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Quelle écologie pour Nicolas Hulot ?
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Présidentielles 2012

Nicolas Hulot désormais candidat, quel avenir pour l'écologie-politique ? Embourbés dans leurs divisions, les écolos peinent à se regrouper autour d'un projet de société commun.

Aurélien Fouillet

Aurélien Fouillet

Aurélien Fouillet est chercheur au Centre d’Etudes sur l’Actuel et le Quotidien (Université Paris V René Descartes). Il est docteur en Sociologie. Sa thèse s’intitule : "L’esprit du jeu dans les sociétés post-modernes. Anomies et socialités : Bovarysme, mémoire et aventure." Il a également collaboré à l’ouvrage dirigé par Michel Maffesoli et Brice Perrier : L’homme postmoderne.

Ses thématiques de recherche sont : le jeu, le risque, la morale, les nouvelles technologies, la science fiction et la bande dessinée.

Il est membre de la rédaction des Cahiers Européens de l’Imaginaire et l’un des trois fondateurs de La Tête qui manque.

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Nicolas Hulot a déclaré sa candidature à l‘élection présidentielle ce mercredi 13 avril. Les Verts s’en réjouissent et d’un œil inquiet se demandent tout de même s’il va les rejoindre. La question que pose cet engouement, pour celui que j’appellerai M. Hulot, est la suivante : comment un homme sponsorisé depuis plus de vingt ans par l’un des plus grands pollueurs d’Europe peut-il porter les couleurs d’une écologie politique ? Et au-delà de l’homme, qu’en est-il alors de cette mystérieuse et légendaire « écologie politique » ?

M. Hulot considère que « la marche triomphante du progrès prend les allures d'un immense malentendu », mais ne participe-t-il pas dans son discours et ses actes à entretenir un tel malentendu ? Je ne cherche pas à dire qu’il n’est pas sincère, ni convaincu. Cependant, il me semble que l’ensemble de nos politiques, et les écologistes font ici office de symptôme, ont déserté le champ de la réflexion et de la distance.

Une entente raisonnée entre l'homme et l'environnement

L’écologie se présente comme doctrine de préservation de la nature, de respect des saisons (pourquoi manger des tomates en hiver ?), d’entente raisonnée entre l’homme et son environnement. Mais, comme nous l’a récemment montré la succession de catastrophes qui frappent le Japon, il est difficile d’avoir une entente raisonnée avec une Nature qui est avant tout source d’ensauvagement.

Comment concevoir alors l’écologie politique autrement que comme une entreprise de maîtrise de la Nature, finalement peu différente de l’entreprise moderne qui amena l’industrialisation et l’agriculture intensive (qui, que cela soit-dit en passant, polluent les nappes phréatiques de nos terroirs, assèchent les rivières et détruisent la faune de nos campagnes) ?

Plus qu’une écologie, c’est-à-dire une économie de la Nature, je crois qu’il faut d’abord refonder une écosophie (cf. Michel Maffesoli, Matrimonium), c’est-à-dire redonner aux hommes le sentiment d’appartenir à la Nature.

La réflexion que mène l'ethnologue Pierre Clastres sur la notion de progrès technologique est ici intéressante. Un boomerang est-il réellement moins avancé technologiquement qu’un fusil d’assaut ? Selon Clastres, il n’en est rien, le boomerang est l’arme de jet la plus adaptée à l’environnement australien où le bois est rare. Construire un fusil d’assaut demande d’extraire du minerai brut, de le transformer, puis de le forger, etc… Autant d’opérations compliquées qui se résolvent en l’utilisation unique d’une balle de fusil, là où le boomerang est réutilisable. Bref, plus qu’une notion de progrès technologique, il faudrait s’interroger sur la notion d’adéquation technologique. Plutôt que de s’interroger sur le nucléaire, on se demanderait alors quel est l’impact des barrages hydroélectriques sur les rivières et sur leur faune.

L’écologie politique est finalement une des conséquences de la conception moderne du rapport de l’homme à la Nature : un homme maître et possesseur de la Nature. Un homme qui transforme la Nature et la façonne à son image avec comme danger ce que Hannah Arendt a appelé la « croissance contre nature du naturel ». La solution serait-elle alors la décroissance ?

Les différentes familles de l'écologie

Il y a finalement plusieurs écoles dans l’écologie politique. Il y a les M. Hulot polluo-compatibles, les verts progresso-compatibles, les mélanchon-compatibles et aussi les capitalistes-verts. Bref le paysage écologique est aussi varié que les appareils de cuisson dans la cuisine que le réalisateur Jacques Tati prête à son personnage de M. Hulot.

Mais il y a aussi les défenseurs de la décroissance, d’un retour à la Nature, des toilettes sèches et de la vie sous des yourtes dans le Larzac… La question que je me pose est de savoir s’ils se rendent bien compte de ce que signifie la décroissance. C’est peut-être le manque de protéines animales qui les empêche de se poser la question, après tout.

D’un point de vue économique, la décroissance - en tous les cas l’esprit de la décroissance et l’ambiance qu’elle provoque - participe de la réintroduction de la rareté dans la structure fondamentale de l’échange et, à fortiori, dans l’économie.

Les cinquante dernières années ont été celles de la production, de l’augmentation de l’offre et de la sortie d’une économie de la pénurie (cf. Ulrich Beck, La société du risque). Nous étions alors dans une économie d’abondance où la valeur ne se faisait plus sur la rareté, mais sur l’échange. L’aboutissement en étant l’Internet où l’achat d’une marchandise ne dépossède pas son vendeur, mais où l’acheteur multiplie le fichier. Bref, économie d’abondance, retour à l’échange, et comme le disait Levi-Strauss aux trois aspects du commerce : les biens, les mots, les hommes. S'il y a aujourd’hui une alternative à l’économie de marché et à la spéculation, elle se situe dans les soubresauts de la vie sociale, qui s’expriment de diverses manières (peer to peer, réseaux sociaux, mondes virtuels, etc…) et pas dans une décroissance qui ne fait pas sens.

La décroissance : un retour en arrière

En injectant un discours et une ambiance de décroissance dans l’esprit des consommateurs et de la société, on réinjecte de la rareté. Autrement dit, on réinjecte de la valeur au sens capitalistique du terme. Plus la marchandise devient rare, plus elle devient précieuse et importante. D’où la crispation sur l’objet durant les cinquante dernières années.

Si vous me suivez bien, je crois que le discours de la décroissance est un retour en arrière. Il s’agit certainement d’un discours issu d’une certaine théorie marxiste de l’économie, mais cette théorie, ne l’oublions pas, est avant tout celle du capitalisme… Les écologistes qui croient proposer une alternative sociale et écologique au capitalisme au travers de la décroissance se trompent donc aussi. Et lorsque je lis M. Hulot qui propose de « libérer la société et les esprits des diktats d'un mode de production et de consommation contaminé par l'illusion de la croissance quantitative, (de) s'émanciper d'un monde happé par la frénésie du toujours plus et par la compétition agressive », je ne peux m’empêcher de m’interroger sur l’avancée de sa réflexion et sur la pertinence de ses propos.

Il nous dit que « des moyens existent pour faire décroître l'empreinte écologique ». Mais comme l’a bien montré Augustin Berque (cf. Ecoumène), il est dans la nature humaine de marquer son milieu et d’être marqué à son tour. L’empreinte écologique de l’humanité peut certainement se transformer, mais la faire décroître n’a pas de sens. Les seules espèces animales dont l’empreinte écologique décroit ne sont-elles pas celles en voie de disparition ?

Écologie : la politique de l’avenir ?

Enfin, M. Hulot et l’ensemble de la classe politique nous disent : « Ensemble, bâtissons l'avenir. » Mais le monde a changé et les idéologies, utopies, messianismes terrestres et autres lendemains qui chantent ne sont plus en congruence avec les attentes de nos sociétés. Nous vivons sur cette Terre-ci, ici et maintenant. La question n’est pas celle d’un avenir heureux, d’un paradis au-delà du présent, mais bien de vivre intensément sa vie. Autant de choses que l’on observe dans le monde contemporain et que Georges Bataille avait bien cerné avec sa notion de dépense (cf. La Part maudite). L’intelligence et l’épanouissement d’une société ne se mesurent pas à ses économies, mais plutôt au sens qu’elle déploie dans le sacrifice et la dépense.

Je crois que si l’on veut inscrire l’homme dans la Nature il faut se rappeler de ce que nous disait Jean-Marie Guyau (cf. Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction) pour qui la vie s’appuie sur deux processus : la conservation et l’expansion. Et c’est dans l’expansion que la vie a trouvé du sens, du partage et du désir. Et c’est bien sur ces trois aspects que nos institutions et politiques font aujourd’hui défaut.

J’invite donc M. Hulot et tous ses amis à prendre des vacances au frais des divers industriels pollueurs d’Europe afin de réfléchir à une véritable correspondance entre l’homme et la Nature. Correspondance qui, si elle va jusqu’au bout doit accepter l’ensauvagement de nos sociétés. Sur ce, je vais à la pêche…

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