Normes de qualité de l’eau : quand Le Monde verse dans un discret complotisme <!-- --> | Atlantico.fr
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Un récent article publié par Le Monde remet en cause deux avis de l’ANSES concernant les normes autour de la qualité de l’eau.
Un récent article publié par Le Monde remet en cause deux avis de l’ANSES concernant les normes autour de la qualité de l’eau.
©FRANCK FIFE / AFP

Rigueur scientifique

Le service scientifique du quotidien est notoirement acquis à des activistes qui se moquent de la rigueur scientifique. Un nouvel exemple vient de nous en être donné.

Antony Fastier

Antony Fastier

Antony Fastier est toxicologue d’une entreprise d’agrochimie, Président de l’AFIS Lyon.

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Atlantico : Un récent article publié par Le Monde remet en cause deux avis récents de l’ANSES concernant les normes autour de la qualité de l’eau et le Métolachlore en se basant sur l'analyse de Générations Futures, dénonçant un tour de passe-passe pour rehausser les normes. Qu’en est-il réellement ? Cette amélioration des normes est-elle scientifiquement justifiée ?

Antony Fastier : Qu’en est-il réellement ? Ce n’est pas un tour de passe-passe, juste peut être un tour de mentaliste… D’une part ce ne sont pas des normes au sens strict mais des valeurs maximales dans les eaux souterraines. Ces valeurs proviennent de l’application d’un document guide européen datant des années 2000, donc ce n’est pas bien nouveau. Voici le document guide en question remis à jour en 2021 pour tenir compte de la classification CLP.

Dans ce document guide 221/2000, il est question de l’évaluation des métabolites de substance actives présents dans les eaux souterraines (considérées comme eaux de boisson). Le document est assez complexe mais il y a un consensus européen dans la manière de l’interpréter.

Je résume ici l’évaluation toxicologique des métabolites dans les eaux souterraines.

Déjà il faut savoir que la limite maximum d’une substance active dans les eaux souterraines est de 0.1 microgramme par litre quelle que soit la substance. Ce n’est pas une valeur toxicologique, si la valeur dépasse 0.1 il n’y a pas forcement des risques pour le consommateur, c’est une valeur qui reflète la qualité de l’eau, le 0.1 a été fixé sur les capacités analytiques de l’époque (limite de quantification). 

Les substances actives en pénétrant dans le sol peuvent être transformées en métabolites. L’évaluation de ces métabolites est donc nécessaire car ils se retrouvent potentiellement dans les eaux souterraines. Le document guide 221/2000 nous donne les principes de cette évaluation.

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Pour la partie toxicologique sur la santé humaine, l’interprétation est la suivante : 

1 – s’il n’y a aucune donnée sur le métabolite, il est supposé avoir les mêmes propriétés toxicologiques que la molécule mère, le « parent », la limite dans les eaux souterraines sera de 0.1 microgramme par litres comme toutes les substances actives. Rappel : ce n’est pas une valeur toxicologique mais une valeur qui reflète la qualité de l’eau. 

2- si la valeur de 0.1 est dépassée pour un métabolite, le risque est considéré inacceptable, il est alors possible de fournir des études pour faire une évaluation du risque basée sur des valeurs toxicologiques plutôt que de prendre cette valeur de 0.1 par défaut. 

3- la première étape est de déterminer si le métabolite est génotoxique ou non (toxicité au niveaux des gênes/ADN).Une série de tests doit être réalisée pour démontrer que le substance n’est pas génotoxique. Si ces tests sont négatifs, le métabolite est considéré comme non génotoxique et le seuil acceptable dans les eaux souterraines est alors de 0.75 microgrammes par litre. Pourquoi 0.75 microgrammes par litre ? Cette valeur provient de l’application du principe TTC (threshold of Toxicological concern), en français seuil toxicologique préoccupant. Ce principe ne sera pas développé en détail ici, ce qu’il faut savoir c’est qu’il s’applique à toutes les substances chimiques (sauf quelques exceptions bien connues). Il donne des seuils en dessous desquels les substances n’auront pas d’effets délétères sur la santé humaine. Pour une substance non génotoxique le seuil est de 0.75 microgrammes par litre, valeur reprise dans le document 221/2000.

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4-Si la valeur dans les eaux souterraine excède ce seuil de 0.75, il est possible d’affiner l’évaluation des risques en tenant compte des propriétés toxicologiques du métabolite (autres que sa génotoxicité). Il faut d’une part montrer que le métabolite ne partage pas les propriétés toxiques du parent si celui-ci est classé Cancérigène, Mutagène ou toxique pour la Reproduction et d’autre part que sa dose journalière acceptable (DJA) est supérieure aux doses estimées dans les eaux souterraines. Pour cela il peut être réalisé des études mécanistiques pour montrer que le métabolite est diffèrent du parent considérant ses propriétés CMR et une étude par voie répétée chez le rat afin de déterminer une DJA. La concentration de métabolite atteinte dans les eaux souterraines est alors comparée à cette DJA, s’il est inferieur, le risque est considéré acceptable.

5-Concernant le métabolite et sa toxicité, il est possible de déterminer une valeur maximale à ne pas atteindre pour avoir un risque acceptable dans les eaux souterraines, cette valeur est appelée Vmax.

C’est l’application du document guide 221/2000 qui permet de « rehausser » les seuils des deux métabolites étudiés par l’ANSES cités dans cette publication du monde. L’industriel a donc fourni de nouvelles études (a minima des études de génotoxicité et une étude par voie répétée chez le rat), évaluées par l’ANSES, et qui permettent une évaluation du risque avec des valeurs toxiques de référence plus réalistes que la valeur de 0.1 appliqué en l’absence d’études. Ce n’est donc pas un tour de passe-passe mais une évaluation du risque en bonne et due forme.

La Vmax obtenue n’est pas une norme au sens stricte mais une Valeur Toxicologique de Référence qui prend en compte les propriétés des métabolites. Scientifiquement elle est plus acceptable que la valeur par défaut de 0.1 qui est basée sur une norme sanitaire.

Le document guide 221/2000 ainsi que l’approche TTC sont reconnus dans l’Europe entière et par l’EFSA.

Cette étude parle de l’impact sur plusieurs millions de personnes mais que nous dit réellement l' Anses sur la qualité de l'eau ? Quelle est-elle à l’échelle nationale ?

L’ANSES dit que la présence de deux métabolites dans les eaux souterraines (considérées comme des eaux de boisson) engendre un risque acceptable pour le consommateur aux niveaux de dose retrouvés. Ceci s’applique au niveau national car l’estimation de  la concentration des métabolites est réalisé avec des modèles et des paramètres nationaux. Contrairement à la toxicité des métabolites qui elle s’applique au niveau européen.

Le Monde est-il coutumier de ce genre de raccourcis dans ses pages sciences ? Est-ce parce qu'il est trop acquis à des activistes sur le sujet ?

Le Monde, et Foucart en particulier, est familier de ce genre de reprise de publication de GF (Générations Futures) dans ses articles, sans avoir, je l’espère, le niveau scientifique de vérifier les interprétations de GF. Cela fait bien 10 ans que ça dure, je voyais déjà ce genre d’articles publiés il y a plus de huit ans quand j’étais chef de l’unité toxicologique des produits règlementés à l’ANSES. 

C’est un journaliste militant, habitué au cherry picking très proche des milieux écologistes. Si le conflit d’intérêt intellectuel était reconnu, il serait en conflit d’intérêt  pour une grande majorité de ses articles. Il publie des articles à charge contre les firmes et les produits phytos et va même plus loin en critiquant ouvertement le système d’évaluation européen (EFSA) et français (ANSES). En collaboration avec sa collègue Stephane Horel, il traque le moindre lien d’intérêt des experts sollicités par l’ANSES et l’EFSA. Et régulièrement confondent lien et conflit d’intérêt, on peut dire volontairement.  

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