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Les musulmans et l'Occident : les leçons de la grande enquête du Pew Research Center
©Zakaria ABDELKAFI / AFP

Mise au point

Une forte croissance combinée aux actes de violences commis au nom de l'islam par des groupes extrémistes ont mis les musulmans au premier plan du débat politique. Quelques éléments de réponses pour comprendre l'impact de cette religion dans le monde et en France.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Les musulmans s'avèrent être le groupe religieux dont la croissance est la plus rapide au monde. Comment expliquer cette croissance et qu'en est-il vraiment lorsqu'on la compare aux autres religions ?

Guylain Chevrier : Selon une étude récente du Pew Research Center, il est effectivement constaté que dans le monde, les musulmans ont la démographie la plus forte. L'islam est la seconde religion au monde avec 1,6 milliards de croyants, 23% de la population mondiale, après le christianisme. Rappelons que la région Moyen-Orient-Afrique du Nord, où l’islam est né au VIIe siècle, fortement islamisée, abrite seulement environ 20% des musulmans du monde. La majorité des musulmans, 62%, vivent dans la région Asie-Pacifique, en Indonésie, en Inde, au Pakistan, au Bangladesh, en Iran et en Turquie.

Cette croissance la plus rapide tient à deux facteurs qui se combinent. D’une part, les musulmans ont plus d'enfants que les membres d'autres groupes religieux. Le taux de fécondité est de 3,1 enfants par femme, dans le monde musulman, contre 2,3 pour tous les autres groupes combinés. Les musulmans sont aussi les plus jeunes (âge médian de 23 ans en 2010) de tous les principaux groupes religieux, sept ans plus jeunes qu’au regard de l'âge médian des non-musulmans. A être plus jeunes, les musulmans seront plus nombreux à atteindre l’âge où on commence à avoir des enfants, par rapport aux autres groupes plus âgés, qui donc en auront moins. Ceci, combiné avec des taux de fécondité élevés, va alimenter la croissance de la population musulmane. Le facteur culturel est aussi à prendre en compte, qui influe sur les comportements, et la tradition reste forte dans la répartition des rôles entre les sexes chez les musulmans, la femme étant prédestinée à être avant tout une mère. Même s’il existe une certaine évolution ici, elle reste à la marge d’un courant dominant patriarcale, favorable à cette natalité élevée.  

Dans cette étude on souligne qu’à la fin du siècle, si les choses continuent à ce rythme, l’islam sera la première religion au monde. Cela est aussi à mettre en rapport avec un christianisme qui dans les pays développés est en net recul, alors que l’islam à la faveur d’une immigration musulmane importante est plutôt en phase d’installation et de diffusion dans ces pays.

L’islam progresse d’ailleurs dans les pays européens, spécialement dans les quartiers sensibles à la faveur de l’influence que cette religion y exerce en raison de la concentration de population d’origine immigrée des pays extra-européens. Une religion de conversion très active qui sait se saisir de la déshérence de certains jeunes dans ces quartiers, qui la rejoignent, pour lesquels elle est un des trop rares repères. On considère ainsi dans l’étude, que d’ici à 2050, on devrait compter 10% de musulmans dans l’ensemble de l’Europe.

A combien peut-on estimer le nombre de musulmans en France ? 

Guylain Chevrier : C'est une question presque plus politique que démographique, très sensible, car différents chiffres s'affrontent, derrière lesquels des courants d'idées s'opposent. L’islam est considéré comme la deuxième religion en France après le christianisme. Le nombre de musulmans est estimé entre 4,7 et 6 millions, chiffres que l‘on trouve sur Wikipédia, avec en référence une étude de l’INED et de l’Insee publiée en octobre 2010.

Selon l'Institut Montaigne, qui a réalisé une enquête à ce sujet en 2016, intitulée « Un islam français est possible », titre qui en dit long sur la bataille d’idées qui se livre ici, le nombre de musulmans en France serait moins important qu’on ne l’avancent en général, car ils représenteraient 5,6 % de la population de plus de 15 ans en métropole. Il est souligné, comme l’indique l’étude de Pew Research Center au niveau de la démographie mondiale, que cette population est nettement plus jeune que la moyenne nationale. Pour l’Observatoire Sociovision de la société française, qui a réalisé une enquête sur les relations entre religion et société en France en novembre 2014, les musulmans dans notre pays rassemblent 5,8% des Français de plus de 15 ans. Au regard du taux de natalité dans cette population, les projections intégrant les mineurs de moins de quinze ans dépassent les cinq millions.  

Un chiffre quoi qu’il en soit qui augmente régulièrement, puisque l'apport de population migrante est d'environ 200.000 par an à présent en France, auxquels s’ajoutent près de 100.000 demandeurs d'asile (2016), la religion musulmane y étant très présente au regard des pays de départ. Quoi qu'il en soit, proportionnellement à la population de la France, nous avons le plus grand nombre de musulmans en Europe. Selon le Haut Conseil à l’intégration, en 2011 on comptait environ 11,7 millions de personnes comme immigrées ou ayant un parent immigré. Un chiffre qui en dit long, si on tient compte de la part importante des musulmans parmi les immigrés, au regard des pays traditionnellement originaires des migrations vers la France.

On confond aussi souvent, une origine maghrébine par exemple, avec le fait d'être musulman, ce en quoi tous ne se reconnaissent pas, ce qui peut amener à des chiffres erronés. Il faudrait pouvoir aussi différencier les musulmans pratiquants des autres, et de ceux pour lesquels l’islam n’est plus qu’une origine culturelle.

Pour le savoir, faudrait-il encore pouvoir l'évaluer, et les statistiques ethniques sont interdites en France, en raison de nos principes républicains qui ne connaissent que des citoyens, des individus de droit. Ce sur quoi il serait difficile de revenir sans prendre bien des risques.

Au regard du contexte actuel, quelle vision a-t-on vraiment en France des musulmans et de l'islam ? 

Guylain Chevrier : Il y a une perception négative qui peut être en rapport avec cette situation. Le vote extrême s’appuie sur des peurs plus ou moins rationnelles en la matière. Il y a eu une augmentation des actes antimusulmans après la vague d’attentats de 2015, avec un pic (essentiellement des menaces ou des tags). Mais depuis, il y a un recul continu de ceux-ci, montrant que cela tient à l’influence d’événements se produisant sur notre sol plutôt que de l’influence d’événements se produisant à l’étranger ou encore, d’une peur « d’un grand remplacement » des populations du cru par des musulmans, en raison de la progression démographique de l’islam.

La perception négative de l'islam n'est pas tant due aux forces violentes qui traversent cette religion principalement ailleurs ou à la démographie, qu'au constat d'une montée d'un communautarisme musulman et du fondamentalisme dans notre pays. Le rapport de 2015 sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, est de ce point de vue significatif, avec un indice de tolérance des Français dans ce domaine qui est  très bon, et ce,  comme cela est souligné, malgré les attentats. Ce qui pose problème, c’est la montée des revendications religieuses à caractère communautaire comme le port du voile dans l'entreprise, les prières de rue, les piscines réservées a certains horaires uniquement aux femmes, les demandes de retraits de sapins de Noël des écoles, les sorties scolaires encadrées par des mamans voilées bousculant le principe de la laïcité à l’école, le refus de certains hommes de serrer la main des femmes en raison de leur religion. Là, les réactions sont très négatives. Ce qui peut être aussi le reflet de certaines déclarations comme celle de l’imam de Brest, qui appelle au rejet de la musique comme non-conforme à l’islam ou encore de l’imam de Nice, qui au lendemain de l’attentat qui y a été perpétré, expliquait que c’était de la faute de la laïcité, voire encore les déclarations du président de l’association des musulmans de Lunel (Hérault), à l’époque où plusieurs dizaines de jeunes musulmans étaient partis de cette petite ville pour faire le djihad en Syrie, qui en justifiait le choix.

Il y a une situation réelle qui inquiète les Français dont on retrouve les motifs dans certaines études, qui doivent attirer l’attention, et encore plus particulièrement des musulmans qui pratiquent leur religion dans le respect de la République. Selon l’enquête de 2014 de l’Observatoire Sociovision, 47% des musulmans souhaitent une société où chacun puisse exprimer publiquement son appartenance religieuse ; ils sont 56% à trouver complètement normal qu’on suive d’abord les règles de sa religion avant les règles de la société dans laquelle on vit, contre 23 % des catholiques ; 37% des musulmans trouvent acceptables de ne pas serrer la main d’une femme en raison de sa religion ou ne pas fréquenter certains lieux publics mixtes comme les piscines. Selon l’enquête de l’Institut Montaigne, 29% des musulmans contestent la laïcité, le fondamentalisme progresse, avec un groupe de 28% qui est pour le port du voile intégral, considèrent que la Charia est au-dessus des lois de la République et utilisent l'Islam comme instrument de révolte. Selon cette étude, on voit nettement se dessiner une tendance à l’enfermement, avec 35% des femmes musulmanes qui disent porter le voile, alors qu’elles étaient 25% en 2010. Une tendance qui pèse sur la société dans son ensemble. Pour mieux situer encore le décalage qui s’opère là avec une société française en pleine sécularisation, l’Observatoire Sociovision révèle que 76% des Français interrogés préfèrent « une société qui respecte la neutralité en matière de religion et où les pratiques religieuses restent dans le domaine privé ». On voit donc surtout se télescoper deux mouvements, l’un qui va dans le sens d’une plus grande discrétion en matière de croyances, celui de la sécularisation voire de la laïcisation de la société française, avec un assouplissement des mœurs, et l’autre, dans le sens d‘une affirmation qui tend à vouloir imposer ses règles religieuses, sous le signe d’un retour de la tradition, avec une poussée du fondamentalisme, à tendance peu libérale. 

Le choc culturel décrit entre civilisation occidentale et musulmane ne s'explique-t-il pas en partie par un manque de connaissance vis-à-vis de l'islam et des musulmans en France ?

Guylain Chevrier : Pour une part, c’est possible, mais si tous les musulmans ne sont pas pratiquants et si parmi eux ils ne sont pas tous pour un islam rigoriste, pour autant, la tendance de ce que donne à voir l’islam en France, comme nous venons de le décrire, n’est pas sans poser problème et jeter la confusion. L’islam comme toute religion a ses différents courants, et peut être pratiqué par les musulmans dans le respect des lois du pays où ils vivent, sans poser de problème. La connaissance de l’islam peut apporter un certain éclairage, mais les choses se jouent ailleurs, dans la réalité, et là, on ne peut uniquement se bercer de bonnes intentions. L’islam est loin d’avoir encore trouvé comme religion sa place en France, pour des motifs que le printemps arabe à bien su montrer, les débats étant sensiblement les mêmes qu’en France, pour indiquer que nous avons plus affaire à un choc, entre une conception de la religion qui se place au-dessus de la société civile voire de l’Etat, et une modernité démocratique, qui place, elle, les libertés et droits individuels au-dessus de tout. C’est un choc des idées et des projets de société, bien plus qu’entre le monde musulman et l’Occident. 

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