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Moteurs de la croissance : mais au fait, qui détient vraiment les clés du pouvoir d’achat des Français  ?
©Lars Hagberg / AFP

Faites entrer l’accusé

Les nominations de Christine Lagarde et d’Ursula von der Leyen soulèvent des doutes et créent des espoirs. Mais qui aujourd’hui a le plus d’influence sur ce qui inquiète en priorité les Français, leur pouvoir d’achat ? Petit match entre les grands de ce monde, de Jeff Bezos à Xi Jinping…

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Si Emmanuel Macron peut sembler avoir le plus d’influence sur le pouvoir d’achat des Français, Donald Trump, Angela Merkel, Ursula von der Leyen, Vladimir Poutine ou Xi Jinping semblent présider politiquement aux destinées de ce monde et par leurs actions influencer de manière toute aussi importante cette capacité microéconomique clé. Qui du Président de la République ou des autres dirigeants peut prétendre être le plus influent sur cette question ?

Michel Ruimy : L’évolution du pouvoir d’achat d’une personne est influencée par plusieurs facteurs qui vont de ses revenus à l’inflation, en passant par les impôts et la composition de sa famille.S’y ajoute un autre facteur : l’augmentation des dépenses dites « contraintes » ou « pré-engagées » c’est-à-dire des charges difficilement renégociables à court termecomme le loyer, les assurances, le téléphone… Leur part dans le budget des ménages français atteint, pour les plus démunis, près de 60 % contre environ 25 %pour une population plus aisée. Si l’on déduit ces dépenses,les inégalités sont particulièrement marquées, ce qui explique sans doute pourquoi certains ont plus que d’autres l’impression de perdre du pouvoir d’achat.

Aujourd’hui, cette question n’a jamais autant été au cœur des préoccupations des Français. Ceci pour plusieurs raisons. Tout d’abord, à la différence de la plupart des pays, la France n’a pas connu de rebond économique à la suite de la crise de 2008. Dix ans après cette crise, des Français, vêtus de « gilets jaunes », ont exprimé, l’hiver dernier, leur mécontentement.Ensuite, s’ajoute une composante politique née de la dissonance entre les promesses des politiques et leur réalisation. Cet écart remonte à l’élection présidentielle de 1995, qui devait apporter des réponses à ce que Jacques Chirac avait appelé la « fracture sociale », lequel s’est répété depuis à chacun des scrutins.Depuis, il y a un sentiment d’usure vis-à-vis des hommes politiques, dont les réformes promises n’ont jamais été mises en œuvre ou alors n’ont pas entraîné les résultats espérés. Les Français estiment qu’on leur demande des sacrifices sans que cela soit payant.

On le voit aussi avec les succès du Rassemblement National, lequel ne vend pas un avenir meilleur mais fait croire qu’un retour vers le passé, avec des théories protectionnistes et un rôle plus protecteur de l’Etat, sera bénéfique d’autant que la France a du mal à s’affirmer dans le contexte de la mondialisation tant au plan économique (Sa part dans le commerce mondial stagne sous les 3 % et elle subit la concurrence des puissances émergentes) que diplomatique (En dépit de la bonne perception, à l’étranger,des initiatives économiques de M. Macron, notre président a du mal à peser face à MM. Trump, Xi et Poutine) et culturel (déclin de la francophonie dans le monde).

Pour casser cette spirale infernale, il faut des hommes politiques courageux qui arrivent à mener une double réforme : celle qui doperait le pouvoir d’achat, l’autre, indispensable, étant celle du marché du travail pour lutter contre le chômage.

Dans ce contexte, concernant la question de leur pouvoir d’achat, les Français ne peuvent, malgré tout, compter que sur l’action éventuelle du président de la République…et encore. En effet, pour l’essentiel, la hausse des revenus relève des entreprises, qui sont soumises à une vive concurrence,la stabilité des prix est l’objectif principal de la Banque centrale européenne(BCE) et nous n’avons pas de pétrole.Donc, même si actuellement les conditions d’emprunt de l’Etat sont favorables, notre président n’a pratiquement aucun levier en main.

Sébastien Laye : Au risque de vous surprendre, je dirais qu'Emmanuel Macron a peu d'influence sur le pouvoir d'achat des Français: au delà des quelques aides techniques concédées dans la douleur au mouvement des Gilets Jaunes, il y a belle lurette que l'Etat ne fixe plus les salaires autres que le SMIC en France: par ailleurs, le pouvoir d'achat est généré idéalement par la hausse des salaires ( qui ne peut venir que d'une baisse drastique du chômage et de tensions sur le marché de l'emploi) ou une baisse massive des impots: il n'y a pas eu de miracle économique en deux ans  et les médiocres résultats, dans un contexte de pourtant forte croissance mondiale, expliquent aussi le sentiment de cette perte d'influence: ce n'est pas uniquement que la France est une puissance moyenne, c'est surtout qu'elle est en échec du point de vue économique et sociale. Si on regarde la doctrine de Macron et de ses prédécesseurs, ils ont acté cette sortie de l'Histoire et de notre grandeur: leur narratif est celui d'une simple adaptation au monde moderne...là ou au contraire Trump, Xi, ou Poutine, prétendent non pas suivre des modèles éculés mais offrir leurs propres approches d'une politique de prospérité et de grandeur. Avec des résultats variables et incertains certes, mais ils scandent le rythme de l'Histoire et même des changements économiques, chez eux mais aussi par ricochets en France même: la guerre commerciale de Trump, la réindustrialisation de l'Occident, la réaction des Chinois, ont des conséquences plus importantes sur notre économie que la modulation de la CSG....par ailleurs, ces modèles peuvent essaimer et s'imposer un jour en France. Il devient vain de comparer des technocrates français qui actent notre sortie de l'Histoire à des dirigeants qui étendent leurs puissants réseaux jusqu'en Europe....

La nomination de Christine Lagarde à la BCE et les décisions de Jerome Powell ont montré l’influence considérable (ou supposée telle) des décisions monétaires des grandes banques centrales. Qu’en est-il et quel est leur poids sur le pouvoir d’achat de nos compatriotes face aux hommes politiques ?

Michel Ruimy : Une majorité d’indicateurs économiques confirme un ralentissement conjoncturel dans le monde, particulièrement prononcé pour le secteur manufacturier, dans un contexte de tensions commerciales entre les États-Unis et ses principaux partenaires commerciaux. Si cette détérioration industrielle se prolongeait, elle pourrait affecter une consommation privée qui résiste encore bien dans la plupart des pays.

Lesbanques centrales ont pris conscience des risques de ce fléchissement de l’activité et essaient de pallier les insuffisances politiques. En ce qui concerne la Federal Reserve, la pause sur les taux pourrait être plus durable que prévu et du côté de la BCE, un rétropédalage est également en cours.Une telle mesure semblait improbable il y a encore quelques mois. Ainsi, elles remplissent bien leur mission dans la mesure où l’inflation est présente et est bien contenue. Toutefois, au vu des liquidités injectées (plus de 2 500 milliards d’euros pour la BCE), la croissance n’est pas là. Ces sommes ne sont pas restées en Europe pour soutenir l’activité mais pour entretenircelles des pays dont nous importons les produits. En d’autres termes, l’économie françaisenedépend que de quelques rares secteurs d’activité, et particulièrement le luxe.

Au final, l’influence objective des banques centrales est bien réelle mais incomplète car elles ne maîtrisent pas toutes les composantes du pouvoir d’achat. Toutefois, cet environnement accommodant des banques centrales et de rendements obligataires « au plancher » restent favorable aux marchés boursiers et donc pour certains investisseurs.

Sébastien Laye : Quand on examine les performances économiques d'un pays, elles s'expliquent à 60% par le positionnement dans le cycle économique (expansion, récession, plateau), à 30% par la politique monétaire et au maximum à 10% par les éléments domestiques (budget, fiscalité, droit du travail etc). La politique monétaire est clef car nos cycles de croissance se superposent à des cycles de crédit; les politiques de stop and go sur les taux d’intérêt ont de tout temps scandé les récessions et expansions, mais la nouveauté depuis 2008 est que l'ensemble du crédit et du système financier est porté à bout de bras par les banques centrales. Bernanke, Yellen et Drahi ont bien plus orchestré la lente sortie de crise qu'Obama ou Merkel; donc certes, les dirigeants des banques centrales ont eu plus d'influence que les politiques au cours des dix dernières années. Mais en même temps, leur doctrine tourne à l'aporie avec des interventions de moins en moins efficaces: s'ils ne se réinventent pas, les politiques devront imaginer les ripostes aux prochaines crises. L'age d'or des banquiers centraux est derrière eux.

N’y a-t-il pas une illusion démocratique dans le fait de croire à la puissance des hommes politiques ou de ces responsables d’institutions publiques sur le pouvoir d’achat ? Des personnalités du monde économique comme Jeff Bezos, Mohammed ben Salmane (pour son influence sur le marché du pétrole) ou Liang Hua n’ont-ils pas une influence décisive ?

Michel Ruimy : La logique du système économique actuel s’appuie essentiellement sur des entreprises,multinationales de préférence, dans un environnement technologique de plus en plus mouvant. Dans ce contexte, il est vrai que les entrepreneurs sont mis en avant comme Jeff Bezos, actuel PDG d’Amazon, dont la capitalisation boursière a été multipliée par 112 depuis son introduction en bourse en 2001 ou sont reçus, comme Mark Zuckerberg,avec les mêmes égards que les hommes politiques. De même, Liang Hua, PDG de Huawei.

Leur dénominateur commun ? Outre leur suprématie technologique et leur puissance financière, il y a leur influence. Dans les pas de Microsoft, Facebook, Amazon, Google et Apple (GAFA) se sont implantées dans l’écosystème bruxellois. Leur influence passe par de multiples réseaux : équipes de lobbyistes accréditées, fédérations, think tanks, cabinets d’avocat, consultants... Pour avoir une idée du lobbying des GAFA, il faut se pencher sur le « registre de la transparence », créé en 1996. On peut y observer la spectaculaire montée en puissance de Google dont les dépenses de lobbying sont passées, entre 2011 et 2017, de 1 à 6 millions d’euros. Cette firme emploie 15 lobbyistes, dont 9 à temps plein, qui ont assisté, entre 2014 et 2018, à 211 réunions avec la Commission européenne.

On voit donc la fausse neutralité de nos outils technologiques et la capacité d’influence voire de manipulation de Google ou de Facebook comme lors, par exemple, des dernières élections aux Etats-Unis. L’enjeu principal était d’identifier les 15 millions d’électeurs indécis pour arriver à les faire basculer. Les actions mises en place sont passées par des outils permettant de mieux les cibler et de leur adresser des publicités adaptées, des mailings…

L’influence des plus puissants est bien réelle via leur entreprise au profit de leurs actionnaires et au détriment des salariés. Quant à Mohamed ben Salmane, sa stratégie se situe davantage au plan politique.

Sébastien Laye : Les politiques eux-mêmes me paraissent avoir orchestré leur propre impuissance, mais il est aussi sain de vivre dans un monde ou le pouvoir est fragmenté.....Nous ne sommes plus au temps du Roi Salomon qui cumulait pouvoir formel, richesses et autorité morale.....Oui Amazon possède un pouvoir tentaculaire sur nos existences et rythme notre pouvoir d'achat bien plus que l'Etat français, mais en même temps Jeff Bezos a beaucoup moins d'influence politique qu'un Rockefeller: les New-Yorkais par exemple se sont opposés récemment à la création de bureaux Amazon. Et un homme d'affaire, via son conseil d'administration, ses clients, la gouvernance d'entreprise, est beaucoup plus contrôlé que nos monarques républicains sans responsabilité aucune... C'est aussi cela la force du monde économique sur le politique: plus de déconcentration des pouvoirs et de concertation...

Peut-il y avoir un grand gagnant dans ce match des « puissants » ? En quoi est-ce que cela dit quelque chose de ce qu’est devenue l’économie mondiale ?

Michel Ruimy : Complexité géopolitique et beaucoup d’incertitudes, donc le Président Macron n’a que peu de marges de manœuvre et in fine, le pouvoir d’achat des français est contraint du fait de la mondialisation économique et de la concurrence des salaires sud-est asiatiques (désinflation salariale)

Les mesures à prendre sont assez bien connues et même parfois répétitives : encourager la mobilité, aider à la reconversion, soutenir la formation professionnelle, adapter les programmes et l’orientation à l’école, sortir par le haut en améliorant la qualification, etc. On doit pourtant se demander pourquoi les programmes ne se sont pas davantage développés ou n’ont pas donné les résultats attendus. Il a certainement manqué de vision, de suivi, de prise de responsabilité ou de cohérence. On peut regretter l’absence de politiques structurelles affichant mieux les grands choix industriels et les priorités. La politique commerciale a certes permis de protéger quelques secteurs, mais souvent en déclin. Et même lorsque l’Europe a protégé des secteurs d’avenir, comme les panneaux solaires, le sursis n’a même pas permis de développer une industrie compétitive qui aurait pu s’implanter dans les territoires délaissés.

En effet, aussi bien les recherches que les mouvements sociaux récents ont montré les effets de la mondialisation et des mutations technologiques sur certains territoires laissés à l’abandon. Or, si on laisse de côté l’illusion de la mobilité, ce sont eux, autant que les personnes, qui doivent être reconvertis. Dans cette mission, les politiques publiques qui ont trop souvent visé les grands groupes, doivent s’orienter vers les petites et moyennes entreprises et les firmes de taille intermédiaire en favorisant leur développement sur place. C’est possible en jouant notamment sur la fiscalité ou les infrastructures.

Tout changement de système crée des irréversibilités en ce sens qu’il peut être très coûteux de revenir en arrière. Peut-être que la libéralisation des échanges est allé trop vite et trop loin, mais la remettre en cause ne nous ferait pas pour autant revenir à la situation antérieure, du moins pas sans coûts exorbitants. En effet, une des particularités de la mondialisation a été d’éclater les processus de production et de disperser dans le monde entier les différentes phases d’activité. Il s’est formé des réseaux complexes qui peuvent certes être démantelés, mais pas sans dommages : augmentation des coûts, baisse de la qualité des composants, délais allongés, etc. Elle ferait des gagnants, très relatifs d’ailleurs, les travailleurs ou les capitalistes du secteur importateur, mais des perdants dans le secteur exportateur. J’imagine mal, d’ailleurs, les anciens pays industriels rouvrir leurs mines, leurs usines sidérurgiques ou leurs usines textiles même si Trump nourrit parfois ce fantasme. Qui investirait dans ces secteurs ? Où irait-on chercher les travailleurs compétents ? Qui accepterait de payer le surcoût ? On voit bien aujourd’hui que dès qu’une mesure protectionniste est prise, les aspects contreproductifs de la mesure apparaissent rapidement. On peut certes, comme aux Etats-Unis, taxer les importations d’acier (on l’a d’ailleurs fait aussi en Europe) mais au détriment des constructeurs automobiles et des constructeurs de machine à laver qui doivent alors être compensés par… des mesures protectionnistes.

S’il est sans doute souhaitable de faire une pause dans la libéralisation des échanges pour prendre le temps de panser les plaies et revoir les règles du commerce international, un protectionnisme de principe ajouterait de nouveaux problèmes et n’en résoudrait aucun.

Sébastien Laye : Les vrais gagnants sont les leaders capables de susciter de grandes transformations, d'insuffler des changements de paradigme: il y en a dans tous les domaines, mais dans le monde économique, Elon Musk et Bill Gates me paraissent être des emblèmes  et font sans cesse des émules. L'époque est incroyablement pauvre en leaders politiques charismatiques, mais dans l'Histoire encore récente, nous avons eu Gandhi, Mandela, Luther King, le General de Gaulle.... leur rareté aujourd'hui ne nous parle pas uniquement de la puissance du monde économique , mais du cynisme qui règne en politique: les vrais profils de leader ne s'y épanouissent pas, je connais des personnalités incroyables qui poursuivent leurs idéaux dans la sphère associative, le business ou les combats environnementaux... et qui pourtant feraient de bien meilleurs dirigeants que l'équipe actuellement au pouvoir en Franc, qui ne s'est imposée que sur le thème du renouveau et du jeunisme.

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