Nombre de prévisionnistes pensent que le 2e semestre 2023 sera meilleur que le 1er, voilà pourquoi ça pourrait bien être l’inverse<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Des billets en euros présentés par la Banque centrale européenne.
Des billets en euros présentés par la Banque centrale européenne.
©Arne Dedert / dpa / AFP

Manger notre pain blanc

L'année 2023 pourrait être marquée en Europe par les effets croissants des hausses de taux d’intérêt fautives de 2022 et par le retour de la vulnérabilité énergétique.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

Voir la bio »

Avant de commettre quelques tentatives au sujet de 2023, il faut revenir sur cette lamentable année 2022 qui a vu la FED nous tabasser comme des enfants martyrs :

Bilan 2022

D’abord, s’il y avait encore le moindre doute, on a bien vu en 2022 que l’économie et la finance sont dominées par un acteur particulier, discrétionnaire en diable, dernier détenteur d’un pouvoir régalien, souverain (en dehors de la situation d’un conflit nucléaire) : le banquier central. Cet acteur fait ce qu’il veut et ce n’est pas rassurant puisqu’il n’existe pratiquement plus de spécialistes en politique monétaire au sein du board de la FED (il n’y en en jamais eu beaucoup au sein du comité de la BCE). Quand des bureaucrates indépendants avant tout soucieux de leur réputation se mettent à suivre de mauvaises mesures de l’inflation (et regardent dans le rétroviseur des glissements annuels), quand l’autre branche des politiques économiques (la politique budgétaire) fait souvent l’inverse au même moment à grands coups de méga-plans, et quand tout ce beau monde est très influencé par le lobby bancaire (dont toute l’obsession depuis des années est la remontée des taux d’intérêt pour maximiser ses profits de court terme, au nom de la « lutte contre les bulles » bien entendu), cela donne un cocktail étonnant mais qui ne devrait plus nous étonner (on l’avait déjà vu en 1931, en 1982, en 2008,…). Comme Rudiger Dornbush le disait, aucun des cycles d’affaires n’est mort de mort naturelle : tous ont été assassinés par la FED, au prétexte de l’inflation. Donc, pour diffracter le blâme, la FED a provoqué un « appel de marges global » et les autres banques centrales ont du suivre, et nous allons le payer, en 2023 et 2024. Ces plaisirs violents ont des fins violentes.

Ensuite, et là encore il fallait être très distrait pour ne pas le savoir avant 2022, c’est Washington qui impose l’agenda : les USA ont le hard power, le soft power (la narration), et la monnaie mondiale. On le voit bien sur les marchés au quotidien, et avec leur droit extraterritorial, et avec leur façon de revisiter l’histoire, et avec leurs intrusions tous azimuts ; mais prenez aussi l’affaire Ukrainienne. Le même eurocrate qui aurait affirmé il y a encore 12 mois (dans le consensus le plus total) que l’Ukraine est l’un des pays les plus corrompus au monde (chose bien documentée), largement dans la sphère russe sur une base historique, et certainement pas digne d’appartenir un jour ni à l’UE ni à l’OTAN (ne serait-ce que pour notre survie), vous dira aujourd’hui que Kiev est l’avant-garde de la démocratie et de l’Occident, et que super-résistant Zelensky mérite notre soutien pérenne (même pour regagner une Crimée qui n’a jamais été peuplée d’ukrainiens). Pourquoi pas, je n’ai rien contre les changements, mêmes rapides ; mais je voudrais être bien sûr qu’il s’agit là d’un choix européen, avec une pleine conscience des enjeux géopolitiques et économiques pour nous, et pas d’une entreprise US sur un grand échiquier où nous finirons par payer le gros de l’addition (un tas de ruines à nos portes, des armes en circulation, des tonnes de ressentiments) tandis que Washington sera déjà passé à un autre dossier. Je vois peut-être le mal partout mais, s’agissant d’un pays qui a dépensé 10 trillions en 18 ans pour remplacer des talibans par des talibans, je reste sceptique. Même remarque à propos de la propagande antichinoise, qui peut se comprendre à la rigueur dans la stratégie US globale de containment, mais qui n’est certainement pas dans notre intérêt (et non, je ne suis pas un communiste infiltré, payé par Pékin) ; ce qui m’amène au point suivant, et à un mea culpa :          

Les autorités chinoises m’ont déçu. C’est rare, le plus souvent elles sont anti-cycliques, utilitaristes et malines, elles ridiculisent les critiques occidentales ; mais dans cette affaire de Covid elles ont été en 2022 plus que zélées et antilibérales : idiotes. Il est vrai que depuis quelques jours c’est la réouverture, et il est vrai que les occidentaux en profitent (après avoir justement dénoncé le maintien du confinement) pour alimenter la crainte du retour des méchants touristes chinois gorgés de virus mutants. Mais désormais Pékin ne mérite probablement plus un soutien massif : je suis toujours persuadé que la croissance autour de 5%/an va revenir, je suis toujours dans l’idée que les classes d’actifs s’ouvrent dans une monnaie forte, mais mon enthousiasme pro-chine ne reviendra pas avant quelques initiatives fortes de libéralisation de la part de Xi.    

En bref l’année 2022 a été décevante, même si le vers était déjà dans le fruit. Seule SpaceX délivre autre chose que de la communication, avec 60 lancements réussis sur 60 en un an, et Tesla avec sa croissance organique à près de 50%/an. La croissance au sens macro en Occident n’a égalé que l’acquis de croissance calculé à la fin janvier, elle s’est arrêté partout vers février ; les marchés (actions + obligations) n’ont connu sur un siècle que deux années pires (1931 et 1969) ce qui fleure bon le sabotage de la part de banquiers centraux (qui se croient pourtant très supérieurs à ceux de 1931 et de 1969) ; et puis bien entendu l’année a été calamiteuse pour nos libertés, notre école et nos hôpitaux, mais c’est comme ça chaque année.

Perspectives 2023

D’abord un petit mot en ce début de mois de janvier pour ces pauvres croates. Tout le monde leur est passé dessus, puis il y a eu la Yougoslavie, puis des défaites dans les dernières phases des coupes du monde, et maintenant l’entrée dans la zone euro, autrement dit la fin de la croissance. Il y a comme ça des pays qui sont un peu maudits, alors une petite pensée pour eux.

Ensuite il faut se mouiller. Dire quelque chose pour 2023 qui sort du consensus mou. Il se trouve que ce dernier peut être résumé de la manière suivante, du moins sur les marchés : le 1er semestre est celui de tous les dangers, mais cela devrait aller mieux dans le 2e, progressivement. Je crois très précisément le contraire. Dans les prochains mois nous ne serons pas encore complètement atteints par le resserrement monétaire en cours ; ces choses prennent du temps, sur le marché de l’emploi comme sur le marché immobilier, d’autant qu’il existait de nombreuses pénuries il y a encore peu de temps. De plus nous sommes soutenus à très court terme par le rebond chinois (il est vrai qu’il faut le payer par la non-chute des prix des matières premières, on ne peut pas tout avoir), et il me semble que les marchés peuvent reprendre des couleurs, les investisseurs institutionnels sont bourrés de cash et il y a de la place pour une décrue des taux d’intérêt et un réveil des actions technos (à 120 dollars, Tesla est donnée). Par contre je suis plus sceptique sur le 2e semestre, puis sur le début 2024, a fortiori en Europe où le cycle est en retard et où les paramètres bougent moins vite : effets croissants des hausses de taux d’intérêt fautives de 2022, et boucles de rétroaction négatives avec le retour de la vulnérabilité énergétique, sur fond de potentiel très faible, de remboursement des PGE, etc. Mon scénario : quelques gains immédiats résiduels, puis un long désert des Tartares. Sur les actions, cela implique : se concentrer sur quelques convictions fortes, car les indices larges ne donneront probablement pas grand-chose en dehors de l’Asie.            

Et la France, me direz-vous ? Elle ne compte plus, donc je fais court. Quand on crame des centaines de milliards, on doit en trouver 9 pour garder la face : c’est la « réforme des retraites ». Quand on s’est fait le toutou de l’Allemagne, on ne peut plus guère la critiquer même quand elle dérape, et même quand elle cherche à nous détruire par ses choix énergétiques et monétaires : c’est l’enterrement d’EDF, et la hausse des taux décidée par Christine Lagarde (mais il est vrai qu’elle a surement cherché à retarder et à limiter le mouvement). Il n’y pas eu de vraies élections en 2022. Peut-être est-il trop tard pour un réveil, ou peut-être faudra-t-il des coupures de courant importantes à l’hiver 2023-2024. Heureusement tout cela se terminera très mal. On en est à un stade de mollesse et de procrastination où il faut vraiment que les élites aient le couteau sous la gorge pour qu’elles réagissent, pour que le pays lance enfin un programme d’énergies non-intermittentes, pour que le pays reprenne le contrôle des flux de l’immigration, et pour qu’il se comporte enfin en actionnaire de la BCE et non en usager.       

En bref, il est probable que les historiens du futur ne retiendront de 2023 que ce qu’ils ont retenu de 2021, 2022, etc. C'est-à-dire : moins je l’espère les péripéties de court terme pénibles et/ou surestimées (Covid, FED, Ukraine) que les grands axes structurants. La montée continue du capital humain en Chine, la poursuite de l’effacement de l’Europe. La montée du capital immatériel (lire le bon texte récent de Varoufakis sur le capital-cloud et les techno-fiefs, à propos de Twitter : qui vaut mieux que les dizaines de textes des journaleux du Monde au même moment). Les progrès de SpaceX, avec bientôt la grande fusée pour Mars, du côté de Boca Chica.

Ironie cruelle de l’histoire : le Vieux Continent fan de Gretha Tunberg se chauffe en partie cet hiver grâce au gaz de schiste texan (horresco referens), et dépendra dès 2023 d’une firme privée texane (dirigée par l’ennemi intime de nos chers journalistes subventionnés) pour lancer ses satellites, vu qu’Ariane 6 n’est pas prête du tout ; c’est la grande classe. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !