En gros, de pouvoir se livrer à des inspections aléatoires surprises. Cela dit, il est exact que progrès restent à faire avec, en particulier, l’autorisation d’accès aux universités et centres de recherche et de développement spécialisés dans la matière.

La menace provient désormais du président Donald Trump qui s’est lancé dans une remise en question de cet accord qu’il qualifie de « pire accord que je n’ai jamais vu […] (qui) n’aurait jamais dû être conclu ». De plus, le 15 octobre, il doit dire au Congrès si le régime iranien respecte les prescriptions du JCPOA. Si c’est le cas, on sera reparti pour une nouvelle période d’observation de trois mois sinon, la balle sera dans les mains du Congrès dominé par les néoconservateurs (que l’on trouve majoritairement chez les Conservateurs mais aussi au sein du parti Démocrate) historiquement hostiles à Téhéran. Les signaux envoyés par l’administration américaine ne sont pas bons. L’ambassadrice américaine aux Nations Unies, Nikki Haley, et le secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, multiplient les accusations - souvent très controversées - contre Téhéran.

Le précédent historique irakien

L’Histoire semble vouloir une fois de plus se répéter. Au début des années 2000, l’administration Bush fils qui avait décidé d’en finir avec Saddam Hussein recherchait les renseignements prouvant qu’il détenait des armes de destructions massives de manière à justifier une intervention militaire. Les services de renseignement US étaient priés de fournir les preuves irréfutables confirmant la thèse présidentielle. Ils avaient alors activés leurs agents - généralement des membres de l’opposition en exil bénéficiant de « bons réseaux d’informateurs à l’intérieur de l’Irak ». Beaucoup d’entre eux, soit n’avaient accès à aucune information sensible, soit étaient des escrocs aux renseignements - catégorie bien connue dans le monde de l’espionnage - qui monnayaient fort cher les informations qui leur avaient été demandées. L’exemple le plus criant a été celui de camions destinés à mettre en œuvre des ballons météorologiques qui sont devenus par miracle - croquis à l’appui - des "laboratoires mobiles de fabrication d’armes biologiques". On se souviendra aussi longtemps du général Colin Powell agitant le 5 février 2003 devant le Conseil de sécurité de l’ONU une petite fiole contenant du supposé Anthrax.

Téhéran avait aussi participé à cette campagne d’intoxication car l’Iran, alors placé par G.W. Bush sur la liste des pays de « l’axe du mal », craignait que les Américains ne déclenchent une opération militaire qui pouvait déstabiliser le régime. Il était donc de l’intérêt des mollahs que Washington intervienne en Irak pour s’y ensabler et les « oublie » un petit peu. Cette intoxication de services adverses sert aujourd'hui de "cas d'école" pour tous les professionnels. 

Les services de renseignement US sommés d’apporter les preuves.

            Aujourd’hui, l’OMPI qui avait dévoilé l’effort nucléaire militaire iranien en 2002 comme cela a été dit plus avant, est à la recherche d’informations sur ce sujet mais ne semble pas avoir recueilli des éléments décisifs à cette heure. Selon elle, le brigadier général des pasdarans Mohsen Fakhrizadeh Mahabadi, alias le Docteur Hassan Mohseni, le "père" du programme nucléaire militaire iranien, dirige l’Organisation de l’innovation et de la recherche de la défense connue sous l’acronyme SPND (apparue en 2011). Cet organisme poursuivrait secrètement ses recherches malgré l’accord 5+1. Toutes ces informations restent toutefois à être confirmées. Par contre le président « modéré » Hassan Rohani a déclaré dans un discours prononcé devant le Conseil de la Choura le 15 août que l’Iran était en mesure de reprendre son programme nucléaire « en quelques heures et quelques jours » si Washington imposait de nouvelles sanctions à Téhéran. Toutefois, nombre d’analystes des services de renseignement US rendus méfiants car ils n’ont pas la mémoire courte se rebiffent face aux instructions données. Chercher du renseignement, oui, inventer des preuves, non !

A la différence des années 2000 où les opinions des différentes agences de renseignement américaines et étrangères étaient pour le moins contrastées, les services français s’étant rendus compte de la fausseté des preuves avancées par Washington et Londres, il y a aujourd’hui un consensus entre elles et l’AIEA comme quoi il n’existe, à ce stade, aucune preuve formelle indiquant que Téhéran s'affranchit de ses obligations.

La période est aujourd’hui cruciale car si Téhéran refuse une inspection (programmée dans le cadre de l’accord 5+1) d’ici la mi-octobre, il est probable que le président Trump se saisira de l’occasion pour ne pas signer la prorogation de l’accord. Les autres pays signataires sont extrêmement gênés par cette décision unilatérale. D’ailleurs, ils la critiquent tous à l’exception de la Grande Bretagne qui, à son habitude, s’efforce de faire le grand écart entre les Etats-Unis et l’Europe. Que deviendraient les ouvertures économiques occidentales vers l’Iran si Washington décidait de sanctionner les investisseurs étrangers ?

Le président Trump a choisi de diaboliser Téhéran au grand profit de l’Arabie saoudite et d’Israël. La véritable raison ne semble pas être le problème nucléaire mais l’influence grandissante de l’Iran au Proche-Orient. C’est pour cela qu’il lui faut à tous prix rompre l’accord qui a été conclu entre Téhéran et son prédécesseur, Barack Obama. Comme on l’a vu précédemment, ses services sont mis à contribution pour tenter de justifier les mesures coercitives qu’il a, de toutes façons, l’intention de prendre. « Qui veut tuer son chien l’accuse d’avoir la rage » dit le vieux dicton populaire… Le problème c’est que le spectre d’une intervention militaire se profile de nouveau et que Washington voudrait bien ne pas y aller seul car la constitution d’une « coalition » est toujours plus présentable à l’opinion publique, surtout qu'il n'obtiendra jamais une autorisation du Conseil de sécurité de l'ONU. Les Russes et les Chinois ont été échaudés par la résolution n°1973 de 2011 qui a permis de faire tomber le régime libyen sous couvert d'opération de protection des populations.

Le président Trump est de plus en plus inquiétant car il semble bien décidé à adopter un peu partout une stratégie de confrontation qui lui fait peut-être oublier ses difficultés intérieures. A trop jouer avec des allumettes, il va finir par allumer des incendies qu'il sera difficile ensuite à maîtriser.

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