New York, ville-monde, sur le chemin de la tiers-mondisation ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une vue de Time Square à New York.
Une vue de Time Square à New York.
©AFP / Daniel SLIM

PENSEURS D’HIER, POLITIQUES D’AUJOURD’HUI : LA CHRONIQUE D’ISABELLE LARMAT

Big Apple puisse-t-elle ne pas devenir Little Apple.

Isabelle Larmat

Isabelle Larmat est professeur de lettres modernes. 

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En novembre 2021, après le passage de la pandémie, alors que les États- Unis rouvraient leurs frontières à l’Europe, j’ai revu New York, convalescente, morne et meurtrie. Les rues de la géante étaient vides. Les stores baissés sur les devantures des magasins et des restaurants exhibaient des faillites. On imaginait des vies brisées. Un froid glacial limitait mes déambulations solitaires. Où était donc passée la foule habituelle qui autrefois encombrait les trottoirs de marcheurs aussi rapides que déterminés ? Où étaient-ils, ceux qui, mus par des impératifs mystérieux pour le profane, ne lui en dispensaient pas moins, généreusement, une énergie contagieuse ? Seuls quelques homeless, hagards, poussaient des caddies contenant leurs hardes et des couvertures crasseuses.

Novembre 2022, Big Apple a recouvré son insolente vitalité et l’été indien joue les prolongations. Sous les derniers feux d’un soleil qui s’éternise, les buildings de Financial District s’élancent à la verticale, comme autant de lames acérées, dardées dans le bleu profond du ciel. Les façades en briques ocres des quartiers anciens de Soho, Tribeca, Nolita, quant à elles, rosissent sous la tiède caresse d’un astre qui leur dispense ses ultimes faveurs. Central Park convie à une flânerie sans but sous des frondaisons rousses et dorées qui s’effeuillent lentement. « New York avait toute l’irisationdu monde. », aurait écrit F.Scott Fitzgerald, témoin d’un semblable moment de grâce. 

Pourtant, depuis quelques années la ville a changé. Imperceptiblement, parfois plus franchement. Elle affiche, je l’ai constaté lors de mon récent séjour, son vif désir de s’inscrire en son siècle.

Je garderai en mémoire ce lumineux dimanche 6 novembre 2022. S’est couru le Marathon de New York. Or, il comptait, pour cette édition, 59 personnes déclarées non-binaires contre 16 l’année précédente. Cette catégorie nouvelle a été créée pour répondre à une demande de représentation et d’inclusion des communautés LGTBI+. C’est un dénommé Jake Caswell, âgé de 25 ans et biologiquement homme qui s’est imposé dans ladite catégorie, obtenant un prix de 5000 $. Notons que la discrimination n’en demeure pas moins puisque c’est 500 000 dollars qu’on attribue aux vainqueurs hommes et femmes. 

Dans le registre « inclusif », encore, j’ai été frappée par le nombre de créatures androgynes croisées lors de mes pérégrinations, souvent d’une beauté étrange et de surcroît très élégantes. J’aurais été bien en peine de savoir si elles étaient en voie de transition et auquel cas, vers quel sexe. On m’a expliqué que les « genderqueer » peuvent passer leur vie entière à « transitionner » en redéfinissant et ré-interprétant leur genre au fur et à mesure du temps. On s’achemine donc résolument vers un flou identitaire. 

Heureusement, l’Église épiscopale située au début de la Cinquième Avenue (Church of the Ascension) est là pour guider sur cette voie du « all inclusive » qui conjugue wokisme et progressisme. Gaiment pavoisée aux couleurs LGBT, l’édifice religieux affiche fièrement, au fronton de sa porte : « BLACK LIVES MATTER », affirmant ainsi l’avènement d’une époque mutante, en marche vers le progrès. Tout comme le fit, en son temps, la pharmacie de M. Homais dans « Madame Bovary ». « Mais ce qui attire le plus les yeux, c’est, en face de l’auberge du Lion d’or, la pharmacie de M.Homais ! (…) L’enseigne, qui tient toute la largeur de la boutique, porte en lettres d’or : Homais, pharmacien. Puis, au fond de la boutique (…) le mot laboratoire se déroule au-dessus d’une porte vitrée qui, à moitié de sa hauteur, répète encore une fois Homais, en lettres d’or, sur un fond noir. » 

Enfin, comme je m’étonnais de baigner en permanence dans des effluves de cannabis, on m’affranchit obligeamment : depuis le 30 mars 2021, New York est devenu le 15e état des États-Unis à autoriser l’achat, la possession, la culture du cannabis pour l’ensemble des citoyens de plus de 21 ans. L’attribution des licences autorisant officiellement le commerce récréatif de la plante n’a commencé que le…22 novembre 2022. Ce qui n’a pas empêché certains entrepreneurs audacieux de démarrer leur business, créant ainsi un immense marché gris. 

New York change, lentement, insidieusement, mais sûrement et l’inflation qui sévit n’arrange rien à l’affaire : les sans-abris sont de plus en plus nombreux. Rudy Giuliani, maire de 1994 à 2001, qui fit de New York une ville sûre (qu’elle risque de ne pas rester longtemps), en appliquant la politique dite de « la tolérance zéro », serait certainement affligé par une promenade dans Washington Square Park, fréquenté par les étudiants de la prestigieuse Université de New York. Haut lieu de la revente de drogue, dans les années 80, on est en droit de penser qu’il ne va pas tarder à le redevenir. 

Si de nombreuses personnes apathiques, inoffensives et affalées y fument leur joint, l’œil vague, d’autres qu’on imagine sous l’emprise de substances plus dures vocifèrent, accostent les passants, se roulent par terre voire s’écroulent. La police intervient régulièrement pour rétablir l’ordre. J’ai pu voir aussi, pour la première fois depuis près de trente ans, la carcasse d’une voiture brûlée sur la Cinquième Avenue et évité de justesse une dame juchée sur un vélo. Roulant sur le trottoir, elle s’employait (sans beaucoup de succès, il faut bien en convenir, en raison d’un…équilibre précaire) à dégommer les piétons. 

Le 22 novembre 2022, disais-je, 36 candidats ont obtenu, moyennant 2000 dollars déboursés, leur licence pour vendre légalement du « cannabis à usage adulte ». 28 d’entre eux sont, comme on dit chez nous : « défavorablement connus des services de police » pour détention passée ou présente de marijuana. Il s’agit, principe inédit, d’aider à s’intégrer des consommateurs issus des minorités. On souhaite aussi privilégier les femmes et les anciens combattants handicapés. Sans oublier les agriculteurs en détresse. 

Si wokisme et progressisme nous viennent d’outre-Atlantique, ils n’ont pourtant, peut-être pas, là-bas, le même pouvoir de nuisance qu’en France. La fierté partagée par tous d’être américain semble fédérer le peuple. Peut-être empêche- elle ces idéologies d’agir sur la société comme des solvants trop puissants ? Chez nous, malheureusement, la honte d’être français, décuple sur notre sol le pouvoir délétère de ces doctrines importées qu’une frange de la population accueille avec enthousiasme.

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