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Nouvelle ZAD en vue ? Pourquoi Bure devrait échapper à un destin à la NDDL
©AFP

Rebelote ?

La justice a procédé à une nouvelle vague d'arrestation à Bure, site prévu pour le prochain centre d'enfouissement des déchets nucléaires. Une configuration qui ressemble au conflit de Notre-Dame-des-Landes, avec cependant de vraies différences.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Atlantico : La police vient de procéder à une vague d'arrestations à Bure, village de la Meuse qui doit accueillir Cigeo, le centre d'enfouissement des déchets nucléaires, dont la construction est censée commencer en 2019. Les personnes interpellées, des opposants au projet, et la situation rappellent par bien des aspects celle de Notre-Dame-des-Landes. La ténacité des zadistes peut-elle, comme dans le cas de l'aéroport, venir à bout du projet ou enliser son développement ?

Eddy Fougier : Le projet, depuis plus de 20 ans, fait l'objet de contestation d'associations locales, de riverains – peu de riverains cependant, puisqu'il n'y a que 85 habitants à Bure. Mais depuis 2016 surtout, il y a une montée en puissance d'éléments radicaux qui ont pris le dessus sur les associations historiques. Pour une raison assez simple : leurs modes opératoires sont plus efficaces, notamment avec l'occupation d'un lieu spécifique qui s'appelle le Bois Lejuc, qu'ils ont occupé jusqu'au mois de février 2018 puisqu'il y a eu une évacuation. Cela n'était pas forcément un site stratégique aujourd'hui, mais cela pouvait l'être potentiellement pour la construction du site. On observe un peu ce qui s'est passé à Notre-Dame-des-Landes à savoir cette montée en charge de la contestation et des radicaux qui prennent le dessus, avec des actions qui peuvent être assez violente. A Bure, un hôtel restaurant a ouvert, qui a fait l'objet d'une attaque l'an passé avec un début d'incendie. On a alors craint des blessés graves ou même des morts.

Cela ressemble-t-il pour autant à Notre-Dame-des-Landes ? Si on se place du côté du maître d'ouvrage, l'ANGRA (Agence nationale de gestion des déchets radioactifs), ou de l'Etat, ils diront que cela n'a rien à voir. Il y a là évidemment une volonté de ne pas créer de lien entre les deux projets. Ce en quoi ils ont en partie raison, d'abord parce que NDDL avait une vocation régionale quand Bure a une vocation nationale, car on doit y gérer tous les déchets radioactifs les plus dangereux. C'est un enjeu que le gouvernement et l'industrie nucléaire civile considère comme vital. Le gouvernement et l'Ambra n'ont aucun intérêt à mettre les deux lieux au même niveau.

Ensuite, ce qu'on peut observer sur le terrain, c'est que les acteurs de la contestation sont très peu nombreux, à peine plusieurs dizaines installées dans la région et plusieurs centaines pour les grands événements. La question s'était posée après NDDL : les activistes les plus durs de NDDL allaient-ils venir à Bure ? On ne sait pas encore si ce sera le cas. Ce que l'on peut voir, c'est que l'Etat au niveau national ou local, ou la justice à ces deux niveaux ne se comportent pas du tout de la même façon à NDDL et à Bure. A Bure, quand les activistes sont condamnés, se sont généralement des condamnations fermes. La justice procède à des interdictions de territoire, de manifestation, pour certains individus radicaux voire des peines de prison ferme. La justice a donc la main lourde du côté de Bar-Le-Duc alors qu'elle ne l'avait pas nécessairement du côté de NDDL. Même chose pour l'Etat. La préfecture locale et le gouvernement montre aussi plus de fermeté à Bure. J'en veux d'ailleurs pour preuve que l'évacuation du Bois Lejuc s'est faite avant NDDL, tant le gouvernement et l'ANDRA y voit un enjeu national, une priorité nationale. Car c'est l'avenir de l'industrie nucléaire française qui est en jeu. Il ne s'agit pas uniquement de soulager l'aéroport de Nantes-Atlantique. C'est un enjeu plus important et vital pour le pays – pour son indépendance énergétique notamment. D'où cette politique très ferme pour faire en sorte que ne s'installe pas une contestation à NDDL

Quels sont les atouts du gouvernement dans ce conflit en germe ? La vague d'arrestations opérées mercredi peut-elle venir à bout des énergies déployées contre le projet ? Que signifierait un nouvel échec ou la création d'une nouvelle ZAD actif pour le gouvernement ?

Pour le gouvernement, je vous l'ai dit, il y a ce grand enjeu national, mais aussi un vrai enjeu politique. Céder sur Bure après avoir cédé sur NDDL, cela ferait beaucoup. Certains disent que le gouvernement a lâché sur NDDL pour pouvoir rester ferme du côté sur le projet plus prioritaire du Bure. La contestation peut-elle être plus durable et forte ? Il y a des éléments pour et d'autres contre.

D'un côté, avec la fermeture du front écologique radical de NDDL, on peut penser que les éléments les plus actifs vont se rabattre sur Bure. Ensuite, le projet d'enfouissement profond des déchets nucléaires est beaucoup plus anxiogène qu'un aéroport. Là, on peut mobiliser ceux qui ont peur des conditions environnementales et sanitaires du projet, ceux qui se disent que ça va déprimer le marché de l'immobilier local, que les terres agricoles ne seront plus rentables. Cela peut aussi motiver les anti-nucléaires. Je remarque au passage que Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise essaye aujourd'hui de mobiliser sur cette question, et ce d'autant plus que le soutien au nucléaire commence à vaciller dans l'opinion.

Cependant, la configuration du territoire joue contre ce scénario. Bure n'est proche d'aucune grande ville. Et pour avoir des occupants, il faut un espace qui soit favorable. La Loire-Atlantique, c'est génial pour une occupation parce qu'avec un paysage de bocage et de routes qu'on peut couper, des bois, des zones humides, et surtout la proximité d'une ville comme Nantes où il y a une tradition contestataire estudiantine très forte. Beaucoup d'étudiants d'extrême-gauche peuvent venir garnir leurs rangs. A Bure, c'est très différent. La densité de population est très faible. Et c'est d'ailleurs sans doute une des raisons qui a milité en faveur du choix de ce site. Nancy ou Metz sont loin, à une heure et des poussières de voiture, et donc il est plus compliqué d'avoir des "garnisons" d'étudiants d'extrême-gauche. Si vous voulez vous installer, c'est plus compliqué localement, ne serait-ce que pour des questions économiques : il est compliqué d'avoir un travail à mi-temps comme c'est le souvent le temps des personnes qui sont sur les ZAD. Le bassin d'emploi de Bure est très limité et la raison est économiquement sinistrée. Beaucoup d'éléments ne militent pas pour une installation durable d'occupants.

Et, comme je vous l'ai déjà dit, la main du gouvernement, de la préfecture, de la justice est assez ferme dans la région. Autant NDDL donnait l'impression de l'existence d'une sorte de permis d'occuper. Le préfet de Loire-Atlantique avait d'ailleurs dit lors de la première évacuation que les arrestations étaient immédiatement suivies d'un relâche, et les activistes retournaient tout de suite sur la ZAD. A Bure, ce sont des interdictions de territoire, des peines de prison ferme. Il y a eu par exemple cette histoire avec un agriculteur qui avait aidé des militants radicaux avec son tracteur, et qu'on lui a réquisitionné pendant plus d'un an. Ce genre d'actions calme les ardeurs.

Est-ce que les opposants les plus radicaux vont inciter la population locale à agir ? On ne sait pas pour l'instant. Le sujet va-t-il être nationalisé, traité par les grands médias ? Les hommes politiques vont-ils se prononcer sur le sujet ? Le gouvernement va-t-il se diviser sur cette question ? Cela sera-t-il une des questions importantes de la présidentielle de 2022 – moment où la décision du gouvernement devrait intervenir – avec un risque de politisation du sujet ? Tout cela est encore en jeu, en sachant qu'il s'agit de toute façon d'un projet sur le long terme. Et qu'il y a deux interrogations majeures par rapport à ce projet : il doit durer cent ans – et fermer au bout de cent ans ; avec des mandats de cinq ans, cela fait beaucoup de majorités successives qui doivent soutenir le projet ! Et l'autre point faible de ce projet est son coût financier. On parle de 25-35 milliards. Est-ce que ceux qui sont là pour financer le projet (EDF, Orano – ex-Areva) sont vraiment près à le faire ? Ce risque pèse aussi sur le projet.

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