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Nicolas Sarkozy : les racines de l’aversion
©REUTERS/Jean-Paul Pelissier

Mais pourquoi tant de haine ?

Souvent critiqué à gauche comme à droite, Nicolas Sarkozy cristallise de nombreuses tensions. Que ce soit par son positionnement politique ou par sa pratique du pouvoir qui tranche avec l’héritage monarchique de la France, l’homme ne laisse pas indifférent.

Georges-Marc Benamou

Georges-Marc Benamou

Georges-Marc Benamou est producteur de cinéma et journaliste. Ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, il est notamment l'auteur de Comédie française: Choses vues au coeur du pouvoir (octobre 2014, Fayard), ainsi que de "Dites-leur que je ne suis pas le diable" (janvier 2016, Plon).

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Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Atlantico : Peut-on dire que Nicolas Sarkozy concentre sur lui un double mécontentement, dans le sens où il effraye à sa gauche par ses prises de position droitière, mais ne convainc pas dans le même temps sa droite qui ne le croit pas sincère dans cette évolution de sa ligne politique ?

Georges-Marc Benamou : En effet, le vrai problème de Nicolas Sarkoz est de choisir un cap, une cohérence idéologique et de s’y tenir. Or, on a le sentiment que depuis son retour à la tête de l’UMP et des Républicains, il tâtonne en donnant deux coups à droite et un coup à gauche. Cette position erratique inquiète et ne rassure pas. Il manque d’une matrice et d’un contenu. Il s’est aliéné à la fois l’aile droite de son parti en vidant Madame Morano et l’aile gauche avec l’épisode Nathalie Kosciusko-Morizet. Avec cette méthode par à-coups, par affectivité, il est en train de tomber dans le piège sur lequel l’avaient mis en garde un certain nombre de ses amis, qui est de reprendre la tête d’un parti politique et de se perdre dans les différents mouvements de ce parti.

Ce flou politique fait-il que Nicolas Sarkozy a perdu aujourd’hui du crédit ? Est-il encore crédible et sincère aux yeux des Français ?

Georges-Marc Benamou : Il traverse bien sûr une crise de crédibilité, mais qui est aussi due aux manœuvres tactiques assez machiavéliennes de François Hollande qui finalement l’a pris en étau au moment des attentats dans une situation où n’existaient que lui et Marine Le Pen. En reprenant les propositions de Nicolas Sarkozy, il l’a étouffé. Mais en même temps, la messe n’est pas dite.

Comment expliquez-vous la mauvaise image qu'il renvoie à gauche comme à droite ?

Roland Hureaux : Que l'image de Nicolas Sarkozy soit mauvaise à gauche n'est pas nouveau. Mais l'exemple des élections régionales en PACA montre que les électeurs de gauche savent passer sur leurs phobies quand ils le jugent nécessaire. Estrosi, dont l'image n'était pas meilleure que celle de son chef, a bien bénéficié d'un report massif des électeurs de gauche. Il s'est trouvé seulement ridicule d'aller les remercier. En politique, il faut savoir être ingrat. C'est parce que Chirac s'était senti obligé à l'égard de ses électeurs de gauche en 2002 qu'il n'a rien fait pendant cinq ans et nous a fait perdre une des plus belles occasions qui se soient jamais présentées de réformer la France. S'agissant de Sarkozy, à droite, il y a toujours eu les pour et les contre. Le bilan mitigé de son quinquennat pourrait expliquer que les contre soient plus nombreux qu'il l’en était par exemple en 2007. Mais il n'explique pas une dégradation récente de son image au sein de l'électorat de la droite classique. Il serait injuste de lui faire porter la responsabilité du relatif échec de l'UMP – pardon des Républicains ! – aux régionales. Car ce qui est en cause, c'est une ligne centriste qui n'est pas nouvelle : c'était la ligne de Chirac qui pensait ne pas pouvoir gagner un second tour de présidentielle sans les voix du centre. C'est aussi celle qui est ardemment promue par Juppé, Raffarin, NKM, bien plus que par Sarkozy. Il n'est pas sûr que cette ligne soit adaptée à un électorat passablement droitisé. Beaucoup d'électeurs de l'UMP ont rejeté par exemple la candidature de Dominique Reynié en Midi-Pyrénées, non pas parce qu'il était parachuté mais à cause de ses positions passées : être pour la GPA était une vraie provocation à l'égard de la Manif pour tous. Il est de bon ton à droite de faire comme si celle-ci n'avait jamais existé, mais comment ignorer le principal mouvement social de droite ces dernières années ? En tous cas, l'échec des Républicains, si échec il y a, est collectif.

Puisque vous parlez de dégradation de l'image de l'ancien président, je risquerai une hypothèse audacieuse. La France est aujourd'hui soumise à une sorte de tutelle internationale : Washington, Bruxelles et Berlin, qui suit de près ce qu’il se passe chez nous et veut des présidents français alignés, voire serviles. Sarkozy était aligné en 2007, il l'est peut-être encore mais il n'est pas servile comme peut l'être Hollande. Pour toute une série de raisons, je pense qu'il n'est plus le candidat de cet establishment qui a mis la France sous surveillance et qui a de puissants relais dans nos médias. Il reste l'homme qui a signé le contrat des Mistrals (que honteusement Hollande n'a pas exécuté), celui qui a négocié avec Poutine sur la Géorgie et qui a notoirement un bon contact avec lui. C'est pourquoi on dira dans certains milieux, malgré le traité de Lisbonne, malgré la réintégration de l'OTAN, que "Sarkozy n'est plus fiable". Le candidat de ceux qui veulent une France soumise, c'est désormais Hollande, avec Juppé en roue de secours. On parle très peu de Fillon parce qu'il est suspect, lui aussi et de plus longue date, d'accointances avec la Russie. 

Selon vous, Nicolas Sarkozy gagnerait-il à être plus sincère et crédible sur son positionnement politique réel ?

Roland Hureaux : Nicolas Sarkozy fait partie de ces hommes qui sont sincères au moment où ils parlent. Mais ils peuvent changer d'avis, ce qui nuit en effet à leur crédibilité. Ne connaissant pas ce que vous appelez son positionnent politique réel, je ne peux pas dire s'il peut faire mieux. En revanche, il gagnerait à structurer davantage sa position, à définir sur tous les problèmes majeurs qui se posent aux Français une position qui paraîtrait cohérente et à laquelle il se tiendrait. Personne ne mettrait dès lors en doute sa sincérité. Cette position n'a pas besoin d'être dans la continuité de celle de 2007-2012. Il faudrait une cuvée nouvelle, un Sarkozy 2017 mais malheureusement on l'attend.

Nicolas Sarkozy est accusé de chasser sur les terres du Front national. Mais en 2007, la situation était similaire et les Français le jugeaient crédible et capable de changer les choses à l’époque. Il y a donc autre chose derrière ce désenchantement…

Georges-Marc Benamou : En 2006-2007, Nicolas Sarkozy avait coutume de dire qu’il avait une jambe gauche et une jambe droite. Il était dans une position plus complexe qu’un pur suivi des thèses de l’extrême-droite. En 2007, c’était une sorte de mélange de Georges Clémenceau pour l’autorité et de Tony Blair pour la modernité économique. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Il essaye platement d’appliquer les thèses de Monsieur Buisson. Il était plus authentique en 2007.

Roland Hureaux : C'est absurde de dire qu'il est rejeté – si rejet il y a – parce qu'il courait après le FN. Une presse exagérément partiale avait déjà répandu en 2012 l'idée que c'était la ligne Buisson qui l'avait fait perdre. Bien sûr que non. S'il n'avait pas adopté cette ligne, il se serait retrouvé à  40%.  Le problème était que, compte tenu de la politique menée pendant le quinquennat, cette ligne manquait de crédibilité. Je le redis, la France s'est droitisée et il faut en tenir compte. Pas seulement parce que les Français seraient devenus plus méchants, plus hargneux, plus "populistes", mais parce qu'ils comprennent que beaucoup de problèmes lourds qui se posent à la France d'aujourd'hui n'ont de solution qu'à droite : l'école, la justice, les abus des prestations sociales qui créent un sentiment considérable de frustration, des dépenses  publiques excessives, et naturellement l'immigration et l'intégration. Si la solution à ces problèmes était à gauche, si c'était par exemple les réformes de Najat Vallaud-Belkacem qui devaient sauver l'école, ça se saurait et Hollande s'en serait sans doute aperçu. Quand je dis que les solutions sont à droite, je ne dis naturellement pas à l'extrême-droite. Nicolas Sarkozy donne cependant l'impression de courir après le Front national quand il se contente de pousser un coup de gueule de temps en temps contre Hollande sur la sécurité. Mais le problème n'est pas que tirer à droite serait un péché, c'est de savoir si, ce faisant, on est en pole position ou pas. Il est des sujets comme l'immigration ou la sécurité où la droite classique n'est plus en pole position, pour employer une expression de la course automobile chère à Fillon. Parler fort sur un sujet où vous n'êtes pas en pole position ne fait jamais que renforcer celui qui l'est. C'est vrai à droite comme à gauche : il ne faut pas courir après Marine Le Pen mais pas derrière Macron non plus. Même chose dans la lutte contre le terrorisme où désormais Valls et Cazeneuve occupent le terrain. Les critiquer parce qu'ils n'en feraient pas assez, sauf carence grave, serait les crédibiliser. Nicolas Sarkozy gagnerait à mon sens à occuper le créneau de ce que j'appelle le conservatisme libéral, à réinvestir des sujets comme l'école, la médecine, la justice, quitte à défendre des vues qui paraîtront passéistes comme les méthodes traditionnelles d'apprentissage, la médecine libérale ou la commune, mais auxquelles les Français sont attachées. Ils en ont assez qu'on change les meubles de place. Alors celui qui proposerait de les déplacer encore plus a peu de chances d'être entendu. De même, le rabotage de prestations familiales des classes moyennes par la gauche a été ruineux pour beaucoup de jeunes ménages. A-t-on entendu la droite dire qu'elle reviendra sur ces réformes ? Non, et c'est dommage.

Nicolas Sarkozy a-t-il bien endossé le costume présidentiel de 2007 à 2012 ? Le corps suprême du roi, selon la théorie chère à Ernst Kantorowicz, était-il fait pour lui ?

Georges-Marc Benamou : Je crois que Nicolas Sarkozy, si l’on se place dans la lignée des traditions européennes et françaises et dans cette dimension monarchique dont parle Kantorowicz, a assez vite abîmé en quelque sorte le corps du roi. Et assez vite ce départ-là l’a plombé. Je pense au Fouquet’s, je pense aux scènes de vacances en été, je pense à l’exposition de sa propre jouissance. Les citoyens et les sujets n’apprécient pas de voir la jouissance du roi.

Roland Hureaux : Sans doute  peut-on juger qu'il n'avait-il pas eu un comportement présidentiel en beaucoup de circonstances. Mais ce n'est pas nouveau. Cela n'explique pas les décrochages récents. Il a campé un personnage entre 2008 et 2012 qui était ce qu'il était, avec des qualités et des défauts. Mais Hollande qui étale sa vie privée de manière ridicule, sans classe, et surtout qui ridiculise la France sur la scène internationale par son suivisme veule, ne fait pas mieux. Même si l'ENA lui a donné un vernis que n'a pas Sarkozy, il compromet non seulement la fonction présidentielle mais aussi l'image de la France et c'est beaucoup plus grave. Je redirai sur l'image de Nicolas Sarkozy ce que je disais sur sa ligne. Il faut qu'il se réinvente. Que, tout en restant  lui-même, il mette en valeur d'autres facettes de sa personnalité. Qu'il donne l'impression de se renouveler, comme un écrivain se renouvelle. Qu'il nous présente une nouvelle image, cohérente sans être artificielle. Il a visiblement aujourd'hui un gros déficit du côté de la gestion de son image. S'il ne trouve pas un nouveau style, il est perdu. Comme l'homme a des ressources, rien n'est joué.

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