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Natacha Polony : "Le contrôle continu ne fera qu'ajouter de nouvelles sources d'inégalités dans notre système scolaire"
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No stress

Le ministre de l'Education nationale, Vincent Peillon, a indiqué ce lundi qu'il n'était "pas hostile" à l'introduction d'une part de contrôle continu au baccalauréat et que cette question ferait partie des "discussions cet été". Une mesure qui pourrait s'avérer être une nouvelle source d'inégalités dans un système où les "ghettos scolaires" sont déjà légion.

Natacha Polony

Natacha Polony

Natacha Polony est directrice de la rédaction de Marianne et essayiste. Elle a publié Ce pays qu’on abat. Chroniques 2009-2014 (Plon) et Changer la vie (éditions de L'Observatoire, 2017).

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Atlantico : Le ministre de l'Education nationale, Vincent Peillon a déclaré qu'il n'était "pas hostile" à introduire une dose de contrôle continu. 85% des Français y sont favorables, selon un sondage Ifop pour Sud Ouest Dimanche. Une telle modification introduirait-elle plus de justice pour les élèves qui ne seraient ainsi pas sanctionnés sur un seul jour ?

Natacha Polony : Tout d’abord, il faut se souvenir qu’en 2005 François Fillon a bien failli perdre son poste de ministre de l’Education nationale à cause de cette question de contrôle continu. En pleine négociation de la loi qui allait devenir la loi d’orientation portant son nom, curieusement, c’est cette question qui avait provoqué l’ire des lycéens et des manifestations qui ont failli lui être fatales.

Ensuite, je crois que les Français n’ont pas l’air de réaliser qu’il existe déjà une forme de contrôle continu : les TPE. Or, on s’est vite aperçu que ces derniers étaient une excellente manière d’obtenir une bonne note en fichant pas grand-chose. Les TPE demeurent une escroquerie intellectuelle extraordinaire mise en place pour répondre à la demande de tous les néologues des pédagogies modernes qui estimaient qu’il fallait évaluer différemment, sur des dossiers interdisciplinaires. Sur le papier, si ça avait l’air très exigeant, concrètement, dans les résultats, c’est souvent quelque chose de très anecdotique qui s’apparente à un ramassis de recherches sur Internet, une espèce de compilation de ce qui se trouve sur la toile avec souvent à la clé des notes mirobolantes.

A l’aune de l’expérience du TPE, une introduction d'une part de contrôle continu au baccalauréat ne conviendrait donc pas, selon vous ?

L’introduction plus large du contrôle continu aurait plusieurs conséquences précises :

Tout d’abord, cela mettrait une pression absolument énorme sur les professeurs. Cela voudrait dire que chaque note qu’ils donnent est potentiellement une note de bac. Imaginez le rapport qui va s’introduire entre le professeur et les élèves. L’évaluation n’est plus quelque chose de constructif pour montrer à l’élève où il en est mais forcément, et immédiatement, une sanction. C’est d’ailleurs ce que les partisans du contrôle continu prétendent éviter. En d’autres termes, ils introduisent l’évaluation sanction contre laquelle ils se plaignent dans les autres niveaux de l’éducation. C’est assez tout de même assez ennuyeux intellectuellement…

Ensuite, il faut savoir que nous vivons actuellement sur une fiction consistant à dire qu’il y aurait le même niveau moyen sur l’ensemble du territoire. Pour preuve, dans un département où les notes du bac sont trop faibles, il existe une commission d’harmonisation qui remonte les notes pour que la moyenne du département en question soit égale à la moyenne des autres départements (c’est d’ailleurs pour cela qu’il vaut mieux passer son bac en Seine-Saint-Denis qu’à Paris). Si l’on passe en contrôle continu, le bac ne sera plus le même. On sait pertinemment qu’il existe des établissements exigeants qui mettent des notes volontairement très dures pour préparer les élèves aux classes préparatoires et d’autres, au contraire, qui mettent des notes relativement généreuses pour encourager les élèves et ne pas les briser. Le contrôle continu amplifiera donc ce qui se passe déjà aujourd’hui. Cela va créer des inégalités absolument monstrueuses. Or dans un contexte où il existe déjà des « ghettos scolaires », ce serait une véritable catastrophe. Les élèves méritants qui ont la malchance d’être dans le mauvais établissement devraient être les principales victimes.

Le fait de vouloir éviter à tout prix le stress au bachelier est-il vraiment une bonne formation pour le monde professionnel ?

La vraie vie est stressante. Dans le monde professionnel, quand vous avez un projet à rendre, il existe une date butoir. On peut se planter car c’est la faute à « pas de chance », car on était pas en forme ce jour-là.

Il faudrait peut-être expliquer à ces jeunes gens que quelqu’un qui est réellement préparé réussit toujours. Le jour du bac, il pourrait peut-être échouer à une épreuve mais pas à l’ensemble de l’exercice.

Le contrôle continu sonne-t-il l’avènement du règne des « chouchous » ? Quelle place pour les élèves qui ne correspondent pas au moule de l’élève modèle ?

C’est effectivement possible mais il est difficile de mesurer quels élèves risquent d’être favorisés ou non. Il y a des jeunes qui fonctionnent très bien dans ce système scolaire et d’autres qui ont du mal à s’adapter.

Le problème est qu’aujourd’hui nous avons mis en place une hypertrophie du diplôme scolaire qui fait que le gamin qui n’a pas de diplôme ou qui est sorti du système pour une raison psychologique X ou Y se trouve dans une situation difficile. Mais le problème ne vient pas de l’école mais plutôt de l’ensemble de l’organisation de la société. Ce qui ne fonctionne pas en France n’est pas le fait qu’il y ait des gens qui échouent au bac. Au contraire, c’est le fait qu’une fois que vous n’avez pas votre bac ou votre diplôme d’ingénieur vous ne l’aurez jamais.

Il faut donc arrêter de tout focaliser sur le bac. Rassurons les parents ! Le bac est un examen qu’il suffit de présenter pour l’obtenir. Pour preuve, le taux de réussite est de 86% la première fois qu’on le passe et 99% la seconde. Cela veut dire que tout élève qui se donne la peine d’aller aux épreuves suffisamment obtient son bac. Ceux qui ratent le bac aujourd’hui ont généralement été orientés vers des filaires plus courtes avant ou pour des raisons personnelles ont abandonné en milieu d’année.

La solution serait donc d’abaisser le taux de réussite ?

Tout le monde sait très bien que le bac ne vaut plus grand-chose mais personne n’aura le courage aujourd’hui d’abaisser le taux de réussite car les parents hurleraient immédiatement. Rappelez cette histoire, il y a quelques années, où des bacheliers avaient protesté contre une épreuve de mathématiques trop difficile. Il faut savoir que maintenant nous décomposons la démarche aux chérubins pour être sûr qu’ils réussissent. Il n’y a plus aucun raisonnement scientifique autonome. Cette fois-ci, les examinateurs avaient décidé de ne pas mâcher le travail des bacheliers en ne décomposant pas les étapes pour réussir les exercices. Panique à bord ! Les parents avaient protesté et, du coup, le taux de réussite avait été plus élevé…

Propos recueillis par Jean-Benoît Raynaud 

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