Municipales 2014 à Paris : les racines des haines qui agitent l'UMP<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Municipales 2014 à Paris : les racines des haines qui agitent l'UMP
©DR

Plaies et bosses

Bernard Debré n'a pas accepté les critiques de Jean Tiberi envers Nathalie Kosciusko-Morizet, ni la candidature dissidente de son fils, et le lui a fait savoir. Une illustration de plus de la culture de fiefs qui touche la droite parisienne - et la gauche.

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

Voir la bio »

Atlantico : Les Tiberi se sont invités dans la campagne des municipales à Paris. La famille de l'ancien maire fait partie de ces familles "historiques" qui ont dirigé la capitale. Existe-il de nombreux "clans" à Paris ?

Jean Garrigues : Ils existent mais il y en a peut-être moins qu'avant. Il y a les Legaret, les Dominati, etc. Françoise de Panafieu, candidate à la mairie de Paris en 2008, est elle aussi issue d'une grande dynastie puisqu'elle est l'héritière d'Hélène Missoffe, ancienne députée de Paris. Il y également les Taittinger, dont Pierre s'était distingué durant l'occupation en présidant le conseil municipal de Paris, ou son fils Pierre-Christian qui fut maire du 16ème arrondissement jusqu'en 2008.

Cela fait partie de toute une série de grandes familles qui, pour la plupart, appartiennent à la droite française. Il y a d'un côté les gaullistes, comme les Tiberi, et de l'autre les libéraux, comme les Dominati.

Ces familles appartiennent essentiellement à la droite. Est-ce que cela explique les tensions qui règnent au sein de la droite parisienne, comme semble en témoigner la dernière opposition entre Bernard Debré et Jean Tiberi ?

Les Debré ne sont pas typiquement l'une de ces familles parisiennes : Bernard est député de Paris mais Jean-Louis est élu de Normandie ; leur père Michel était un élu de La Réunion. L'opposition Debré-Tiberi est un choc des éléphants de la droite. Elle est surtout l'illustration qu'il y a à Paris une concentration d’égos qui peuvent se confronter.

L'élection du maire de la capitale en est la preuve. A l'échelle du temps, cette mairie centralisée et le poste de maire élu au suffrage universel indirect sont récents. Le premier maire élu est Jacques Chirac ; c'était en 1977. Pour obtenir une majorité et devenir maire de Paris, il faut des transactions, des influences et certains élus pèsent plus que d'autres du fait de leur ancienneté, et du rayonnement de leur fonction. Un Dominati dans les années 70, ou un Tiberi dans les années 90 pesait plus qu'un élu de base. Mais ce phénomène n'est cependant pas propre à Paris. Jean et Jacques Médecin se sont ainsi succédé durant des années à la mairie de Nice.

A Paris, il y a, outre une opposition d'idées, une sorte de régionalisme. Il y a par exemple une implantation corse avec les Tiberi et les Dominati même si les parcours sont différents : Jean Tiberi a construit sa carrière au service de Jacques Chirac, qui avait bâti son pouvoir avec des "régionaux". Dominati vient également de la famille gaulliste même si, dès les années 70, il se rapproche de l'UDF de Valéry Giscard d'Estaing. La trajectoire de ces familles n'est pas liée à une activité économique mais à une implantation politique régionale : on vient à Paris du fait de la nécessité d'être à la capitale, à cause du caractère centralisé de la vie politique française.

Est-ce la raison pour laquelle les élections municipales à Paris paraissent toujours extrêmement tendues ? Est-ce pour cela que l'UMP peine à se rassembler ?

Il est évident que cela joue un rôle. On le voit aujourd'hui avec les Tiberi : la constitution de fiefs rend beaucoup moins souples et perméables les dépositaires de ces "secteurs" face à ce qui est nécessaire : la compensation, les compromis, la modernisation avec de nouvelles têtes, de nouveaux programmes. C'est ce qui explique, au moins en partie, la longévité de certains élus parisiens. Jean Tiberi a été maire de Pairs de 1995 à 2001. Il est depuis maire du 5ème arrondissement. Cette longévité fait qu'il est difficile de laisser sa place à d'autres, d'autant plus qu'elle s'appuie sur un cumul des mandats : la plupart des maires sont députés. On est vraiment dans une logique de fiefs.

Mais cela n'est pas propre à la droite. Il y a des personnalités à gauche qui, elles-aussi, sont restées très longtemps maires d'arrondissement, comme Tony Dreyfus, Georges Sarre et Michel Chrazat, respectivement maire des 10ème, 11ème et 20ème arrondissements de 1995 à 2008. Ce dernier avait été candidat dissident dans la 21ème circonscription de Paris lors des élections législatives de 2007 parce que l'investiture socialiste avait été donnée à une femme, George-Paul Langevin. On voit la résistance de certains face au renouvellement.

Nathalie Kosciusko-Morizet et Anne Hidalgo souffrent-elles de ce clientélisme familial ?

Pour la première, les tensions qui règnent autour de sa campagne sont évidentes et s'expliquent en partie par cette culture des fiefs. Les choses se sont passées plus en douceur du côté socialiste, Bertrand Delanoë a assez bien négocié sa succession. L'exemple le plus significatif est celui de Daniel Vaillant, député depuis 2002, maire du 18ème arrondissement depuis 2003, et qui a accepté de s'effacer pour laisser sa place à quelqu'un d'autre.

Cela montre qu'il y a beaucoup plus d'indiscipline à droite qu'à gauche, beaucoup plus d'individualisme, notamment du fait de ces fiefs dynastiques. Il y a des fiefs également à gauche, mais plus individuels que dynastiques.  

Le choix de la candidature de Delanoë avait été le fruit d'une lutte sévère avec Jack Lang, notamment. Ce qui avait prévalu à cette époque, c'était la logique de fief. Delanoë avait été député de Paris dans les années 80, il avait une antériorité. Derrière le choix de Delanoë, il y avait également le poids des élus du 18e au conseil de paris puisqu'il avait été élu en 1977 avec Lionel Jospin (qui en 2001 était Premier ministre), Claude Estier (alors président du groupe PS au Sénat) et Daniel Vaillant (ministre de l'Intérieur). Ces hommes-là ont commencé ensemble, en 1977, une carrière d'élus parisiens. On l'appelait "la bande du 18e". 

Propos recueillis par Sylvain Chazot

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !