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Nouveau consensus international en faveur de l’Etat activiste + incapacité française à maîtriser les dépenses publiques = promesse d’un désastre tricolore ?
Nouveau consensus international en faveur de l’Etat activiste + incapacité française à maîtriser les dépenses publiques = promesse d’un désastre tricolore ?
©Yoan VALAT / POOL / AFP

Délicate équation

Alors que l’ampleur du plan de relance américain souligne le retour à une vision de l’Etat stratège après des décennies de croyance en la supériorité des marchés, la France sera-t-elle capable de la déployer sans être engloutie par ses pires défauts ?

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : La crise sanitaire semble avoir montré la nécessité d’une plus grande intervention de l’Etat dans l’économie. Les plans de relance américain et européen ont illustré cette tendance. Comment s’est forgé ce consensus international qui semble aller à rebours de la doctrine couramment admise ces dernières décennies ?

Rémi Bourgeot : Face à la pandémie comme dans toute crise majeure, les Etats se sont retrouvés à la manœuvre pour tenter, tant bien que mal, d’endiguer l’effondrement économique et social, en mobilisant des moyens considérables. Sans sous-estimer les bouleversements qu’apporte la crise sanitaire, il convient de peser le contexte de course technologique et de chamboulement industriel dans lequel ils interviennent. La question de la stratégie industrielle est revenue sur le devant de la scène depuis une bonne décennie en réalité, du fait du caractère de plus en plus visible et explosif de la concurrence entre grandes puissances sur le front technologique. Naturellement, la question du rôle de l’Etat a connu des fluctuations majeures depuis les années 1970, mais la réalité ne s’est pas pour autant laissée enfermer dans les tribulations psychiques des économistes. Aux Etats-Unis par exemple, la révolution informatique des quatre dernières décennies a été animée autant par les entreprises (des start-ups aux acteurs industriels historiques) que par les universités et les agences gouvernementales. Les errances politico-économiques n’y ont pas conduit à sacrifier les compétences de pointe, malgré la crise éducative, et quitte aussi à importer les compétences scientifiques manquantes depuis les cinq continents. Le rôle crucial de l’open source illustre encore aujourd’hui la complexité des mécanismes d’avancée technologique dans le secteur, qui relèvent évidemment du marché mais aussi de mécanismes bien plus complexes et plus diffus de coopération entre institutions et individus.

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Derrière le rôle de pompier face à une crise dévastatrice et d’épidémiologistes improvisés pour le meilleur et surtout pour le pire, les gouvernants doivent déterminer la finalité de leur implication historique dans l’activité humaine. La tendance en France consiste traditionnellement à préserver ce qui est en place, tout en abandonnant par exemple les jeunes à leur sort dans les périodes de crise, en simulant par la suite un retour à la normale et en célébrant l’enchaînement quasi-rituel de bulles. L’obsolescence des compétences technologiques est le corollaire de cette approche.

L’implication de l’Etat dans l’économie peut venir alimenter des bureaucraties labyrinthiques et la corruption tout comme elle peut permettre de mobiliser les forces scientifiques et d’innovation. On peut imaginer une faible implication de l’Etat mais un contrôle des milieux issus de la fonction publique sur l’appareil industriel, avec peu d’égard pour l’enjeu de la compréhension scientifique. On peut parler libéralisme et innovation à l’envi tout en souffrant des maux du collectivisme. Il existe en la matière une large palette de maladies économiques et industrielles dans le monde.

Les débats idéologiques à cet égard s’avèrent de peu d’intérêt. Les idéologies politiques des dernières décennies, issues du jargon des sciences sociales, ont eu une fâcheuse tendance à servir des intérêts personnels et à buter sur la question de l’inclusion des compétences réelles, alors même que cet enjeu avait semblé relever de l’évidence, au-delà des clivages, dans l’après-guerre.

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Philippe Crevel : Depuis plusieurs années, les gouvernements, les administrations centrales souhaitaient reprendre la main sur l’économie. En France, l’Etat est devenu de plus en plus présent dans la gestion de la protection sociale. L’assurance maladie, l’assurance vieillesse et l’assurance chômage ont été progressivement étatisées depuis 1995. La montée des idées nationalistes et protectionnistes que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis symbolise cette remontée de l’interventionnisme. Au-delà de cette tendance de fond, les crises permettent à l’Etat de prendre la main et d’accroître sa sphère d’action. Ce fut le cas dans les années 1930 aux Etats-Unis, en 1945 en Europe. La crise sanitaire par son ampleur constitue le terreau idéal pour l’essor de la gestion publique. Cet essor est en outre demandé par des populations qui attendent plus de protection et d’égalité. La peur de l’avenir, la crainte de l’autre sont autant de facteurs appelant à plus d’Etat. Les marchés qui sont des lieux de rencontre de l’offre et de demande sont jugés par un nombre croissant de personnes comme inefficients, sources d’injustices, d’inégalités. Dans les années 1980/2000, ils étaient considérés comme des outils clefs pour une bonne allocation de ressources. Un retour de balancier se fait jour sans pour autant que les gouvernants en tirent profit au vu du niveau de défiance qui est relevé au sein des Etats occidentaux. 

La Cour des Comptes a rendu public un avis qui souligne qu’indépendamment de la pandémie, l’Etat est incapable de maîtriser les dépenses publiques et s’inquiète d’une augmentation durable de ces dernières. Avec une tendance à l’engagement de l’Etat renforcée par le Covid, la France ne risque-t-elle pas de céder à une dépense déraisonnée ?

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Rémi Bourgeot : Nous vivons dans un système économique et financier qui, depuis trois décennies, repose sur l’extension de la dette publique et privée, aliments fondamentaux des marchés de titres, à défaut d’alimenter les gains de productivité (avec un régime de croissance de 1% par an sur le long terme) et l’inclusion des citoyens sur le plan économique. La France s’est investie dans ce système avec un désintérêt sans précédent pour la question technologique et scientifique mêlé de crise éducative d’un côté et, de l’autre, un curieux mélange de libéralisation formelle et d’étatisation réelle. La dépense sociale a - très mal - colmaté les brèches de ce modèle.

Par ailleurs, l’état de crise quasi-permanent a intronisé les banques centrales dans un rôle de pivot de ce système en assurant l’ultra-liquidité des dettes, quitte à les absorber massivement et à alimenter une succession de bulles.

Ainsi, le discours sur la réduction de la dette a cette beauté intemporelle qui permet de faire abstraction d’à peu près tout, du fonctionnement réel des marchés financiers aux déséquilibres commerciaux en passant par une pandémie mondiale. La véritable question reste celle de notre modèle productif et en particulier de notre positionnement technologique. La compréhension des sources de notre déficit commercial est plus cruciale que la dérive budgétaire. Et les perspectives y sont tout aussi préoccupantes puisque le secteur aéronautique apportait à la France avant la pandémie un surplus de 31 milliards d’euros face à un déficit commercial général de près de 60 milliards d’euros.

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Les grandes puissances que sont les Etats-Unis ou la Chine sont toutes deux ultra-endettées (si l’on prend évidemment la peine de prendre en compte la dette privée dans le second cas) et dansent au pied d’un volcan financier. Mais elles sont positionnées de façon claire, chacune à sa façon très différente, dans la compétition technologique mondiale.

Philippe Crevel : Depuis quarante ans, les administrations publiques accumulent les déficits pour compenser la baisse de la croissance et de la productivité face à une population avide de protection. La France dispose du système d’Etat providence le plus important de l’OCDE et de la population la plus défiante, convaincue que les inégalités ne cessent d’augmenter. L’argent public ne rend pas heureux…. Il y a néanmoins un consensus mou, par défaut, sur un toujours plus de dépenses publiques en France. Si une majorité de la population estime que les prélèvements obligatoires sont trop élevés, nul ne souhaite remettre en cause un euro de dépenses, sauf celles dont bénéficient son voisin. La crise de la covid-19 entraîne une nouvelle surenchère d’aides, de subventions, d’augmentation de salaires dans la fonction publique dont certaines sont bien évidemment légitimes. Le problème est que l’Etat ne sait pas facilement dire non et que les mots « économie et redéploiement » sont inconnus du dictionnaire de la gestion publique. Au sein de l’opinion publique, l’idée que l’Etat est un puit sans fond, que la dette publique pourrait être effacée est largement partagé. En sortie de crise, la multiplication des revendications en pleine période électorale risque évidemment par crée un effet boule de neige qui dans l’histoire se termine toujours mal. 

Quelles solutions pourrait-on mettre en place pour un meilleur contrôle de la dépense publique ? Le parlement a-t-il son rôle à jouer ?

Rémi Bourgeot : La meilleure recette pour le contrôle de la dépense publique reste un système économique équilibré, permettant l’inclusion des compétences humaines et l’avancement technologique. A cet égard la crise industrielle et éducative que nous traversons est de la première importance. Il est impératif de réconcilier notre modèle économique avec une remontée du niveau intellectuel et technologique. L’automation en fait partie. La Corée du sud est un des tout premiers champions mondiaux de la robotisation et avait atteint le plein emploi avant la pandémie. Sa dette publique était alors autour de 40% du PIB. Il n’existe pas de solution à nos maux économique qui puisse passer par un affaiblissement supplémentaire de notre appareil productif, de notre niveau de compétences technologiques ou de notre tissu social. La dette n’est qu’un élément dans cette équation bien plus complexe mais aussi plus stimulante.

Philippe Crevel : En 1993, Philippe Seguin, Président de l’Assemblée nationale appuyé par Charles Million, Président du Groupe UDF, avaient souhaité créer une agence budgétaire placé auprès du parlement afin de doter ce dernier des moyens de contrôler et d’élaborer un contre projet de finances. Face aux réactions négatives de Bercy et de l’Elysée, ce projet est resté lettre morte. Il pourrait être utilement repris. Je ne suis pas certain que cela soit suffisant pour empêcher une plongée dans les abysses du déficit français. Il faudrait un électrochoc pour faire comprendre que la socialisation de la création de richesses, que la socialisation des revenus est une voie sans issue pour la France et les Français qui mènent à un déclin qui dans les faits a déjà commencé. L’écart de niveau de vie des Français avec les Allemands ou les Américains s’est accru depuis l’an 2000. Avec la crise sanitaire, les Français ont découvert que le système français est à bout de souffle. Ils ne sont pas prêts à admettre que c’est le côté tout secteur public qui pose un problème. Il y a encore un fort courant pour aller encore plus loin. Il faudra certainement une forte crise afin que les représentants de la Nation prenne la conscience de changer de modèle pour redresser la France. 

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