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Niches fiscales : pourquoi leur suppression pour les plus riches coûterait beaucoup plus que ce que quantifie Gérald Darmanin
©BERTRAND GUAY / AFP

Fausse bonne idée

Lors d'une interview donnée à RMC-BFMTV, Gérald Darmanin a déclaré : "Des gens qui gagnent 20 000€/mois ont ils besoin d'être aidés autant que les classes populaires et moyennes? Si l'on récupérait 1 milliard sur les niches qui profitent aux plus aisés, nous pourrions baisser de 180€ l'impôt sur le revenu de ceux qui gagnent jusqu'à 1800€/mois."

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier

Maître Thomas Carbonnier est Avocat et coordinateur pédagogique du DU Créer et Développer son activité ou sa start-up en santé au sein de l’Université Paris Cité (issue de la fusion Paris 5 et Paris 7). Il est titulaire du Master 2 droit fiscal, du Master 2 droit financier et du D.E.S. immobilier d’entreprise de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

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François Ecalle

François Ecalle

François Ecalle est ancien rapporteur général du rapport annuel de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques ;  ancien membre du Haut Conseil des finances publiques, Président de FIPECO et fondateur du site www.fipeco.fr sur les finances publiques.

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Atlantico :  Alors que le gouvernement a réformé l'ISF, ne peut-on pas voir dans cette déclaration de Gérald Darmanin une forme d'hypocrisie sur la question des niches fiscales alors que celles-ci semblent souvent avoir été mises en place pour atténuer les effets pervers de la fiscalité du pays ?

Thomas Carbonnier : Lorsqu’un gouvernement est en panne d’idées nouvelles, il recycle les anciennes en comptant sur l’amnésie fiscale du contribuable.

Après l'arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981, le taux de la dernière tranche du barème de l’IR monta jusqu'à 65 % ! L'impôt sur le revenu a vu sa progressivité baisser, jusqu'à la création récente d'un taux marginal à 45 %. Son rendement fut amoindri par la création d’un nombre considérable de réductions et crédits d'impôt.

L'IR a été supplanté par des impôts sociaux sur le revenu : la CSG et la CRDS. Leur rendement est très supérieur à l’IR puisque presque personne n'y échappe ! Ils sont proportionnels et impersonnels. C’est finalement un retour à la case départ, un retour au projet porté au XIXe siècle par Joseph Caillaux : une juxtaposition d'impôts proportionnels et progressifs. S'ajoute, en 2011, une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, dont le rendement, au regard du nombre des intéressés, fut dérisoire !

L'instauration de l'Impôt sur les Grandes Fortunes (IGF) avait marqué l'intention de faire payer les contribuables aisés pour aider les plus modestes... A partir de cette époque, le mouvement d'exil fiscal des plus aisés se renforce et devient visible. Alors que l'Impôt Sur la Fortune (ISF) était plafonné en fonction des revenus, un gouvernement de droite entendit réduire les effets de cette limite pour les patrimoines les plus importants. Ce plafonnement a conduit certains contribuables à payer plusieurs fois le montant leurs revenus au seul titre de l'ISF ! L'imposition du capital a alors franchi une étape décisive : elle ne conduisait plus seulement à réduire les revenus de la propriété (mobilière ou immobilière), mais à attaquer la propriété elle-même. 

Rappelons qu’en 2012, la gauche vota une contribution exceptionnelle sur la fortune, dont le but était en réalité de rétablir, rétroactivement, l'ancien barème progressif. La contribution ISF déplafonnée a redonné du souffle à l'exil fiscal. Depuis l'ISF était redevenu impôt progressif et plafonné…

Avec le développement du capitalisme, la richesse autrefois essentiellement immobilière tend à devenir de plus en plus mobilière (par exemples : parts et actions de sociétés, titres de créance sur des entreprises privées ou sur l’Etat). La transformation de l’ISF en IFI apparaît comme une mesure en faveur des très riches et non des classes moyennes supérieures.

On ne s’attaque plus qu’aux classes moyennes supérieures, c'est-à-dire le contribuable aisé mais qui ne l’est pas suffisamment pour être qualifié de riche ou de très riche. Cette catégorie de la population ne peut malheureusement pas se permettre d’investir tout sous patrimoine dans les marchés financiers compte tenu des risques de perte ou qui fera un mauvais candidat à l’exil fiscal.

Ceux qui ont réussi à obtenir une certaine aisance financière sont sanctionnés. Ils doivent payer, encore et toujours plus d’impôt. Ceux sont pourtant ces contribuables qui vont contribuer à plus de la moitié de la recette de l’impôt sur le revenu.

De l'idéal révolutionnaire demeurent les impôts locaux, vieux prélèvements, peu productifs et particulièrement injustes. Les autres impositions sur le capital ont une fonction plus politique que financière. L'essentiel des ressources est toujours représenté par la taxation de la dépense : la TVA représentant la moitié des recettes fiscales. Le reste repose sur l'imposition du revenu, gains du travail comme du capital, avec les impôts sociaux, l'IR et l'IS (impôt sur les sociétés). 

On constate beaucoup de révolutions, de passions et d'agitations autour de la question de l'impôt, pour un bien maigre changement, depuis deux siècles, quant à la répartition matérielle de la pression fiscale. L'impôt demeure en France un sujet politique hautement sensible et empreint de fortes émotions.

François Ecalle : Les 474 niches fiscales, ou dépenses fiscales, recensées par le ministère des finances, dont la liste n’est pas exhaustive, ont coûté 100 Md€ en 2018, dont 20 Md€ pour le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Le produit de l’ISF en 2017 ayant été de 5 Md€, les enjeux budgétaires ne sont pas du tout les mêmes.

Les niches fiscales prennent des formes très diverses. On y trouve les réductions et crédits d’impôt au titre de l’impôt sur le revenu des ménages, dont parle G. Darmanin quand il évoque un coût de 14 Md€, mais aussi des exonérations (revenus tirés de l’intéressement et de la participation…) ou des abattements (de 10 % sur les pensions…). Environ un tiers du coût des niches concerne l’impôt sur le revenu, un autre tiers l’impôt sur les sociétés, un cinquième la TVA (taux réduits notamment) et le reste plusieurs autres impôts (taxes sur les carburants…).

Certaines de ces niches concernent presque tous les français (les taux réduits de TVA sur la restauration et les repas servis dans les cantines, l’exonération des intérêts des livrets A…) et aucune n’est réservée aux ménages les plus riches. On peut seulement dire que certaines d’entre elles sont plus particulièrement utilisés par des ménages aisés, par exemple les réductions d’impôts en faveur des investissements outre-mer parce que les montages financiers sont complexes et imposent de payer cher des conseillers.

La fiscalité française se caractérise par des taux d’imposition des revenus des ménages, dans le haut du barème, de leur patrimoine et des bénéfices des sociétés parmi les plus élevés de l’OCDE. Tous les gouvernements ont essayé de limiter les dommages créés par ces taux d’imposition en accordant le bénéfice d’exonérations, d’abattements, de taux réduit ou de réduction d’impôts à des catégories particulières de contribuables ou de produits, en fonction surtout de la capacité de persuasion des bénéficiaires. Alors que les économistes et fiscalistes s’accordent souvent pour dire qu’un bon impôt doit avoir un taux faible sur une assiette large, nous faisons l’inverse avec des taux élevés sur des assiettes mitées par les niches.

Le coût des dépenses fiscales a particulièrement augmenté dans les années 2000 après la mise en place de normes relativement strictes d’évolution des dépenses de l’Etat. Les crédits budgétaires étant moins facilement disponibles, les gouvernements ont trouvé opportun de satisfaire des revendications catégorielles par des réductions d’impôt, sans tenir compte du fait que les dépenses fiscales doivent être financées, comme les dépenses budgétaires, par un relèvement des impôts sur l’ensemble des contribuables.

Il est donc hautement souhaitable de réduire les dépenses fiscales pour diminuer les taux d’imposition de droit commun. S’il s’agit de réductions et crédits d’impôt sur le revenu qui sont plus particulièrement utilisées par les ménages les plus aisés, ce que laisse entendre G. Darmanin, il peut en résulter une redistribution des revenus de ces ménages, mais elle est difficile à évaluer précisément a priori, faute d’informations publiques suffisantes sur les bénéficiaires de ces niches. En tout état de cause, les contribuables concernés par la suppression ou la diminution des niches ne seront pas toujours les mêmes que les bénéficiaires du remplacement de l’ISF par l’impôt sur la fortune immobilière.

Comment peut-on chiffrer la perte provoquée par cette complexité fiscale française, mais également par l'instabilité inhérente à quelques 450 niches fiscale, aussi bien pour le pays que pour son attractivité ? 

Thomas Carbonnier :  Les niches fiscales sont des avantages fiscaux dont peuvent bénéficier les contribuables pour diminuer le montant de leur impôt, dès lors qu'ils remplissent certaines conditions. Elles visent également à orienter l’investissement vers un secteur économique particulier ou à éviter des fraudes.

A titre d’exemple, l’emploi à domicile bénéficie d’un crédit d’impôt égal à 50% des salaires versés. Sans cette niche fiscale, le travail non déclaré serait encore plus développé et le salarié moins bien protégé en cas d’accident ou de maladie.

Les principales niches fiscales sont le Crédit d'impôt en faveur de la compétitivité et de l'emploi (CICE) qui coûterait 21 Milliards d’euros suivi de loin par le Crédit d'impôt recherche (5,8 Md€), du Crédit d'impôt au titre de l'emploi d'un salarié à domicile (4,7 Md€), l’abattement de 10 % au titre de l'impôt sur le revenu sur le montant des pensions (4,1 Md€).

Il existe également des niches fiscales en faveur de l’investissement dans les PME, les forêts ou encore la production cinématographie.

Les niches fiscales servent en réalité de soupape de sécurité pour éviter l’explosion du système économique lié à une pression fiscale trop importante.

François Ecalle : 

La prolifération des niches contribue fortement à la complexité de la fiscalité française. Par exemple, la « brochure pratique » de l’impôt sur le revenu pour 2017 faisait 382 pages, dont une centaine concernait les réductions et crédits d’impôts, qui ne sont pourtant pas les seules niches fiscales. Les réductions en faveur de l’investissement immobilier étaient présentées sur près de 30 pages à elles seules.

D’autres pays, même l’Allemagne, ont toutefois eux aussi une fiscalité complexe. Ce qui est probablement encore plus grave que la complexité, c’est l’instabilité de notre fiscalité. Au cours des années 2007 à 2016, un sixième des articles du code général des impôts (CGI) a été modifié en moyenne chaque année. En dix ans, 305 lois, 110 ordonnances et 1 200 textes réglementaires ont modifié les règles fiscales .

Il est très difficile de chiffrer les coûts pour les contribuables, et l’administration, de cette complexité et de cette instabilité ainsi que leurs conséquences pour la compétitivité des entreprises et l’attractivité du territoire mais il est vraisemblable que ces coûts et ces conséquences sont très importants.

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