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Nucléaire iranien : et si la clé n’était ni chez Trump, ni chez Macron mais à Bagdad
©LUDOVIC MARIN / AFP

Diplomatie

Alors qu'Emmanuel Macron prononcera son discours devant le Congrès des Etats-Unis ce 25 avril, la question du nucléaire iranien devrait occuper une partie des échanges entre le Président français et Donald Trump.

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier est docteur en géopolitique, professeur agrégé d'Histoire-Géographie, et chercheur à l'Institut français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis).

Il est membre de l'Institut Thomas More.

Jean-Sylvestre Mongrenier a co-écrit, avec Françoise Thom, Géopolitique de la Russie (Puf, 2016). 

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Alors qu'Emmanuel Macron prononcera son discours devant le Congrès des Etats-Unis ce 25 avril, la question du nucléaire iranien devrait occuper une partie des échanges entre le Président français et Donald Trump. En quoi la pression mise sur Téhéran sur ce dossier, et qui devrait trouver son aboutissement le 12 mai prochain, peut-elle résonner avec les élections irakiennes qui auront lieu ce même jour ? Dans une logique de containment de l'Iran, le soutien à un rempart irakien peut-il être efficace? 

Jean-Sylvestre Mongrenier : Dans les faits et sur le théâtre syro-irakien, comme dans une part du Moyen-Orient (Liban, Bahreïn, Yémen), c’est le régime irano-chiite qui met ses voisins sous pression. Les politiques occidentales, y compris celle des Etats-Unis, sont essentiellement réactives et manquent de substance. Il suffit de se remémorer la politique de la main tendue pratiquée par l’Administration Obama, à l’origine du Joint Comprehensive Plan of Action, i.e. le plan nucléaire du 14 juillet 2015. Encore hésitante sur sa politique d’ensemble au Moyen-Orient, l’Administration Trump a bien le JCPOA dans sa ligne de mire. A rebours ce que l’on peut entendre ici ou là, il serait réducteur d’y voir un simple effet de la psychologie du Président américain (voir la troisième question). 
La question de l’expansionnisme irano-chiite dans la région et la volonté de puissance qui l’anime mènent tout droit à l’Irak. Trois fois moins vaste  et peuplé, l’Irak est le voisin immédiat de l’Iran, situé sur ses frontières occidentales. On sait que les trois cinquièmes de la population irakienne sont constitués d’Arabes chiites, avec la même religion donc que les Iraniens (l’Iran est chiite aux neuf dixièmes, seule un bonne moitié de la population étant persane). En quelque sorte, l’Irak et l’Iran forment une dyade géopolitique : deux Etats et « points chauds » étroitement liés, aux destinées enchevêtrées. S’ils partagent un certain nombre de caractéristiques communes – outre le chiisme, l’importance de la zone aride et l’économie pétrolière -, il s’agit de deux Etats différents, longtemps opposés. Alors que l’Iran est un ancien empire, l’Irak est un Etat récent, crée dans le cadre du mandat britannique sur la région obtenu après la Première Guerre mondiale.
Quinze ans après le début de la seconde guerre du Golfe (2003) et le renversement du régime bassiste de Saddam Hussein, l’indépendance de l’Irak pose toujours question. En 2003, les dirigeants iraniens ont été un bref moment tétanisés par l’intervention anglo-américaine, craignant d’être les prochains sur la liste. Ils ont très vite réalisé que ladite intervention les débarrassait de Saddam Hussein et marquait la fin du « dual containment » des années 1990 (l’Irak endigue l’Iran, l’Iran endigue l’Irak). L’unité Al Qods des Pasdarans (les Gardiens de la Révolution) ont alors entrepris de saigner l’armée américaine en Irak, en armant leurs relais et en les organisant sur le modèle du Hezbollah libanais (une créature antérieure). Les chefs des Pasdarans demandent aussi à Bachar Al-Assad d’ouvrir les frontières aux djihadistes sunnites venus combattre en Irak les Américains. C’est dans ce contexte que la branche irakienne d’Al-Qaida, à l’origine ensuite de l’Etat islamique, s’est développée. Si l’on prend en compte tout ce passif historique ainsi que l’argent iranien en Irak, les politiciens affidés à Téhéran, les milices panchiites contrôlées par les Pasdarans, on comprendra que revenir à une forme de containment irakien de l’Iran sera difficile. Le but est plus circonscrit : permettre à l’Etat central irakien d’exister par lui-même et de constituer un acteur géopolitique autonome, ce qui limiterait le pouvoir de nuisance de Téhéran.

L'actuel premier ministre irakien, Haider al-Abadi, réputé être le candidat le moins proche de Téhéran aux prochaines élections, se trouve être actuellement le mieux placé pour remporter cette élection, avec une ambition de réconcilier kurdes, sunnites et chiites derrière le drapeau irakien. Dans un contexte régional perçu comme étant sous la menace de l'influence iranienne, un tel retour « nationaliste » irakien peut-il permettre d'équilibrer cette tension ? 

Au préalable, mettons la situation en perspective. Le renversement du régime baasiste, en 2003, aura marqué la fin de la longue domination arabe sunnite (18 % de la population) sur les Arabes chiites (60 %) et les Kurdes (18 %), de confession sunnite ou Yézidis, sans omettre les Chrétiens d’Orient. Le basculement s’est accompagné d’un conflit sectaire meurtrier. Parallèlement, les Américains ont chapeauté une transition politique qui a débouché sur la fédéralisation de l’Irak (élection d’une assemblée constituante en janvier 2005, organisation d’un référendum en octobre de la même année). Le fédéralisme était censé compenser la domination démographique des Chiites, avec un équilibre au niveau des institutions (un président kurde, un vice-président sunnite, un premier ministre chiite). C’est dans ce cadre politique et constitutionnel que le Kurdistan irakien a renforcé son autonomie, acquise à l’issue de la première guerre du Golfe (1991). On ne saurait donc sérieusement affirmer que les Américains ont prétendu enraciner une démocratie helvétique au Moyen-Orient, sans tenir compte des réalités ethniques et confessionnelles. Il reste que l’hostilité et la haine entre les différentes communautés ont été sous-évaluées. 
Sur le terrain, le général Petraeus a su reprendre le contrôle d’une situation évoluant vers la « guerre de chacun contre chacun » (Hobbes). Pour ce faire, il a retourné les tribus arabes sunnites contre Al Qaida et les a armées (2007-2008). D’une certaine manière, les Américains ont alors joué la carte d’un islam enraciné et traditionnel contre le djihadisme global de facture sunnite. Et contre les milices de Moqtada Al Sadr (une sorte d’islamisme chiite plébéien) et le djihadisme de facture chiite, les Américains et le gouvernement provisoire ont pu bénéficier du concours de chefs religieux chiites, soucieux de marquer une certaine distance avec la politisation de l’islam et les ingérences temporelles du régime iranien. Bref, la situation semblait avoir été rétablie. 
Dans ce contexte, un très relatif optimisme a un temps régné dans certaines chancelleries occidentales. Les uns insistaient sur les spécificités du chiisme irakien et la diversité ethnico-confessionnelle de l’Irak présentés comme autant d’obstacles à l’influence de Téhéran. D’autres pointaient l’existence d’un nationalisme irakien, supra-communautaire, et le refus du « modèle » politique iranien. Le nouvel Irak pourrait donc exister en tant qu’Etat indépendant, affirmait-on. Evoqué dans votre question, le thème du nationalisme irakien n’est donc pas nouveau. En vérité, l’histoire immédiate invite à la prudence, l’Administration Obama ayant peut-être fait valoir ce thème pour justifier la décision de se retirer d’Irak (2011). En fait, Barack Obama a pris prétexte des lenteurs et des objections du gouvernement irakien quant aux modalités de la présence militaire américaine, pour opérer le retrait des troupes (2011). En cela, il confirmait déjà sa volonté proclamée de se tenir à distance des conflits régionaux, observée ensuite en Syrie (avec des conséquences gravissimes). 
Le problème réside dans la privation de leviers sur le gouvernement irakien. Avec le soutien actif de Téhéran, le gouvernement d’Al-Maliki a conduit une politique sectaire, opposée aux Sunnites. Les tribus sunnites antérieurement retournées par le général Petraeus se sont soulevées et le djihadisme global de facture sunnite a pu à nouveau s’enraciner. Lorsqu’en Syrie la répression sauvage de Bachar Al-Assad et le refus d’Obama de faire respecter ses « lignes rouges » (septembre 2013) ont généré l’Etat islamique, une sorte de « Sunnistan » (un pseudo-califat) a donc pris forme, à cheval sur la ligne Sykes-Picot. 
Au total, l’idée d’un nationalisme irakien solide, capable d’endiguer Téhéran et de barrer le « pont terrestre irano-chiite, est fragile (sans parler de la question kurde). L’objectif global doit être plus modeste : une majorité solide autour d’Al Abadi, un pouvoir central renforcé et une réelle autonomie de décision irakienne. Limiter le pouvoir de nuisance de l’Iran serait déjà beaucoup, et c’est dans cette perspective que les régimes arabes sunnites du Golfe soutiennent l’actuel gouvernement irakien. Les élections irakiennes du 12 mai seront déterminantes pour le maintien d’un contingent américain sur place et dans le Nord-Est de la Syrie. 

Au-delà de ce volet irakien, quels sont ces autres raisons qui peuvent justifier cette mise sous pression de Téhéran par Donald Trump ? Comment situer le point de vue des européens dans cet accord, notamment sur leur volonté de préserver l'accord de 2015 ?  

Il importe de comprendre que l'accord en 2015 s'inscrivait dans une manœuvre globale censée produire au Moyen-Orient un « grand renversement » géopolitique : modération et retenue de la politique iranienne, primauté du développement économique, établissement des bases d'une future amitié irano-américaine. Sur le plan technico-nucléaire, le régime iranien respecte cet accord, l’AIEA (Agence internationale de l’énergie nucléaire), encore que certains sites militaires et centres de recherche ne soient pas accessibles aux inspecteurs. Surtout, Téhéran a déçu les Occidentaux : l'esprit de l'accord n'est pas respecté et nous sommes bien éloignés de la vision d'un régime assagi, sécularisé et soucieux d'insérer l'Iran dans la mondialisation. 
En lieu et place, le régime pousse les feux dans la région et il a ouvert une « autoroute chiite » vers la Méditerranée ; il bouscule les régimes arabes sunnites et menace le territoire israélien ainsi que le Bassin levantin. Tout en conservant l'essentiel de son infrastructure nucléaire, Téhéran met au point les missiles qui, un jour, seront capables de porter des ogives nucléaires (le régime dispose de missiles à plusieurs têtes, d’une portée de 2000 kilomètres). Adieu donc le rêve d'une démocratie islamique de marché : le projet de domination, du golfe Arabo-Persique à la Méditerranée orientale, l’a emporté. 
Il est significatif que Français, Britanniques et Allemands pointent également le programme balistique iranien et la déstabilisation de la région, avec ses inévitables chocs en retour. Majoritaires, les régimes et populations arabes sunnites n'accepteront pas la domination chiite du Moyen-Orient et il faut déjà redouter les conséquences de la politique iranienne. Alors même que la coalition occidentale et les forces arabo-kurdes ont chassé l’Etat islamique de Rakka, le sectarisme de Téhéran ainsi que les exactions des milices panchiites pourraient provoquer le surgissement de nouvelles formes de djihadisme sunnite. Avec le recul, d’aucuns réalisent que le prétendu succès diplomatique de juillet 2015 n'en était pas un. Tout au plus, les échéances ont-elles été reportées mais quant au fond, rien n'a été définitivement réglé. Et 2025, c'est demain ou presque. Dans l'intervalle, le souci de conserver cet accord aura conféré à Téhéran une quasi-sanctuarisation et toute latitude d'action.
Les diplomaties européennes entendent pourtant conserver cet accord, mais en lui ajoutant deux piliers supplémentaires : la limitation du programme balistique du régime et le refoulement de ses ambitions au Moyen-Orient. Lors de sa conférence de presse américaine, le 25 avril, Emmanuel Macron a été clair sur ces points et il a parlé d’un « nouvel accord » global. Cela peut sembler raisonnable mais ne nous leurrons pas ; Téhéran n'acceptera pas une remise en cause de ce qui a été acquis par la négociation, le résultat lui étant globalement favorable. L'essentiel a été préservé, les sanctions sont en partie levées, le pouvoir et l'influence du régime s'étendent au Moyen-Orient et la date-butoir de 2025 est proche. Dès lors, pourquoi le régime s'engagerait-il de lui-même dans une nouvelle négociation ? Si Paris, Londres et Berlin entendent véritablement endiguer l'Iran, que ces capitales se préparent à une épreuve de force. Déjà Téhéran menace et les Pasdarans ont annoncé l'accélération du programme balistique. Il est probable que les dirigeants occidentaux n'éviteront pas la confrontation avec l’Iran. 
Pour résumer, en juillet 2015, nous avons reculé pour plus mal sauter, par impolitique et au nom d'une approche dite « pragmatique » (un accord « win-win » expliquait-on). Il eût été préférable de maintenir le front occidental uni et l'embargo pétrolier, afin d'amener le régime à céder sur l'essentiel. Mais il n’est pas trop tard pour tracer une nouvelle ligne dans le sable. 

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