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New Hampshire : la Révolution est-elle en marche outre Atlantique ?
©Reuters

Une première aux primaires

Bernie Sanders a remporté une très large victoire avec 60% des voix face à Hillary Clinton, 38%. Cela illustre à la fois les difficultés rencontrées par la campagne de l’ex-Première dame, et le glissement vers la gauche d’une partie de l’électorat américain.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Une petite révolution vient de se produire dans le New Hampshire. Pour la première fois de l’histoire des Etats-Unis, un socialiste a remporté une élection primaire présidentielle démocrate. Bernie Sanders est cet homme. Sa très large victoire avec 60% des voix face à Hillary Clinton, 38%, illustre à la fois les difficultés rencontrées par la campagne de l’ex-Première dame, et le glissement vers la gauche d’une partie de l’électorat américain.

En termes comptables, Sanders n’a gagné qu’une poignée de délégués. Il lui en faudra beaucoup plus pour emporter la nomination et Hillary demeure favorite pour être la candidate démocrate à la Maison Blanche en novembre. La campagne va se déplacer vers l’ouest et le sud, avec le caucus du Nevada (20 février pour les démocrates) et la primaire de Caroline du Sud (27 février), deux terrains où le message « social-progressiste » de Sanders ne rencontre pas un écho aussi fort que dans le New Hampshire.

Par contre, cette victoire est hautement symbolique. Un  candidat se revendiquant ouvertement du socialisme n’a encore jamais rassemblé un tel pourcentage de l’électorat sur ses idées.

Il faut remonterun siècle en arrière pour trouver un socialiste, candidat crédible à la Maison Blanche. Il s’appelait Eugene V. Debs. Sanders le connait très bien, il réalisa un documentaire sur lui dans les années 1970. Debs avait reçu près d’un million de voix, soit 6% des suffrages, lors des scrutins présidentiels de 1912 et 1920. Dans le New Hampshire, Sanders a totalisé près de 140 000 voix ! Il est probable qu’à l’issue de la campagne des primaires il aura reçu beaucoup plus que le million de voix totalisé par Debs. Faisant de lui l’homme politique socialiste le plus populaire de l’histoire des Etats-Unis.

Mais le fait significatif est que Sanders mène sa campagne sous l’étiquette du parti démocrate, l’un des deux piliers historiques du bipartisme américain. De là à imaginer que demain l’Amérique bascule dans la social-démocratie « à la scandinave »…

Avant Sanders, le dernier grand défenseur du socialisme aux Etats-Unis s’appelait Michael Harrington. Il est décédé en 1989, voici plus d’un quart de siècle De son vivant c’était un homme poliment écouté pour l’anticonformisme de ses idées. Il avait éveillé l’intérêt du président  John Kennedy en 1962 avec un livre sur la pauvreté aux Etats-Unis (The Other America). Mais la jeunesse ne l’avait pas suivi, lui préférant les idées libertaires de la Nouvelle Gauche et de la Contreculture, poussées par des intellectuels tels Herbert Marcuse et Noam Chomsky.

Bernie Sanders, qui a vécu cette période de l’intérieur, est un peu le fils spirituel de Michael Harrington et de cette Nouvelle Gauche. Né dans le quartier de Brooklyn, à New York,  en 1941, de parents juifs russes et polonais  ayant émigré aux Etats-Unis dans les années 1920, il suivit des études de sciences politiques à l’université de Chicago. Là,  il rejoignit la Ligue des Jeunes socialistes, branche estudiantine du Parti Socialiste américain (équivalent de l'Unef en France). Il soutint la lutte des noirs pour les droits civiques, faisant partie de ces contingents de jeunes blancs du nord-est venant aider leurs frères noirs du sud dans leur combat pour l’égalité. Il prit part à la célèbre Marche sur Washington organisée par Martin Luther King au mois d’août 1963. Opposé à la guerre au Vietnam, il demanda le statut « d’objecteur de conscience » et ne fut jamais mobilisé.

Installé dans le Vermont, état rural de Nouvelle Angleterre, à partir de 1970,  il se présenta au siège de gouverneur en 1972 et 1976 ainsi qu’à celui de sénateur en 1974, sous l’étiquette du Liberty Union Party, groupuscule gauchiste propre au Vermont. Lors de ce scrutin il reçut 4% des suffrages ! En 1980 il parvint à se faire élire maire de Burlington, plus grande ville du Vermont avec quarante mille habitants. Réélu à trois reprises (1983, 1985, 1987), Sanders profita de sa nouvelle notoriété et d’une gestion financièrement saine de sa ville pour s’attaquer à nouveau au poste de gouverneur du Vermont, cette fois en tant qu’ « indépendant».  Il reçut 14% des suffrages.

En 1990, il parvint à se faire élire Représentant. Devenant le premier «socialiste» à intégrer le Congrès des Etats-Unis.  En 2006 il s’attaqua avec succès au Sénat et fut réélu en 2012 avec 71% des voix. Lors de chacune de ces élections, il bénéficia de l’absence de tout candidat démocrate face à lui, mais refusa de courir sous la bannière de ce parti. Dans les faits cependant,  Sanders vote avec les démocrates dans 98% des cas.

Au Congrès, Sanders a voté contre la guerre du Golfe en 1991 et contre l’invasion de l’Iraq en 2003. Il a critiqué le Patriot Act, la loi sécuritaire votée après les attentats du  11 septembre. Il s’est également opposé au plan de sauvetage des banques mis au point après le crash financier de 2008.

Sanders a déclaré sa candidature à la nomination du parti démocrate  le 26 mai 2015, faisant de la lutte conte « les 1% » les plus riches, l’axe central de sa campagne. « La politique ne devrait pas être entre les mains de milliardaires», dit-il. Il refusa le soutien des « super-pacs », ces comités d’actions politiques capables de lever des fonds pratiquement sans limite. Il privilégie, à leurs place, les donations individuelles. Il a fait de la réforme du financement de  la politique, et du rôle des « lobbies », son autre priorité.

Dans son programme électoral figure une couverture santé universelle financée par le gouvernement fédéral (une idée longtemps considérée comme un repoussoir par les Américains qui refusent  de voir leur santé gérée par Washington). Il a promis de rendre les études universitaires gratuites, pour tous (elles coûtent de plus en plus cher aux Etats-Unis et une véritable petite fortune  dans les universités privées les plus prestigieuses) et de porter le salaire minimum à 15 dollars de l’heure, contre 7 en moyenne aujourd’hui. Pour payer tout cela il aussi promis d’augmenter les impôts, mais seulement sur les fameux « 1% » les plus riches. Sanders est opposé à tous les accords de libre-échange auxquels adhèrent les Etats-Unis, mais considère que les entreprises privées demeurent le vrai moteur de l’économie tant qu’elles investissent dans des emplois « chez nous ».

Sur le plan social il soutient les minorités sexuelles, le mariage gay, et le droit à l’avortement. Il oppose la peine de mort, dénonce les brutalités policières à l’encontre des noirs et propose de légaliser la marijuana. Enfin Sanders considère que le réchauffement climatique est la principale menace à la sécurité des Etats-Unis, loin devant le terrorisme islamique.

En soi son programme n’est pas fondamentalement nouveau. Ce qui l’est est l’écho qu’il rencontre. La mondialisation, la grande récession et Barack Obama, sont passés par là pour lui préparer le terrain.

Au cours des vingt-cinq dernières années les Etats-Unis ont vécu une transformation économique d’une ampleur comparable aux bouleversements liés à la grande industrialisation  de la fin du XIXe siècle. Leur tissu industriel s’est réduit, victime de délocalisations massives, et le marché du travail s’est trouvé divisé entre des emplois non qualifiés et de service à rémunération basse ou limitée et des emplois très qualifiés à haute rémunération. Une petite partie de la classe moyenne s’est enrichie, mais la majorité des ménages a connu un déclassement progressif. Le crash immobilier de 2007-2008, et la crise financière qui a suivi ont ruiné les économies d’un grand nombre de foyers, notamment parmi les personnes en âge de prendre leur retraite, se retrouvant confrontés à  une vulnérabilité inattendue.  La confiance des Américains dans leurs banques et dans le système financier international et été mise à mal. Cette fois c’est une partie de la jeunesse, éprise d’équité et soucieuse de bâtir une économie plus « solidaire »qui s’est rebellé. Cela a donné le mouvement « Occupy Wall Street », dont Sanders est un des porte-voix.  En fin la volonté de Barack Obama de faire du gouvernement un outil au service de la redistribution des revenus, ont achevé une transformation de l’environnement idéologique du pays.  Une « socialisation » des institutions, impensable du temps de la Guerre froide est aujourd'hui envisageable pour une partie de l’électorat

Bernie Sanders est le bénéficiaire de cette transformation et le champion de cet électorat. Le courant qu’il représente n’est pas majoritaire. Ni au sein de la société, ni même au sein du parti démocrate. Mais un vent nouveau souffle clairement sur l’Amérique. Un vent qui suscite une radicalisation du discours, ce qui se manifeste aussi par la montée des candidats populistes du côté républicain. 

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