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Au-delà de ses gaffes,
fait-on payer à Nadine Morano
ses origines sociales ?
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Tu sais ce qu'elle te dit... ?

Nadine Morano s'est défendue ce jeudi d'être raciste, en affirmant qu'elle avait des "amis arabes" et une amie "tchadienne, donc plus noire qu'une arabe". Ces propos auraient-ils provoqué un aussi gros tollé s'ils avaient été prononcés par une de ces "âmes bien nées" qui déchaînent les foudres médiatiques à tout bout de champ ?

Jacques Charles-Gaffiot

Jacques Charles-Gaffiot

Jacques Charles-Gaffiot est l'auteur de Trônes en majesté, l’Autorité et son symbole (Édition du Cerf), et commissaire de l'exposition Trésors du Saint-Sépulcre. Présents des cours royales européennes qui fut présentée au château de Versailles jusqu’au 14 juillet 2013.

 

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A l’aune de la glose médiatique qui s’est emparée des propos de Nadine Morano déclarant avoir une amie tchadienne « donc plus noire qu’une arabe », on imagine l’ampleur du ramdam qui se serait produit dans la salle de presse du palais du roi Salomon, à Jérusalem, lorsque la reine de Saba, après avoir rappelé la beauté de sa négritude, invitait les filles de la cité de David à ne pas penser qu’elle avait été « noircie » par les brûlures du soleil, comme une pauvresse que ses frères auraient voulu faire trimer depuis sa plus tendre jeunesse dans le vignoble familial !

Il est vrai que les poèmes amoureux réunis dans le « sulfureux » Cantiques des Cantiques adoptent l’éloquence propre au style hellénistique du IIIe siècle avant notre ère et que ceux de Madame Morano, exprimés tout simplement dans le français courant d’aujourd’hui, ne s’embarrassent plus de rhétorique. Cet art, passé de mode, est désormais proscrit des programmes pédagogiques destinés à nos chères petites têtes blondes comme l’étude de la littérature ancienne.

En entrant en politique, Nadine Morano n’a pas adopté ni la faconde de Jean-Luc Mélenchon, ni la verve talentueuse de Luc Ferry, ni le brio de Robert Badinter ou la maîtrise un peu guindée du langage employé par Edouard Balladur. Elle est restée pareille à elle-même sans vouloir imiter quiconque. Qui pourrait lui en faire grief ? Si elle n’a pas souhaité adopter les codes d’une élite qui aime à se reconnaître par l’adoption de manières, de comportements, d’expressions, d’habitudes vestimentaires traduisant l’appartenance à la fleur de la société, doit-elle se résigner à ne briguer aucune charge, aucune fonction politique ? L’excellence de l’homme public se mesurerait-elle à sa propension à renier les origines de son milieu pour mieux parvenir, par un mimétisme observé à chaque instant, à se fondre parmi les représentants de la classe dominante ?

Bien de ses devanciers, arrivant de leur lointain terroir pour prendre possession d’un portefeuille ministériel n’ont rien renié de leur franc-parler, de leur accent ou de leur truculence ! Personne n’a oublié les réparties mordantes du chanoine Kir, doyen de l’assemblée nationale durant près de quinze ans.

Mais dans le tintamarre médiatique toujours entretenu en pareille circonstance, ce qui apparaît le plus singulier est cette police de la pensée qui, pour mieux s’insinuer perfidement dans l’intimité des consciences, pourchasse d’une part l’emploi de tout un ensemble de termes du vocabulaire populaire et d’autre part sélectionne ses proies.

Ainsi, en premier lieu, n’est-il plus permis de donner, par exemple, son nom traditionnel à la petite pâtisserie constituée de deux hémisphères de meringue réunis par de la crème au beurre, le tout enrobé de pépites de chocolat ; n’est-il plus possible d’utiliser le terme « colonisation » et ses dérivés sans encourir l’opprobre universelle. Quant au mot « esclavage », pour terminer tant la liste pourrait être longue, il ne peut désormais être employé que pour  désigner la seule traite transatlantique. Il n’est plus permis de faire référence, sans un dérapage très condamnable, à la traite transsaharienne qui ne fut pas le fait d’Européens mais qui, bien plus durable, concerna presque le double de victimes qui eurent à subir des conditions autrement plus inhumaines que celles endurées par leurs malheureux frères débarqués en Amérique.

En second lieu, les âmes bien nées des censeurs n’attaquent jamais les leurs. Monsieur Jean-Luc Mélenchon pouvait invoquer voici quelques semaines les mânes de Robespierre et de Saint-Just en rappelant les bienfaits de la Terreur, cause du génocide vendéen. Pas une de ces consciences si droites ne s’est élevée.

A l’heure où la presse se fait souvent le relai de la « boboitude » dirigeant désormais les âmes avec le plus beau des zèles inquisiteurs, tout écart de langage est passible des foudres médiatiques s’il émane d’un auteur aux origines sociales modestes mais provoque un léger sourire complaisant s’il est commis par l’un des grands prêtres de ce nouveau credo, toujours de grands bourgeois nantis, se gargarisant de mots et dont le cœur se montre si souvent desséché.

Malgré la maladresse relevée pas nos caciques, une profonde amitié réciproque unit probablement Nadine Morano à son amie tchadienne, et il ne serait pas surprenant  que ces liens, depuis quelques heures, se soient encore renforcés.

Enfin, il y a fort à parier que, parmi nos bobos flamboyants, un certain nombre apprécierait, à l’instar de Nadine Morano, de partager une telle amitié !

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