Neurostimulation : gérer nos émotions et énergies par l'électricité, la fin des soucis ou cauchemar en vue ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La neurostimulation permet d'altérer les comportements et les émotion.
La neurostimulation permet d'altérer les comportements et les émotion.
©Pixabay

(Auto)manipulation

La neurostimulation, qui permet d'altérer les comportements et les émotions, a fait ses preuves dans les soins thérapeutiques apportés aux malades de parkinson. Depuis une quinzaine d'années, son application a été étendue de manière expérimentale à différentes pathologies neurologiques et psychiatriques.

Baptiste Moutaud

Baptiste Moutaud

Baptiste Moutaud est anthropologue, chercheur postdoctoral au laboratoire SPHERE (Sciences, Philosophie, Histoire) à l'Université Paris Diderot. Il est co-responsable du projet "NORMASTIM. Les neurosciences de l'expérimentation à la clinique. Enjeux juridiques, philosophiques et sociologiques de la stimulation cérébrale profonde" financé par de l'Agence national de la recherche. 

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Bechir  Jarraya

Bechir Jarraya

Béchir Jarraya est professeur de médecine à l'Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines, neurochirurgien à l'hôpital Foch, et chercheur en neurosciences au centre NeuroSpin du CEA de Saclay. 

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Atlantico : Comment fonctionne la stimulation intracérébrale ? 

Baptiste Moutaud : La principale technique de stimulation électrique intracérébrale est la stimulation cérébrale profonde. Elle consiste à implanter de toutes petites électrodes de stimulation dans des zones précises du cerveau. Ces électrodes sont alors reliées à une batterie, une sorte de pacemaker, implantée dans la poitrine qui envoie des impulsions électriques. Il est ensuite possible de régler les paramètres de la stimulation avec un boitier de contrôle externe et indépendant du malade. La stimulation est chronique.

La technique est donc assez lourde à appliquer puisqu’elle nécessite non seulement la collaboration de plusieurs spécialités médicales (neurochirurgiens, neurologues, neurophysiologistes mais aussi psychiatres, psychologues, neuropsychologues, etc.) mais aussi des plateaux techniques de pointe en neurochirurgie et neuroimagerie afin d’assurer la précision et sûreté de l’implantation. Elle est également couteuse (environ 60 000 euros pour les électrodes et la batterie).

Bechir Jarraya : Il s'agit d'imposer au système nerveux une activité artificielle afin de déclencher un comportement. On parle aussi de neuromodulation. Le plus souvent c'est une stimulation électrique à faible intensité, même s'il existe des dispositifs de stimulation magnétique par ultrasons voire optique. Il faut distinguer deux techniques de neurostimulation que tout oppose : la stimulation implantée, méthode hautement efficace et précise mais invasive qui nécessite une neurochirurgie ; et la stimulation externe, méthode non invasive appliquée de l'extérieur, mais nettement moins puissante que la première car moins ciblée.

La stimulation non invasive présente les caractéristiques inverses. Le dispositif est placé à l'extérieur avec des électrodes posées sur la peau à chaque séance, il n'y a pas de risque chirurgical, c'est beaucoup moins cher et aucun dispositif n'est implanté. En revanche la stimulation est beaucoup moins précise que la stimulation implantée car le courant est administré ou induit de manière plus vague et peu ciblée. On peut citer dans cette catégorie la stimulation magnétique trancrânienne (ou TMS) et la stimulation électrique trancrânienne directe (ou tDCS). Ces techniques font l'objet d'intenses recherches médicales pour traiter la douleur, le handicap neurologique, la dépression etc. Cependant leur effet reste modeste et parfois nul. En revanche, il y a une tendance à utiliser cette neurostimulation non invasive non pas à des fins de traitement mais pour de supposées améliorations cognitives, avec l'idée d'améliorer notre mémoire, nos capacités de calcul mental etc. Il y là une approche de type transhumanisme. Le phénomène inquiète certaines agences de régulations car il est tout à fait possible d'acheter un système de tDCS sur internet ! 

En quoi la neurostimulation peut-elle permettre d’altérer nos comportements et nos émotions ? Quelles émotions précisément peut-on changer ?

Baptiste Moutaud : Au tournant des années 2000 plusieurs équipes ont publié des cas d’altération des comportements, des capacités cognitives et des émotions chez des malades parkinsoniens sous stimulation. Cela recouvrait aussi bien des cas d’hypomanie ou de manie, que de dépression, de comportements compulsifs ou impulsifs, d’hypersexualité, de jeu pathologique, etc. Mais ils ont aussi observé des effets qu’on pourrait qualifier de "positifs", même si leur survenue reste problématique, comme des crises de rire, des pertes de poids, des personnes qui arrêtent subitement de fumer, ou bien qui recouvrent des souvenirs qu’ils avaient "perdus". Il y a même un cas qui a été publié concernant un malade qui avait été soudain pris d’une passion pour le chanteur Johny Cash. Le spectre est donc très large.

Ces effets disparaissent généralement lorsque le neurologue change les paramètres de la stimulation. Ils sont souvent spectaculaires car ils apparaissent et disparaissent dans un temps très court suivant la manipulation des paramètres. Par contre, les mécanismes qui sont en causes sont encore inconnus même si plusieurs hypothèses sont émises entourant les zones du cerveau qui sont ciblées pour implanter les électrodes. Mais ce sont ces effets qui ont en partie motivé les équipes de recherche à étendre la technique à des troubles du comportement et des émotions. Les chercheurs et cliniciens se sont aperçus qu’ils pouvaient manipuler avec la stimulation et de manière relativement précise des dimensions autre que les symptômes moteurs de la maladie de Parkinson. L’idée de pouvoir améliorer des troubles des émotions et du comportement a alors fait son chemin.

En quoi une petite dose de courant électrique peut-elle permettre de gérer nos comportements et nos émotions?

Bechir Jarraya : D'abord rappelons que dans notre système nerveux, le courant électrique régit fondamentalement les communications. Chaque action, déplacement, idée, vision, sensation, interprétation, émotion ou phénomène conscient correspond à des transmissions de courant électrique dans des réseaux "câblés" qui relient les neurones, cellules constituantes du cerveau. Dès que les neuroscientifiques se sont rendus compte de cette propriété fondamentale du cerveau, ils ont imaginé qu'un courant électrique artificiellement appliqué au cerveau, pouvait transmettre des signaux de nature proche du courant neuronal biologique et remplacer ainsi une fonction perdue à cause d'une lésion cérébrale. Cette hypothèse s'est avérée vraie !

Si on a besoin de réglementer l'utilisation de la neurostimulation, c'est qu'il existe un risque. Quel est la nature de ce risque? 

Baptiste Moutaud : Il est assez intéressant de noter que les praticiens se sont très vite attachés à tenter de participer à la régulation éthique et scientifique du domaine de la stimulation cérébrale profonde. En particulier en initiant les débats éthiques et en créant des comités d’éthiques, ou en publiant de nombreuses recommandations de bonnes pratiques. C’est par exemple le cas de Bénabid qui avait lui-même saisi le Comité consultatif national d’éthique français afin qu’il rende un avis sur l’extension de cette technologie en psychiatrie. Je l’ai décrit dans mes recherches, cela a donc été particulièrement saillant concernant les indications en psychiatrie où il s’agissait alors de contenir les enthousiasmes et de protéger la technique d’éventuels dérapages ou d’applications non fondées scientifiquement. La stimulation intracérébrale en psychiatrie doit composer avec le passé envahissant de la psychochirurgie (le traitement chirurgical des troubles mentaux) à laquelle colle l’image d’une méthode punitive et normalisatrice infondée scientifiquement, d’une forme de contrôle social de la psychiatrie à l’encontre de comportements "déviants".

C’est finalement certainement sur ce plan que le débat d’une éventuelle manipulation (ou police) des comportements par ces techniques de neurostimulation reste le plus prégnant. Il est par exemple particulièrement saillant et controversé dans les projets actuels d’extension de la stimulation cérébrale profonde aux addictions, un domaine à l’intersection des interventions sociales, judiciaires et médicales. La question pourrait se poser par exemple de savoir dans quelles conditions ces pratiques se développeraient dans des pays tenus par des régimes autoritaires où la régulation éthique des pratiques médicales serait moins indépendante. Mais cela ne fait que renouveler des questions qui existaient déjà avec les pratiques de chirurgie lésionnelle.

Enfin, le dernier risque qui peut être évoqué est celui d’un détournement de ces pratiques de stimulation comme technologies d’amélioration de ses capacités, en particulier cognitives. Compte-tenu des spécificités techniques de la stimulation cérébrale profonde, un tel détournement paraît actuellement difficile, même si la question a le mérite de poser de manière plus générale le problème de la porosité de la frontière entre ce qui relève du soin et de l’amélioration artificielle (en particulier pour des pathologies liées au vieillissement). En fait, cette question de la "neuro-amélioration" touche plus particulièrement des technologies non invasives comme la stimulation transcrânienne à courant direct qui permet d’améliorer transitoirement chez les individus, hors d’un cadre thérapeutique, les capacités de concentration, de réflexion ou de moduler ses états émotionnels par exemple. Le dispositif technique est facile à reproduire chez soi et se diffuse plus largement aujourd’hui, en particulier via des entreprises qui les proposent à l’achat sur internet. Le Comité consultatif national d’éthique français a d’ailleurs rendu un avis très bien documenté sur le sujet et qui en circonscrit les enjeux. En tant qu’anthropologue, au-delà des risques sanitaires et déontologiques de ces pratiques, de telles questions soulèvent avant tout la difficulté de se défaire des imaginaires technoscientifiques qui entourent ce domaine et les neurosciences en général pour aller observer au plus près les pratiques effectives et tenter d’en clarifier les ressorts.

Jusqu'à quel point la neurostimulation peut-elle permettre de manipuler quelqu'un ? 

Bechir Jarraya : La neurostimulation a un vrai potentiel de manipulation du comportement de la personne neurostimulée. La communauté médicale et scientifique a été interpelée par des observations qui allaient bouleverser notre conception du comportement de manière très profonde. Lorsque la technique de neurostimulation cérébrale a commencé à se répandre pour traiter la maladie de Parkinson, certaines équipes ont observé qu'une stimulation réalisée à quelques millimètres de la cible prévue pouvait provoquer une authentique dépression mélancolique instantanée chez la patiente opérée. De plus cette dépression "à la demande" s'arrêta immédiatement lorsque la stimulation s'arrêta ! D'autres patients ont présenté des comportements dits hypomaniaques avec une désinhibition, un fou rire, des changements d'humeur etc. Heureusement, à chaque fois, le phénomène a été réversible immédiatement. Mais nous avons appris que la stimulation de certaines régions du cerveau insoupçonnées jusque là pouvaient dramatiquement affecter notre ressenti, notre humeur, nos relations sociales, ce qu'il y a de plus profond en nous. Cela a par ailleurs amené aux développements actuels de la stimulation pour traiter des maladies mentales telle que les troubles obsessionnels et compulsifs (TOC), la dépression sévère, les formes graves de tics.

Le Conseil National de l'éthique a été saisi par cette question il y a quelques années afin d'assurer un encadrement strict et d'éviter certains épisodes malheureux de la psychochirurgie du passé. la grande différence, c'est que la neurostimulation est réversible: il suffit d'éteindre le neurostimulateur pour retrouver l'état antérieur. Je pense personnellement qu'une neurostimulation bien placée pourrait un jour "réveiller" des patients qui ont perdu conscience suite à un coma grave. Nous avons tous en tête Michaël Schumacher ou feu Ariel Sharon.

D'un point de vu expérimental, récemment, des équipes de recherche américaines et belges ont démontré que la stimulation de l'aire tegmentale ventrale, une aire nichée profondément dans le cerveau, permettait d'imposer à des singes des choix différents de ce que le singe aurait effectué sans stimulation électrique implantée. Et ce là avec un taux de "manipulation" proche de 100% ! Là il ne s'agit plus de maladie, mais de choix imposé.

Vous allez me dire que c'est effrayant ! Il faut faire attention a garder une certaine forme de raison. Encore une fois, pour le moment, en tous cas, seules les stimulations implantées ont pu démontrer un taux de manipulation significatif. Ici aussi, il s'agit de techniques neurochirurgicales très lourdes pratiquées par un faible nombre d'équipe dédiées aux malades souffrant de maladies handicapantes. Il n'est pas envisageable d'implanter une neurostimulation chez un individu non malade. De plus il y a des variations importantes du fonctionnement cérébral entre les individus, c'est ce qui fait notre singularité, notre personnalité, notre charme. Même si le potentiel de manipulation est bien réel, au jour d'aujourd'hui il est largement exagéré. Ce qui n'empêche pas qu'il faut que la société participe à ce débat car les développements "neurotechnologiques" sont rapides.

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