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Négociations sur le Brexit : comment la France s’est engagée sur la pente de l’insignifiance européenne
©Tolga AKMEN / AFP

Diplomatie messianique et hors-sol

Ce mardi, la Première ministre britannique Theresa May a proposé un compromis sur le "backstop", la fameux "filet de sécurité" qui éviterait le retour d'une frontière "dure" entre les deux Irlandes.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Alors qu'un Brexit sans accord commence à se profiler, les dirigeants allemands, dont Angela Merkel semblent adopter une ligne plus conciliante en évoquant une possibilité de négocier de façon plus "créative" la question du backstop, et ce, alors même qu'Emmanuel Macron a pu paraître intransigeant sur la même question. La France ne risque-t-elle pas l'isolement en adoptant une telle stratégie ?

Edouard Husson : En français, nous avons une expression qui dit bien les choses: être plus royaliste que le roi. Alors qu’Angela Merkel est restée silencieuse pendant à peu près toute la crise du Brexit, attendant, selon sa bonne vieille habitude, de voir ce qu’allait donner le rapport de force, Emmanuel Macron, lui, a pris la parole à plusieurs reprises pour faire la leçon à la Grande-Bretagne. J’ai pour ma part fait le pari depuis longtemps qu’un accord serait trouvé in extremis. Dans un tel cas, le président français serait pris à contrepied. Il semble bien que la Pologne et l’Allemagne soient en train de tracer les contours d’une solution de compromis. Angela Merkel joue la distanciée mais sa prise de parole est un signe clair envoyé à Theresa May et à l’opinion britannique. Ce qu’Emmanuel Macron ne voit pas, car il est un idéaliste européen sincère, c’est qu’Angela Merkel se moque pas mal de l’unification européenne. C’est quelque chose qu’elle a trouvé dans la quincaillerie gouvernementale en arrivant au pouvoir en 2005; dont elle a éprouvé l’utilité pour garantir les intérêts allemands. Si, désormais, l’intérêt allemand - essentiellement de l’industrie allemande - est de trouver un compromis de dernière minute pour éviter un no deal Brexit, Angela Merkel fera ce qu’il faut pour cela. Et le président français ravalera ses convictions européistes de stricte observance. 

Comment expliquer ce positionnement français, ne pourrait-on pas y voir, paradoxalement, une absence de politique européenne de la part de Paris ? 

Il y a d’abord une détermination par les clichés collectifs français. « Salauds d’Anglais ! Ils ont brûlé Jeanne d’Arc » etc... La version moderne, c’est une grande condescendance de la haute fonction publique française envers ces pauvres Britanniques qui ont eu l’idée absurde de vouloir sortir de l’UE. Au fond, ce que révèle une telle attitude, c’est l’incapacité française à s’opposer à une ligne européenne contraire aux intérêts du pays; et le refus d’accepter que l’on puisse être, dans le monde de 2019, un grand pays désireux de vivre hors du cadre de l’UE. Et l’attitude de la Grande-Bretagne est un reproche en actes à la tendance française de soumission permanente à des intérêts qui ne sont pas les nôtres. 
Ce n’est même pas que nous n’ayons pas de politique européenne, c’est que nous n’avons pas de politique du tout. Nous ne savons plus faire de la politique. La politique ça consiste, dans une situation telle que le Brexit et lorsqu’on est un gouvernement français, à se dire qu’il y a une occasion inespérée d’élargir la marge de manoeuvre en se posant comme médiateur entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni. Alors que, très clairement, la France est, depuis des années, en position de second de l’Allemagne, il y avait là l’occasion de recommencer à parler à l’Allemagne sur un pied d’égalité. Au-lieu de cela, Paris a fait comme les autres capitales, en se mettant à l’abri de la Commission, chargée de négocier le Brexit. C’est non seulement un non-respect des textes, qui prévoient que c’est au Conseil européen de négocier; mais c’est absurde du point de vue des intérêts du pays.  

Quel est le risque d'un tel positionnement pour le rôle de la France dans l'Union européenne ? 

La France, depuis François Hollande, joue clairement contre ses intérêts en Europe. Prenons tout d’abord l’enfermement dans le bilatéralisme franco-allemand, que le Traité d’Aix-La-Chapelle fige encore plus: ce traité est peu apprécié dans la plupart des capitales européennes - et peu pris au sérieux à Berlin en dehors du cercle rapproché de Madame Merkel. Il rappelle cruellement comment la France a été incapable, depuis deux ans, d’obtenir quelque aménagement que ce soit de la zone euro. L’une des raisons, contenue en creux dans le Traité d’Aix-La-Chapelle, c’est que le gouvernement français s’est enfermé dans un tête-à-tête avec l’Allemagne, sans parler aux autres capitales européennes. Nous accumulons des « dettes » que nous serons incapables de rembourser. L’Italie saisira la première occasion pour bloquer nos projets après les mots inadmissibles prononcés par notre Président vis-à-vis de l’actuel gouvernement. De même, la Grande-Bretagne n’oubliera pas, une fois le Brexit passé, de rendre à Emmanuel Macron la monnaie de sa pièce. 
Evidemment, on demandera ironiquement si, respectant le Traité d’Aix-La-Chapelle, Madame Merkel a consulté Emmanuel Macron avant de prononcer ses formules d’ouverture prudente vis-à-vis de Londres. 

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