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Sans renouveau industriel, l'économie française est condamnée au déclin et la France avec elle
Sans renouveau industriel, l'économie française est condamnée au déclin et la France avec elle
©Reuters

Bonnes feuilles

Sans renouveau industriel, l'économie française est condamnée au déclin et la France avec elle. Au-delà de cette conviction, il est temps de proposer une stratégie de reconquête industrielle, s'appuyant sur les points forts du "made in France". Extrait de "L’industrie France décomplexée" (2/2).

Max Blanchet

Max Blanchet

Max Blanchet, consultant senior partner chez Roland Berger Paris, a plus de 20 ans d'expérience dans le domaine du conseil stratégique aux directions générales, notamment dans le secteur industriel.

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La France a- t-elle vraiment besoin d’une industrie forte ? Ne pourrait- elle pas se contenter d’activité de services, notamment ceux à valeur ajoutée, et conserver une vingtaine de grandes entreprises industrielles mondiales s’appuyant sur des pôles de compétence répartis dans le monde ? Plusieurs raisons nous convainquent que conserver une industrie forte est nécessaire pour la France, mais aussi pour préserver l’unité européenne.

Tout d’abord, l’affaiblissement de l’industrie implique un affaiblissement de la balance commerciale, car seule l’industrie est réellement exportatrice. La corrélation du taux d’industrialisation avec la balance commerciale est frappante1. Le déficit commercial de la France est en grande partie celui de l’industrie (– 92 milliards d’euros). Même en isolant l’effet du renchérissement des produits pétroliers importés, le déficit des biens industriels s’est fortement dégradé depuis 10 ans, passant d’un solde de + 12 milliards d’euros à un solde de – 23 milliards en 2010. Nous consommons davantage de produits fabriqués par d’autres, ce qui crée, à terme, un problème d’emploi national : un chômage élevé mais aussi des jeunes diplômés qui partent travailler à l’étranger, notamment en Allemagne, qui attire les jeunes de tous les pays désindustrialisés…

Ensuite, l’affaiblissement de l’industrie induit inexorablement un affaiblissement de la R&D. Il y a toute une chaîne de proximité entre la production, l’industrialisation (autrefois appelé les méthodes), le développement (conception des produits et des procédés) et la recherche. Si les usines de production quittent le territoire, elles entrainent avec elles, petit à petit, les compétences d’industrialisation, puis celles du développement puis, à terme, celles de recherche. Tout est lié, et c’est pour cela que la meilleure configuration est souvent celle où tout est localisé au même endroit. Dans le même temps, cette chaîne des compétences se recrée à l’endroit où l’usine a été déplacée. Conserver la production est donc nécessaire pour conserver l’ensemble des compétences essentielles à l’industrie. Cette logique simple tue l’idée même d’une industrie « fabless », idée un temps à la mode consistant à penser qu’un modèle d’entreprise sans usine (où la production serait complètement externalisée à des sous- traitants délocalisés) pourrait fonctionner. D’ailleurs, les seuls modèles « fabless » couronnés de succès reposent sur une poignée d’entreprises dans des secteurs aux évolutions technologiques extrêmement rapides, comme Apple ou Technicolor (l ’ancien fabricant de télévisions Thomson). L’iPhone est le contre- exemple qui confirme la règle. Conçu dans la Silicon Valley, il est entièrement fabriqué en Asie, dans les usines de Foxconn, qui maîtrise finalement tout le savoir- faire technologique de ce produit. Ce modèle fabless pour Apple tient exclusivement à l’extraordinaire maîtrise du marketing produit, du logiciel et des services. Ces entreprises deviennent d’ailleurs progressivement des sociétés de services (la musique, les livres et les films en ligne pour Apple, service à la création cinématographique pour Technicolor). Comme son nom l’indique, le modèle « fabless » est un modèle de services, mais pas d’industrie ! D’ailleurs, certains services deviennent même industriels comme Google avec ses fermes de serveurs aussi intenses en énergie qu’une usine électrointensive, ou comme Microsoft qui vient de racheter le fabricant de téléphone Nokia.

Autre argument fort en faveur d’une industrie forte : elle draine beaucoup plus d’emplois qualifiés que dans les services intensifs en main- d’oeuvre. Non pas que les activités de services ne comptent pas d’emplois qualifiés, elles en ont parfois beaucoup plus que dans l’industrie. Mais les ratios de la pyramide ne sont pas les mêmes. En moyenne, un îlot de production d’une usine d’assemblage comprend ainsi un poste qualifié pour moins d’une dizaine d’emplois moins qualifiés, et, en comptant les fonctions supports de méthodes, qualité, maintenance, le ratio atteint quasiment le un pour un. Dans la production de services à forte intensité de maind’oeuvre comme les parcs de loisirs, les magasins commerciaux ou les services logistiques, le nombre d’emplois peu qualifiés par emploi qualifié est très supérieur. En haut de la pyramide, les services concentrent en outre un nombre très élevé d’emplois très qualifiés (engineering, conseil, informatique, étude, etc.), bien supérieur à ce que l’on observe dans l’industrie. La perte de l’industrie crée donc une polarisation de la société et des emplois et provoque l’effondrement de la classe moyenne et des salaires médians. C’est « l’effet sablier ». On constate ce phénomène en France depuis 10 ans avec la polarisation du pouvoir d’achat. À l’inverse, la constitution d’une classe moyenne dans les pays émergents est totalement liée à leur industrialisation. C’est essentiel pour ces pays qui ont éduqué leur jeunesse et qui doivent lui trouver du travail. Certes, certains pays développés n’ont pas d’industrie, mais ce sont de petits pays, pour lesquels le problème de constitution d’une classe moyenne n’est pas critique. C’est le cas de Singapour ou de Hong- Kong, dont les positions stratégiques leur permettent d’être des plateformes mondiales de capitaux, de flux et de produits. Peu d’endroits au monde peuvent bénéficier d’un tel avantage.

Enfin, l’affaiblissement de l’industrie a une conséquence importante pour l’Europe, en clivant les intérêts entre les pays à industrie forte et à industrie faible. Les pays à industrie forte sont dépendants de leurs exportations et sont disposés à ouvrir les frontières et à favoriser les échanges commerciaux avec les pays émergents. Au contraire, les pays à industrie faible sont plutôt enclins à mettre des barrières, afin de se protéger. On le voit bien avec l’Allemagne, plus fortement impactée que la France lors de la crise mondiale de 2009, combinant un ralentissement national mais, aussi, un ralentissement dans les pays émergents. La France a été plus résiliente, grâce à son économie reposant davantage sur sa demande intérieure.

À une échelle plus sectorielle, on peut constater que le libre échange avec la Corée, par exemple, a immédiatement profité à Hyundai, qui a davantage pris des parts de marchés aux constructeurs français ou italiens qu’aux constructeurs allemands. Il a aussi largement profité à Angela Merkel ! En effet, en autorisant les importations de panneaux photovoltaïques venus de Chine, elle a accepté de pénaliser les acteurs européens. Cependant, compte tenu du fait que les machines de production de ces panneaux sont produites en Allemagne, le coût complet d’un panneau photovoltaïque installé outre- Rhin constitue une valeur ajoutée pour Allemagne (la part de l’assemblage étant finalement très faible). On voit bien que ce clivage européen concernant l’industrie peut réellement être très pénalisant à terme pour la cohésion de l’Europe et aboutir à une scission telle que celle évoquée dans notre scénario intitulé « le chemin du déclin ». Force est de constater que l’importance, le poids politique d’un pays, son rôle dans les instances mondiales sont liés à la force de son industrie. Sans industrie, la France se fermerait donc l’accès à la scène internationale.

Extrait de "L’industrie France décomplexée - choisir nos batailles et créer un modèle industriel à la française", Max Blanchet, (Editions Lignes de Repères), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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