Naëm Bestandji : "L’école demeure une cible prioritaire de l'islamisme"<!-- --> | Atlantico.fr
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La question de la laïcité est souvent au coeur des débats au coeur de l'Education nationale.
La question de la laïcité est souvent au coeur des débats au coeur de l'Education nationale.
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Rapport sénatorial

L'essayiste Naëm Bestandji, auteur du livre "Le linceul du féminisme", décrypte les conclusions d'un rapport sénatorial qui alerte sur la situation alarmante et sur le danger qui pèse sur l'école de la République.

Naëm Bestandji

Naëm Bestandji

Écrivain/essayiste, Naëm Bestandji est un laïque et féministe engagé. Il a longtemps travaillé dans le domaine socio-culturel auprès des enfants et adolescents des quartiers populaires. Il y a toujours vécu et a été très tôt confronté à la montée de l'intégrisme religieux.

Il a publié de nombreux articles sur l’islamisme politique.

Son site internet : https://www.naembestandji.fr/

Il est l’auteur d’un essai remarqué, pour tout comprendre sur le sexisme politique du voile : « Le linceul du féminisme – Caresser l’islamisme dans le sens du voile » (éditions Séramis, novembre 2021).

Voir la bio »

Atlantico : Un rapport sénatorial d'une commission d'enquête lancée après l'assassinat de Samuel Paty décrit une situation alarmante et une « école de la République en danger », avec une hausse généralisée de la « remise en cause de ses valeurs », selon les deux sénateurs co-rapporteurs, François-Noël Buffet (LR) et Laurent Lafon (Union centriste). Quels sont les principaux enseignements de ce rapport ?

Naëm Bestandji : L’incivilité augmente au sein des établissements scolaires. De plus en plus de familles se plaignent et s’oppose, parfois violemment, à l'institution scolaire, aux professeurs, proviseurs, principaux d'établissements, conseillers d'éducation, comme pour l’ensemble des personnels qui y travaillent. L’institution en tant que telle est moins respectée qu'auparavant.

Cela conduit à des situations où les élèves ne reconnaissent plus ou contestent l'autorité, notamment des enseignants et des représentants de l'établissement. Cela peut être le cas pour des mauvaises notes que l'élève va contester. Parfois les parents se permettent d'expliquer comment l'enseignant doit enseigner. Ce phénomène est constaté à tous les niveaux, de la maternelle jusqu'au lycée.

Il y a également l’étalement du conservatisme religieux via le développement d’une interprétation extrémiste de l’islam qui a cours depuis une quarantaine d’année. La théologie islamique est dominée par les intégristes musulmans, cela infuse parmi une part de plus en plus importante des musulmans. Cela se fait au détriment des musulmans progressistes et des apostats (ex-musulmans devenus athées) qui subissent des pressions, notamment au sein même de l’école laïque.

L'interprétation extrémiste de l’islam (l’islamisme) s’attache moins au spirituel qu’à l’application de rites, d’attitudes et du port de tenus (dont le sexisme du voile est central). L’ambition est l’obsession de normes et de pratiques par mimétisme, en abdiquant tout esprit critique, pour afficher une visibilité qui sert un désir prosélyte, identitaire et politique. La pression est donc d’abord mise sur les coreligionnaires (ou supposés l’être en raison de leurs origines ethniques) qui ne seraient pas assez musulmans selon les extrémistes. Cette pression s’exerce notamment lors de la période du ramadan. Pour les filles, s’ajoute le sexisme et le patriarcat par la culpabilisation de leur corps, d’où le port du sexisme du voile. Les islamistes ont une approche archaïque, rétrograde des rapports entre garçons et filles. Ils sont d’abord des obsédés sexuels avant d’être des obsédés de la religion. Ils sont si obsédés par le corps des femmes et le sexe, et considèrent que le patriarcat est l’organisation naturelle de la société, qu’ils ont fait du sexisme du voile leur outil identitaire et politique. Voilà pourquoi la grande majorité des offensives politiques de l'islamisme se fait à travers le voile, notamment à l’école. Ils considèrent le fait de cacher la femme comme une forme de respect vis-à-vis de l'homme. L’homme et sa libido une fois respectés par l’occultation du corps féminin sous un voile, la femme peut être respectée en retour. Ils nomment cette approche dégradante des femmes la « pudeur » féminine. Ainsi, à leurs yeux, des filles cheveux aux vents et laissant paraître quelques centimètres carrés de peau, tout comme la mixité garçon/fille, sont des approches dépravées et occidentales contraires à l’islam. Le sexisme du voile devient alors l’étendard et la fierté identitaire de cette idéologie totalitaire.

Cela mène des filles à ne plus aller au cours de piscine, à refuser de participer à certaines activités sportives où les tenus ne seraient pas couvrantes. De plus en plus de garçons et de filles sont aussi choqués dès qu'ils voient un tableau avec des seins féminins visibles. Au point d’avoir des réactions agressives envers les enseignants. Une pudibonderie se développe et une partie de l'enseignement scolaire est remise en cause. S’y ajoute les contestations de la science et de l’Histoire au profit de la « vérité divine » qui n’est que la répétition par les élèves de la parole martelée par des prédicateurs fanatiques. La stratégie victimaire proposée par les prédicateurs mène alors les élèves à ce que j’ai nommé la rhétorique d’inversion. Ici, le refus d’accorder des privilèges au port du voile à l’école ou de renoncer à des parties du programme scolaire pour « respecter » leurs croyances sont accusés de discrimination, de racisme (alors qu’il s’agit d’une religion, pas d’une ethnie) et d’islamophobie (c’est-à-dire l’atteinte à l’islam, le blasphème). Autrement dit, des élèves, souvent soutenus par leurs parents, vont contester le programme de l’Éducation nationale au nom du respect de leur (interprétation de la) religion.

Les conclusions du rapport permettent de découvrir qu'il y a des contestations de plus en plus importantes. Toutefois, elles ne montrent que les incidents envers le personnel des établissements scolaires. Elles occultent largement les pressions mises sur les élèves musulmans, ou supposés l’être, qui ne seraient pas assez musulmans aux yeux de leurs camarades islamistes en herbe. 

Je pointe également une erreur dans les conclusions du rapport sénatorial. Tout le monde la commet en France et ailleurs. Je la dénonce dans mon livre (“Le Linceul du féminisme-Caresser l’islamisme dans le sens du voile”, éditions Séramis). Concernant le voile, l’abaya et autre jelbab, le véritable sujet n’est pas la laïcité mais le sexisme. La laïcité vient en appui, non l’inverse. Pour faire diversion, les islamistes veulent camper sur le terrain de la laïcité pour pointer un principe qui brimerait leur liberté religieuse. Cela leur permet de tenter de passer pour les victimes d’une société qui serait intolérante. Ce terrain est fondamental pour leur stratégie victimaire. Or, en allant sur le véritable terrain, celui du sexisme, ils passeront pour ce qu’ils sont en réalité : des bourreaux, une position indéfendable. C’est pour cela qu’ils ont enveloppé leur misogynie identitaire dans un emballage faussement religieux. La religion serait un totem d’immunité. L’identitarisme, le sexisme, le patriarcat, les offensives prosélytes et politiques à travers le voile ne serait alors que religiosité. Les discriminations envers les femmes devraient être protégées au nom du respect de la liberté religieuse. 

Camper uniquement sur le terrain de la laïcité facilite ainsi, contrairement à ce que l’on croit, le développement de l’islamisme. En revanche, en allant sur le bon terrain, celui du sexisme, le voile devient le talon d'Achille de l'islamisme. En résumé, rester sur le terrain de la laïcité permet aux islamistes de passer pour des victimes, en allant sur celui du sexisme et du patriarcat nous les montrons tels qu’ils sont : des oppresseurs. Le terrain de la laïcité, où la stratégie victimaire est fertile, leur permet de rallier une partie de la gauche (les « idiots utiles »). Le terrain du sexisme rend cette alliance (quasi) impossible. Il est plus facile de défendre une « laïcité ouverte » ou « inclusive » (ce qui ne veut rien dire) plutôt qu’un « patriarcat ouvert » ou un « sexisme inclusif ».

Comme cela a été relevé par un certain nombre de commentateurs politiques, Nicole Belloubet fait le service minimum sur les atteintes à la laïcité à l’école. Pourquoi la ministre de l’Education nationale ne s’empare-t-elle pas du rapport du Sénat ? Nicole Belloubet détourne-t-elle le regard ailleurs alors que la “maison brûle ?

Je ne sonde pas les cœurs et les âmes. Mais des réactions passées de la ministre, lorsqu’elle était ministre de la justice, laissent entrevoir un malaise de sa part. Je pense à l’affaire Mila, cette jeune femme menacée de mort parce qu’elle avait insulté l’islam. À l’époque, madame Belloubet avait assimilée l’insulte envers une religion à une hostilité envers des individus. Cela affichait la réintroduction du délit de blasphème par une ministre de la justice. Aujourd’hui ministre de l’Éducation nationale, il semble qu’elle soit toujours aussi peu à l’aise avec ce sujet. C’est justement sur ces faiblesses que l’islamisme compte pour jouer avec la stratégie victimaire et avancer.

Est-ce que l'école est devenue effectivement de plus en plus un réceptacle des maux de la société et une cible prioritaire des mouvements radicaux ? 

L'école est un réceptacle de la société. Tous les problèmes sociaux se retrouvent à l'école. 

Mais il s’agit du sommet de l'iceberg. Comme dit tout à l’heure, la laïcité n'est pas l’enjeu principal. Des lois et des mesures sont mises en place, comme la loi de 2004, pour signaler tel ou tel comportement, mais ces phénomènes sont des conséquences, pas les causes. L'élève ne passe pas la majorité de son temps à l'école. En revanche, il y amène son vécu et ce qu’il apprend à l'extérieur. Le problème est donc en amont, au sein des familles, dans les quartiers, les centres de loisirs et de vacances, les clubs de sport. Or, on ne parle que de l'école, sauf depuis quelques années où la réalité des clubs de sport est évoquée parce que le prosélytisme islamiste devient trop flagrant. 

Ne proposer que des solutions au sein de l'école ne soigne que des symptômes, pas les racines. C'est pour cela que l’islamisme n’a fait que se développer depuis quarante ans, dont le sexisme du voile est le baromètre visible, notamment dans les quartiers populaires. Tant que l’on pensera que la loi de 2004 est l’alpha et l’omega de la lutte contre l’islamisme politique, l'école continuera à subir des offensives dont les vagues seront de plus en plus intenses. La loi de 2004 règle, en surface, un symptôme. Elle permet de cacher les choses. Les filles, endoctrinées par des prédicateurs, enlèvent leur voile à l’entrée des établissements. Mais cela ne change rien à l'idéologie à laquelle elles adhèrent, rejointes tous les jours par de nouvelles adeptes. Ainsi, des jeunes filles nées après 2004 font le forcing pour tester cette loi et la République parce qu'elles les considèrent comme injustes. À ce rythme, je crains que, si nous continuons ainsi, la loi de 2004 sera modifiée voire même supprimée par les générations futures. Les élèves d’aujourd’hui sont nos élus de demain. C’est justement l’un des objectifs de l’islamisme politique et c’est aussi pour cela que l’école et ses élèves, citoyens en devenir, sont une cible.

Comment faire évoluer cette situation? Le rapport sénatorial préconise 38 recommandations. Au niveau sociétal, est-il possible de retrouver un équilibre ou est-ce que la menace est vraiment très pesante ?

Pour espérer changer les choses, il faut bien sûr éduquer, mieux former les enseignants et faire preuve de fermeté. En cela, les recommandations du rapport sont utiles et nécessaires. Mais il faut aussi, encore une fois, agir en amont. Cela commence par écouter les musulmans progressistes. Or là, nous n’écoutons que les conservateurs, voire les islamistes. Je le constate surtout au sein d’une partie de la gauche qui raisonne comme l’islamisme. En effet, lorsque les intégristes musulmans disent des choses choquantes, ils précisent toujours que ce n’est pas leur opinion mais que cela provient du Coran, des hadiths ou de tel théologien. Cela leur permet de se dédouaner de toute responsabilité dans leurs propos.

La France Insoumise fonctionne exactement de la même manière. Suite aux attaques terroristes du Hamas le 7 octobre par exemple, LFI refuse de qualifier le Hamas de mouvement terroriste au prétexte que des instances internationales ne l’ont pas fait. C’est la même chose pour l’abaya : pour défendre cet accoutrement qui affiche ostensiblement une appartenance religieuse, LFI avait déclaré se référer à  l’« autorité religieuse » que serait le CFCM. Or, il n’existe pas d’autorité religieuse en islam sunnite puisqu’il n’y a pas de clergé. De plus, le CFCM est une association loi de 1901, donc laïque, créée pour un être interlocuteur avec l’État dans l’organisation du culte musulman. Elle n’a aucune compétence pour émettre un avis religieux. Cette manière de se défausser permet à LFI de se rallier aux conservateurs et aux islamistes et d’assigner tous les musulmans à la frange extrémiste de l’islam. Cette partie de la gauche en perte de repère doit donc retrouver ses valeurs pour lutter contre l'obscurantisme et permettre aux musulmans progressistes, à celles qui résistent au faux « libre choix » du voilement de leur corps, et aux apostats, de mieux vivre en France. La laïcité ne doit pas être un moyen de favoriser un radicalisme religieux mais de permettre à celles et ceux qui y résistent de vivre libres. Il faut les écouter et les défendre, plutôt que d’écouter exclusivement et défendre leurs bourreaux.

Enfin, une réforme de l'islam est primordiale pour que cette religion ne soit plus dominée par l’interprétation des radicaux. Sans cela, rien ne sera jamais réglé. Mais pour que l’islam y parvienne, il faut protéger les musulmans progressistes. Là, la liberté de conscience, cœur du principe de la laïcité, prend tout son sens.

Naëm Bestandji a publé "Le linceul du féminisme Caresser l'islam dans le sens du voile" aux éditions Seramis.

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