Non-cumul des mandats : pourquoi les sénateurs envoient un signal désastreux... tout en ayant raison sur le fond<!-- --> | Atlantico.fr
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Les sénateurs sont désignés par les élus locaux, au nombre de 500 000 en France.
Les sénateurs sont désignés par les élus locaux, au nombre de 500 000 en France.
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Contre-vérité

En s'excluant de la loi sur le non-cumul des mandats, les sénateurs français envoient un signal terrible au peuple français, celui de privilégiés qui se protègent. Pourtant, leur nomination par des élus locaux rend, entre autres, légitime cette différenciation.

Maxime  Tandonnet et Sylvain Saligari

Maxime Tandonnet et Sylvain Saligari

Maxime Tandonnet est un haut fonctionnaire français, qui a été conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions relatives à l’immigration, l’intégration des populations d’origine étrangère, ainsi que les sujets relatifs au ministère de l’Intérieur.

Il commente l'actualité sur son blog personnel.

Sylvain Saligari est avocat au barreau de Paris. Il est spécialisé dans le droit d'asile.

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Atlantico : Les sénateurs ont refusé de se voir appliquer le projet de non-cumul des mandats en adoptant ce jeudi la loi avec des amendements leur laissant la possibilité de garder un mandat local. Au sein même du groupe PS, 51 sénateurs ont voté contre ces amendements, suivant l'avis du gouvernement, et 25 pour, conformément à la position de leur président François Rebsamen qui a toujours défendu une différenciation pour les sénateurs. Sur le plan du symbole, que pensez-de ce vote ? Les sénateurs donnent-ils, une nouvelle fois, une mauvaise image des élus ?

Maxime Tandonnet : Ce  vote peut en effet donner un sentiment étrange. Il paraît se rattacher à un mode de comportement classique dans la vie politique, notamment les milieux socialisants. Il fait bon de proclamer des beaux principes mais ces derniers ne s’appliquent qu’aux autres et pas à soi-même. Ce vote semble être dans une logique de défense des droits acquis et rentes de situation et de privilèges. Il peut paraître incohérent : soit l’interdiction du cumul des mandats est nécessaire pour tout le monde, soit elle ne l’est pour personne. On ne voit pas où les sénateurs veulent en venir… Le vote de cet amendement donne une mauvaise image du monde parlementaire, accusé de défendre ses avantages, notamment sur les retraites, et qui n’avait pas besoin de cette polémique.

Sur le fond, peut-on néanmoins considérer que la réaction des sénateurs est légitime ?

L’article 24 de la Constitution prévoit que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Les sénateurs sont désignés par les élus locaux, au nombre de 500 000 en France. Le lien entre le Sénat et les collectivités territoriales est donc très fort. Il y a donc une certaine logique, sur le fond, à autoriser un sénateur à être aussi président d’un exécutif, maire ou président de conseil régional ou départemental. En effet, on ne représente bien que ce que l’on connaît et vit au quotidien. Cependant, la différence de traitement avec les députés reste posée. Les membres de l’Assemblée nationale sont eux aussi des hommes de terrain, qui connaissent le pays et ses compatriotes à travers leur mandat de maire. Couper les députés de leurs racines locales soulève des questions car en tant qu’élus locaux, ils vivent les problèmes des citoyens au jour le jour. Les citoyens viennent les voir en tant que maire pour parler de leurs problèmes quotidiens sur la sécurité, le chômage, le logement, les places de crèche, la pauvreté. Cette connaissance de la réalité locale est une richesse pour le député qui représente la Nation.

Mais alors, faut-il laisser les choses en l’état ?

Je suis de l’avis que l’interdiction du cumul entre un mandat parlementaire et une fonction d’exécutif local ne va pas dans la bonne direction. Elle risque de créer des parlementaires éthérés, éloignés des considérations de terrain et des préoccupations des citoyens, qu’ils soient sénateurs ou députés, peu importe... La véritable question, le sujet de fond, c’est le cumul des mandats dans le temps. Pourquoi le président de la République ne peut-il être élu que deux fois alors que le mandat parlementaire est indéfiniment reconductible ? On favorise par là les chasses-gardées, les féodalités, les phénomènes de caste. Une limitation du nombre de mandats parlementaires – au maximum deux réélections consécutives – favoriserait la respiration et le renouvellement de la vie politique. Mais le sujet est infiniment plus sensible car là, on toucherait de plein fouet aux intérêts des grands élus nationaux qui peuvent accepter à la rigueur de délaisser un poste de maire, parfois en le confiant à un proche, mais pas à leur mandat national, qui est le socle de leur carrière. La vraie révolution ce serait celle-là !

L'utilité du Sénat est souvent remise en cause. Quel est exactement son rôle aujourd'hui ?

En principe, le Sénat élu au suffrage universel indirect, exprime la modération, la sagesse, le compromis. Il est censé être plus technique que l’Assemblée nationale. Dans les faits, il se montre souvent plus conservateur et indépendant qu’elle vis-à-vis du gouvernement. Son pouvoir est surtout de modération ou de blocage par rapport aux réformes. Il a été créé en 1875 dans ce but : favoriser la conservation. Son rôle ne va pas dans le sens de la dynamique et du mouvement. Dans une période marquée par les innombrables difficultés à gouverner et à changer le pays, il peut donc apparaître parfois comme plutôt négatif. Le Général de Gaulle a démissionné le 27 avril 1969 à la suite de la victoire du « non » à son référendum dont l’objectif était la régionalisation et la quasi suppression du Sénat. Il faut surtout éviter de rouvrir un débat qui a déchiré le pays et ne déboucherait sur rien. Cependant le Sénat ne doit pas être sanctuarisé dans la réforme des institutions. Son rajeunissement, sa modernisation et sa démocratisation passent notamment par la limitation du cumul des mandats de sénateur dans le temps. 

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