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Nicolas Sarkozy après Charlie : une prestation habile autour de propositions concrètes
©Reuters

Réponses de fond

La difficulté de Nicolas Sarkozy à paraître dans les médias à beaucoup été évoquée depuis la fusillade de Charlie Hebdo, à côté d'un Président "omniprésent". Son interview au Journal de 20h mercredi 21 janvier a cependant pu trouver écho en favorisant les propositions concrètes en matière sécuritaire par exemple.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : En quoi le fait d'avancer des propositions concrètes comme rétablir les heures supplémentaires pour les fonctionnaires de police par exemple, a-t-il pu être habile ? 

Jean Petaux : Incontestablement Nicolas Sarkozy a voulu "assurer" dans deux registres très nettement exprimés dans sa prestation télévisée sur France 2, mercredi 21 janvier. Le premier concerne son statut "présidentiel". Le second renvoie clairement à celui de "chef de l’Opposition". Il a cherché à donner une image tout aussi rassurante que celle présentée par le président de la République, François Hollande, depuis le début des événements. Il a rappelé à plusieurs reprises qu’il ne voulait pas polémiquer, combien il était nécessaire face aux menaces qui ne vont pas manquer de se manifester de nouveau, de privilégier l’unité à toute autre forme d’attitude. Par  ailleurs il a "surligné" le fait qu’il rencontre beaucoup de monde : les responsables de la communauté musulmane (rappelant le rôle qu’il a joué dans la création du Conseil français du culte musulman, le CFCM, quand il était ministre de l’Intérieur… organe qui est pourtant loin d’être une réussite…) ; les principaux dirigeants des syndicats policiers.

Très clairement il a voulu montrer que la France a deux hommes d’Etat à son chevet… : un ancien président de la République (lui) et l’actuel (qu’il a d’ailleurs évité de citer…). Le second registre, celui de chef de l’opposition, découle directement de ce qui précède. Nicolas Sarkozy l’a également fortement précisé : "Ce n’est pas parce que nous devons privilégier l’unité nationale face à la guerre de civilisation dans laquelle nous sommes engagés, tous ensemble, qu’il faut s’interdire de faire des propositions". En conséquence, très directement, Nicolas Sarkozy en profite pour ramener le débat sur les moyens mis en œuvre (pas assez de nouveaux policiers directement opérationnels), les conséquences des mesures adoptées par l’actuel gouvernement (la suppression des heures supplémentaires qui a conduit à supprimer des "équivalents temps-pleins"), l’abandon du plan prison par l’actuelle Garde des Sceaux ou encore les critiques qu’il a reçues lorsqu’il a proposé de supprimer les allocations versées aux familles dont un enfant a été condamné ou aurait refusé d’observer une minute de silence par exemple.... La proposition sur le rétablissement des "heures sup’" chez les policiers est très habile car elle confère, de nouveau, à son auteur ce qui a toujours plu chez lui auprès des Français : l’efficacité, la force de réaction rapide et puis le fameux "travailler plus pour gagner plus" qui fut le slogan phare de la campagne victorieuse de 2007…

Nous avons donc eu l’occasion de retrouver un Nicolas Sarkozy conforme en tous points ce soir à ce qu’il a montré le 11 janvier dernier dans le cortège des personnalités du monde entier venues manifester à Paris : il est revenu au premier plan… Non plus seulement physiquement comme il l’a fait dans le flot des hommes et femmes d’Etat présents, mais, ce soir, politiquement et je dirais également "psychologiquement" tant il a voulu apparaître comme l’alter ego du chef de l’Etat. D’une certaine façon ce soir il a justifié sa fonction de président de l’UMP… Son objectif premier était certainement celui-ci : se distinguer de ses rivaux à l’UMP, apparaître comme une sorte de "shadow president" comme au Royaume-Uni il existe un "shadow cabinet", et prendre l’ascendant sur ses propres amis politiques.

Au plus fort de la tragédie vécue par la France et les Français, Nicolas Sarkozy savait bien (il est trop avisé de la chose politico-médiatique pour ne pas faire très attention à cela) qu’il allait être forcément inaudible et automatiquement sous-éclairé. Désormais, quinze jours après les faits, on peut presque dire que la période de viduité est achevée et qu’il peut reprendre ses habits de leader du principal parti d’opposition en les superposant avec ceux d’ancien chef de l’Etat…

A quelle difficulté Nicolas Sarkozy était-il pourtant soumis, comment a-t-il choisi de se démarquer du Front national, tout en étant convainquant sur la question sécuritaire, traditionnellement chasse gardée de la droite ? 

La partie que joue Nicolas Sarkozy n’est pas aisée. Pour plusieurs raisons. La première c’est qu’il ne fait plus du tout l’unanimité dans son propre camp. C’est une donnée radicalement nouvelle à laquelle il n’a plus été habituée depuis, au moins 2004… La deuxième raison relève plus de l’évolution de l’électorat sur des thèmes jusqu’alors clivant en faveur de la Droite comme la sécurité et la protection des individus. Le Front national apparait nettement comme une force politique bien plus porteuse de propositions sur ces questions que l’UMP. Sans parler de la thématique de l’immigration à l’égard de laquelle l’UMP peut sembler, à nombre d’électeurs de droite, comme à la traine par rapport au FN. C’est donc bien à une question de crédibilité qu’est confrontée Nicolas Sarkozy. Le troisième point, qui rend vraiment le jeu de Nicolas Sarkozy compliqué, concerne le positionnement de Manuel Valls, le plus sécuritaire des socialistes, et hélas pour l’ancien président de la République, titulaire du poste de Premier ministre. D’où la tentative de déplacement du jeu vers Christiane Taubira "la laxiste"… Qualificatif qui ne peut (sauf à paraître vraiment comme de mauvaise foi) être adressé à l’actuel hôte de Matignon. Donc Nicolas Sarkozy et l’UMP qu’il dirige peuvent se retrouver dans le rôle, très inconfortable, de la voiture écrasée entre deux poids lourds… comme dans une des scènes cultes de "La Menace", le film réalisé en 1977 par Alain Corneau, avec Yves Montand dans le rôle principal.

Pas un mot pour le FN ce soir, mais en revanche une attaque en rase-mottes, à la fin de sa prestation, sur l’emploi du terme "apartheid" par Manuel Valls qui lui a permis de glisser un commentaire très appuyé à destination des "habitants des zones rurales qui ne brulent pas de voitures eux… mais qui souffrent aussi beaucoup et qui voient tout l’argent qui a été mis dans les banlieues" (en substance)… Ces "gens-là" sont les électeurs en zones rurales et éloignées des centres urbains qui ont voté FN aux dernières élections présidentielles de 2012 et aux Européennes de 2014… Nicolas Sarkozy veut récupérer cet électorat… et il n’hésite pas à s’adresser à eux directement afin de les soustraire à l’influence de Marine Le Pen.

Qu'a pu révéler sa prestation sur sa stratégie ? Que présager pour la suite ?

Il va, probablement, multiplier les effets d’annonce et les propositions programmatiques sur les questions sécuritaires, sur celle du statut de l’Islam en France et sur d’autres enjeux prioritaires comme le traitement à réserver aux "djihadistes" (encellulement individuel, concentration, indignité nationale), le renforcement des moyens mis en œuvre dans la lutte anti-terrorisme, etc. On a bien entendu qu’il ne lâchera rien… Si, en termes partisans, il envisage toujours de tout changer (jusqu’au nom du parti : sur ce plan il ne semble pas avoir renoncé), en termes de programme il ne va rien modifier en revanche. Il faut s’attendre à entendre un Sarkozy-surdopé aux amphétamines d’une Droite forte et assumée afin de reconquérir le "marché sécuritaire" abandonné au profit du FN. Qu’on se le dise : pendant la période d’unité nationale, la refondation d’une droite sarkozyste se poursuit plus que jamais…

Malgré les différents obstacles évoqués, importants, sur son chemin, Nicolas Sarkozy n’est pas homme à renoncer bien évidemment. Son formidable abattage, la manière extrêmement "professionnelle" avec laquelle il a répondu à la dernière question de David Pujadas qui lui a quand même présenté deux photos le ridiculisant purement et simplement dans sa tentative (réussie) de remonter le peloton tel un "maillot vert" du Tour de France jouant des coudes sur son vélo (dont l’ancien président est un pratiquant assidu) pour le sprint final, la manière donc qui a été la sienne pour reconquérir le cœur (et les suffrages) des Français montre qu’il est plus qu’affuté pour la compétition qui s’annonce. Ses propres amis politiques, qui seront ses premières et prochaines cibles feraient bien de se méfier si ils ne veulent pas figurer au rayon de ses futurs trophées tout aussi prochainement.

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