Nucléaire : ce qu’il vaut savoir pour comprendre le débat sur la réouverture des réacteurs français avant l’hiver<!-- --> | Atlantico.fr
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L'entreprise EDF s’est engagée à relancer tous les réacteurs nucléaires à l’arrêt d’ici début 2023.
L'entreprise EDF s’est engagée à relancer tous les réacteurs nucléaires à l’arrêt d’ici début 2023.
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

Crise énergétique

Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique, a indiqué que "EDF s’est engagée à relancer tous les réacteurs nucléaires" à l’arrêt d’ici début 2023. Que faudrait-il que l’Etat et EDF fassent pour s’assurer d’une reprise la plus rapide et complète possible des réacteurs ?

Alexis Quentin

Alexis Quentin

Alexis Quentin est docteur en physique et ingénieur dans l'industrie nucléaire. Membre de l'association les voix du nucléaire.

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Kako Naït Ali

Le Dr Kako Naït Ali est ingénieur et docteur en chimie des matériaux.

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Atlantico : Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique, a indiqué que "EDF s’est engagée à relancer tous les réacteurs nucléaires" à l’arrêt d’ici début 2023. A quel point est-ce un objectif réaliste ? Quelle est la part d’optimisme ?

Alexis Quentin : La ministre a parlé de remise en service durant l'hiver, ce qui veut dire avant fin février, voire début mars. Dans les faits, ça reste cohérent avec le calendrier initial. Certaines opérations disposeront tout de même de moins de marge, mais ça ne semble pas impossible. Par contre, en disant "tous les réacteurs nucléaires", il semble qu'Agnes Pannier Runacher commette une forme d'abus de langage. Il est surtout question de remettre en service tous les réacteurs possibles, donc ceux qui étaient prévus pour redémarrer au plus tard au 1er trimestre 2023.

En somme, ça reste un objectif ambitieux mais réalisable. 

Kako Naït Ali : L’information qu’elle a donnée correspond à l’état actuel des centrales. Tous les réacteurs en maintenance programmée devraient être remis sur le réseau d’ici à la fin de l’année. Pour les réacteurs associés à la corrosion sous contrainte, cela dépendra de l’avancée des travaux. À la fin, c’est l’Autorité de sûreté nationale (ASN) qui aura le dernier mot. 

Y-a-t-il un danger à relancer tous les réacteurs nucléaires d’ici début 2023, y compris ceux qui ont des problèmes de corrosion ?

Alexis Quentin : Tous les redémarrages devront être autorisés par l'ASN, l'autorité de sûreté nucléaire, qui ne laissera rien passer. Donc pas de risque de ce côté là. En outre, pour les réacteurs touchés par la corrosion sous contrainte, il faut savoir que sur ceux-ci, les circuits potentiellement touchés ont été retirés, et seront remplacés par des neufs. Ces circuits ont été retirés, on dit déposés, pour analyse, afin entre aussi de qualifier un procédé de contrôle qui ne nécessitera pas de découper de la tuyauterie dans le futur. Ainsi, certains circuits découpés ne présentaient pas de trace de corrosion sous contrainte, mais seront tout de même remplacés. 

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Kako Naït Ali : Il n’y a pas de danger, mais il existe un risque que cela ne soit pas le cas. Seule l’ASN est décideuse, et cela n’est pas évident pour elle, car il y a des questions à la fois de conformité aux exigences de sûreté et de disponibilité du parc nucléaire.

Les problèmes de corrosion des centrales indiquent-elles un problème de vétusté des installations ?

Alexis Quentin : Non en aucun cas, ça n'est pas lié. Ainsi les réacteurs où ce phénomène a été observé en premier et de manière la plus étendue sont les plus récents, ceux appelés N4, mis en service à la fin des années 90. Alors que par exemple, les réacteurs de Fessenheim, dont on a aussi découpé les tuyauteries en question pour vérification, ne présentaient aucune trace de corrosion sous contrainte. Comme précisé par Bernard Doroszczuk, le président de ASN lors d'une audition devant l'opecst,  le phénomène était multi factoriel et venait aussi du design des circuits, ce qui n'a pas grand chose à voir avec une potentielle vétusté qui n'existe que dans l'esprit des personnes opposées à l'électricité nucléaire. 

Kako Naït Ali : La corrosion sous contrainte est apparue sur les réacteurs les plus récents (paliers N4 et P’4). C’est un aléa qui est lié à une situation spécifique (configuration du circuit, type de matériaux, contrainte, etc.), ce n’est pas lié à l’état des installations. Elle est très localisée, ce n’est pas une corrosion comme l’entend le grand public, elle s’amorce sous la forme de fines fissures qui se propagent sous contrainte avec une période d’incubation pouvant durer une dizaine d’années et au cours de laquelle la fissure évolue peu. C’est donc très complexe à détecter. A partir d’un certain seuil, on peut avoir un risque si la tuyauterie est utilisée en condition accidentelle si elle doit refroidir le réacteur. Il n’est aucunement question de vétusté (rouille, etc.). Dans le reportage de France 2, les journalistes questionnaient la pertinence de la déclaration de la ministre, mais la manière de présenter le phénomène a été simpliste et a pu induire en erreur le téléspectateur. Ce reportage a été repris sur le site de France Info, et c’est à ce moment-là que le mot de « vétusté » a été repris, mais le terme n’est pas prononcé dans le reportage. La relation faite par France Info entre fissures et vétusté montre que le reportage n’a pas permis de comprendre le phénomène et la situation.

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Que faudrait-il que l’Etat et EDF fassent pour s’assurer d’une reprise la plus rapide et complète possible des réacteurs ?

Alexis Quentin : Il faut qu'EDF puisse travailler sereinement. Les salariés sur place, ainsi que les sous traitants, sont des professionnels et sont bien conscients des enjeux, immenses. EDF a décidé de mettre beaucoup de moyens humains sur la question de la corrosion sous contrainte justement pour accélérer le redémarrage. Concernant l'Etat, il serait idoine qu'il reste à sa place, et évite de mettre inutilement la pression. On a surtout le sentiment qu'il tente de préparer les esprits à faire d'edf un bouc émissaire bien commode, évitant ainsi avoir à se remettre en question, de se demander si les décisions prises par le passé ont été bonnes, et d'avoir à reconnaître des erreurs, ce qui ne semble pas d'actualité.

Kako Naït Ali : Il faut avoir conscience que l’entreprise est mobilisée pour que cette reprise puisse avoir lieu rapidement. Mais il faut être très prudent dans les annonces, il y a toujours une part d’incertitude qu’il faut considérer. Il y a beaucoup d’angoisse dans les foyers notamment pour ceux qui ont du mal à se chauffer par défaut d’isolation de leur habitation et qui se disent : « Je fais comment si on me coupe l’électricité ? ». Plutôt que de dire que cela repose sur le parc nucléaire, on devrait expliquer la situation actuelle aux Français et les conséquences en fonction des scénarios envisagés. Il est nécessaire d’informer sur les leviers, notamment de sobriété, les moyens d’information mis à disposition notamment par RTE et de faire plus de pédagogie.

Faudrait-il mettre en avant des spécialistes ou des politiques pour le faire ?

Kako Naït Ali : Les deux. Pour le moment, on voit peu d’experts à la télévision, plutôt des commentateurs qui n’ont pas forcément une connaissance suffisante de la situation. Ce qui génère une vision plutôt pessimiste. Ce n’est pas la même angoisse si vous avez un logement isolé ou non. De plus en plus de personnes m’interrogent sur ce qu’il va réellement se passer l’hiver prochain. Le gouvernement doit se mobiliser davantage pour faire de la pédagogie et expliquer aux Français qu’on ne leur coupera pas l’électricité cet hiver, qu’il y a des étapes intermédiaires, être plus précis sur ce qui pourrait se passer et les leviers de sobriété.

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